Tout électrique, tout nucléaire

Quand le choix irréversible du « tout électrique, tout nucléaire » a été pris par l’État-EDF au début des années 1970, les promoteurs de l’atome assuraient que la Science [finirait par trouver une aolution au problème des déchets radioactifs. Bien sûr, il n’en a rien été. Et les rebuts de leurs centrales, les technocrates n’ont plus qu’à les glisser sous le tapis. Depuis trente ans, des luttes sont menées contre les projets d’enfouissement des déchets ; comme à Angers, où une manifestation a réuni 15 000 personnes en 1990. […]

On est saisi de stupeur devant l’ampleur des enjeux, l’absence de débats réels, la violence froide de l`État. Depuis 20 ans ce territoire à la frontière de la Meuse et de la Haute-Marne est en cours de colonisation et de militarisation pour assurer la survie de la filière nucléaire française. […]

En second lieu, on achète les consciences en arrosant financièrement ce département rural plutôt pauvre. À Bure (82 habitants), les équipements urbains sont flambant neufs, les trottoirs ont été rénovés, une salle des fêtes est même sortie de terre tandis que la commune voisine de Mandres-en-Barrois (124 habitants) a désormais des terrains de sport. Entre 2007 et 2016, les collectivités territoriales, les entreprises et les associations du département auraient par ailleurs touché 271 millions d’euros, auxquels s’ajoute une aide annuelle de 480 euros par habitant versée aux communes situées dans un rayon de dix kilomètres autour du site.
Face à un tel déluge d’argent, il n’est pas étonnant que beaucoup se soient résignés et que tant d’élus choisissent le camp de l’Andra.

Troisième stratégie : la communication, ou plutôt la propagande, qui se déploie de façon débridée dans le département : organisation de sorties scolaires pour apprendre aux enfants les bienfaits du nucléaire, armées de communicants et de sociologues embarqués travaillant à l’acceptabilité du risque, à la diffusion de message rassurants ou fatalistes. […]

Depuis deux ans, l’Andra et le gouvernement ont déclaré la guerre aux opposants, en les caricaturant voire en les insultant, en cherchant à les diviser ou en en faisant de dangereux activistes cagoulés. Je peux témoigner combien les fameux opposants « radicalisés », décrits par le pouvoir comme des quasi-délinquants, sont d’abord et avant tout des militants intelligents, conscients et
inquiets, des citoyens engagés, courageux, sidérés devant la folie qui nous pousse à accepter l’inacceptable ; soucieux de maintenir vivant un espace de débat démocratique contre le monopole
de l’expertise et de la décision ; sacrifiant leur confort individuel à une cause plus large. […]

Les failles du projet sont nombreuses mais sont sans cesse euphémisées, niées, au nom de la confiance dans le génie des ingénieurs et de l’absence d’alternative. Une fois de plus, nous sommes face
aux alternatives infernales déjà utilisées lors de la controverse OGM : vous refusez les OGM ? Eh bien vous ne pourrez pas résoudre la faim dans le monde, vous ferez fuir les scientifiques vers des cieux plus elements et vous nous mettrez en retard dans la grande compétition économique. La même rhétorique est à l’œuvre pour imposer la solution de l’enfouissement des déchets nucléaires, alors même que dans plusieurs pays les habitants s’opposent à de tels projets et que des rapports d’experts – comme celui de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucleaire (IRSN) – pointent les
risques d’incendie et les lacunes en matière de sécurité. En Australie un comité d’enquête a choisi de repousser un projet du même type l’année dernière, en Allemagne et aux États-Unis plusieurs sites d`enfouissement ont connu des problèmes et ont dû fermer, partout ce type d’installation provoque la colère et l’opposition des habitants.

Extraits d’un long article de François Jarrige dans La Décroissance d’avril 2018.

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