Totalitarisme

Le totalitarisme se caractérise, pour la philosophie politique, par les critères suivants : un système organise par le monopole des médias de masse, par la surveillance des individus avec un encouragement aux délations, une politique organisée sur la terreur et une idéologie mouvante, construite sur le clivage entre bons et mauvais citoyens, sur l’ennemi visible ou invisible et la pureté, une persécution des opposants et de toute critique […]

On doit au philosophe Giorgio Agamben une réflexion philosophique profonde sur l’état d’exception en matière politique. L’état d’exception est un espace dans lequel le Droit est suspendu, donc un espace anomique, mais qui prétend être inclus dans le système juridique. Agamben parle « d’éclipse du Droit » : le Droit demeure, mais n’émet plus sa lumière. La première conséquence est la perte pour les citoyens du principe fondamental de la sécurité juridique : l’illégalité est normalisée. En clair, le Droit qui est censé protéger les individus, devient l’outil de leur persécution. C’est cela, le fait totalitaire. L’état d’exception, historiquement, trouvait un terme temporel, comme dans la dictature romaine. Aujourd’hui, il devient la condition normale. C’est en somme une exception permanente, donc ce n’est plus une exception !
Le régime totalitaire est donc le moment où sont autorisées toutes les transgressions possibles, au nom d’un idéal tyrannique (« le bien commun », « la santé pour tous », etc.) que l’on peine à définir, bien entendu, et qui repose sur un sophisme, une proposition contradictoire. Agamben le résume ainsi : « Une norme qui stipule que l’on doit renoncer au bien pour sauver le bien est tout aussi fausse et contradictoire que celle qui, pour protéger la liberté, exige que l’on renonce à la liberté. » […]

Je pense personnellement que nous avons le devoir d’introduire des discours différents, car la folie raisonnante de la psychose collective, régie par l’angoisse, conduit à la confusion mentale et aux passages à l’acte. Quand l’individu est harcelé par des discours de persécution, par des paradoxes, des mensonges, des propos violents émis par les mass media et le champ politique, il devient vulnérable, confus, et ne comprend plus ce qui lui arrive. Le système totalitaire désigne comme coupables des innocents, et laisse tranquilles les coupables, […]

Dans la civilisation, le lien entre les individus est marqué par l’hospitalité, l’amitié et la charité. Ce sont trois notions fondamentales. […]

La dérive totalitaire est la réduction des individus à des corps, a minima marchands, a maxima des corps inutiles à éliminer. Elle suppose un abandon radical de la morale, en termes de bien et de mal. Elle se construit aisément sur une population qui ne trouve plus de sens à la réalité de son expérience. L’idéologie est la proposition d’une autre lecture de la réalité, qui rassure car elle a réponse à tout, et qui « prend en charge », pour éviter de se poser des questions existentielles sur son malaise. Si l’on ressent un malaise, c’est la faute de l’autre, évidemment (le virus, les parasites sociaux, etc.).
La fausse logique totalitaire conduit au bouc émissaire, c’est-à-dire à la loi du plus fort : de peur de mourir moi, je préfère que l’autre meure ; de peur de tout perdre, je préfère que l’autre perde tout. Hannah Arendt notait que « la principale caractéristique de l’homme de masse n’est pas la brutalité ou le retard mental, mais l’isolement et le manque de rapports sociaux normaux ». […]

« Le totalitarisme, une fois au pouvoir, remplace invariablement tous les vrais talents, quelles que soient leur sympathies, par ces illuminés et ces imbéciles dont le manque d’intelligence et de créativité reste la meilleure garantie de leur loyauté. » (Hannah Arendt, Le Système totalitaire, Le Seuil, 1972)

Entretien d’Ariane Bilheran dans le journal La Décroissance de février 2022.

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