Travail et libertés

[…] Gorz reprend à Marx l’énoncé selon lequel la liberté et la « vraie vie » se situent en dehors du travail. À partir de là, il est évident que « le seul moyen de vivre mieux, c’est de travailler moins ».

D’où la constante revendication ouvrière de la RTT, mais qui correspond aussi à une tendance lourde du capitalisme : l’économie de travail obtenue par l’accroissement incessant de la productivité (en 1900, on travaillait 5000 heures par an ; en 2013, 1537). Si pour Gorz la RTT est aujourd’hui un outil de transformation sociale, c’est parce qu’elle libère les capacités productives que les individus ont développées grâce à l’émergence de ce que Marx appelait l’intelligence collective (general intellect), c’est-à-dire les savoir-faire aujourd’hui étayés sur la maîtrise des TIC.
En se les appropriant, le capitalisme, que l’on peut dès lors qualifier de « cognitif », en a fait le principal facteur de production. Il s’agit donc de se les ré-approprier. On s’acheminerait ainsi vers une « société de l’intelligence », axée sur une sorte de « communisme du savoir ».

Les Zindigné(e)s : J’aimerais revenir sur la question épineuse du revenu social garanti que Gorz défend. Y a-t-il un rapport avec ce que vous venez de dire?

Willy Gianinazzi : Oui, nous sommes dans la même perspective du temps libéré. Le revenu social garanti, ou revenu d’existence, aurait pour but d’assurer aux individus les moyens matériels d’une transition vers d’autres modes de produire hors marché la richesse.
On ne serait plus contraint de travailler pour avoir un revenu, mais on aurait un revenu pour œuvrer sans contrainte.

Les Zindigné(e)s : Mais la pensée de Gorz semble évoluer vers la défense de la gratuité…

Willy Gianinazzi : À la fin de sa vie, Gorz radicalise un peu plus sa réflexion, influencé par la nouvelle critique marxiste du capitalisme que mènent Robert Kurz, Moishe Postone ou Anselm Jappe. Il se convainc que le revenu d’existence, qu’il continue cependant de défendre comme principe, pose problème parce qu’il prend la forme d’un versement monétaire qui rive les bénéficiaires à la consommation de marchandises. Il faudrait donc que cette allocation puisse s’exprimer autrement. Par exemple, en monnaies locales. Ou même, finit-il par penser, sous la forme d’échanges et de services gratuits que permettrait le développement des « biens communs ».

Les Zindigné(e)s :J’aime beaucoup chez Gorz l’idée que la sortie du capitalisme a déjà commencé. Il existerait donc un déjà-là, ce qui n’est pas sans conséquence sur la stratégie émancipatrice.

Willy Gianinazzi : Le capitalisme est fondé sur l’exploitation du travail. Or, les profits extraits de la production réelle de marchandises et de services sont beaucoup plus faibles que les rentes de monopole et les bénéfices provenant des produits financiers. C’est en ce sens que le dépassement du capitalisme a commencé. Mais de nouvelles façons de produire et de vivre sont encore très embryonnaires. Ce sont elles qu’il faut impulser à travers la RTT (qui devrait prendre à mon sens la forme du temps partiel choisi) et le revenu d’existence.

Extrait d’un entretien avec Willy Gianinazzi (qui vient de faire publier André Gorz, une vie) dans Les Zindigné(e)s de novembre 2016.

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