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Société

Peur et insécurité sociale

Les raisons d’avoir peur sont multiples. […] Ainsi, cela fait près de quatre décennies que l’insécurité sociale progresse dans notre pays, comme chez nos voisins européens du reste. L’emploi et les revenus sont de plus en plus souvent précaires, le taux de chômage réel de la population n’a jamais été aussi élevé, le nombre de nos concitoyens vivant sous le seuil de pauvreté augmente chaque année.
[…] Et l’anxiété est cousine de la résignation. Demain sera forcément plus sombre : par exemple, personne ne croit vraiment que la loi « travail » va améliorer le sort de la plupart des salariés.
Les attentats perpétrés en France par les « fous d’Allah » ont donc bon dos en ce sens qu’ils interviennent au sein d’une société en proie au doute quant à la quiétude nécessaire à son épanouissement. Ils offrent cependant l’occasion de mettre en place le cadre de contention d’une société toujours susceptible de ne plus accepter la soumission au néolibéralisme économique que l’on attend d’elle.

Les plus précaires des précaires sont les premiers visés par le durcissement de la gestion sécuritaire de la question sociale. Ainsi, l’on constate depuis quelques semaines un usage croissant et quotidien de la violence verbale et physique de la police à l’égard des migrants. Le 22 juillet, le démantèlement du dernier camp qui s’était formé aux abords du métro Jaurès dans le 19e arrondissement de Paris a donné lieu à des charges policières aveugles à coup de gaz lacrymogènes. Dans la nuit du dimanche 31 juillet, les forces de l’ordre n’ont pas hésité à charger brutalement et à matraquer indistinctement ces déshérités, dont une vingtaine de femmes et d’enfants, pour les empêcher d’installer un nouveau campement.
La brutalité policière semble devenue la réponse commune à diverses franges de la société. Elle existe depuis longtemps désormais dans les quartiers populaires […] Les manifestants des « mouvements sociaux » en font également largement les frais lorsqu’ils se heurtent à des policiers qui frappent, gazent, matraquent, blessent et mutilent.

Les exemples font florès : opposants à la loi El Khomri, zadistes de Notre-Dame-des-Landes, contre-manifestants lors de la COP 21 à Paris en novembre 2015, mort de Rémi Fraisse à Civens en octobre 2014, éborgnés au flash-ball ici ou là. Les conflits du travail sont eux aussi l’occasion désormais d’une répression inédite : condamnation à des peines de prison ferme pour neuf salariés de Goodyear l’an dernier, validation en août dernier par Myriam El Khomri, Ministre du Travail, de la procédure de licenciement frappant Vincent Martinez, délégué CGT d’Air France (affaire dite de « la chemise ») Alors même que l’Inspection du travail avait refusé ce licenciement.
Ce « maintien de l’ordre » plus que musclé sonne comme autant d’avertissements lancés à l’adresse de tout citoyen à qui pourrait venir l’envie de s’opposer aux criantes injustices du temps, à l’arbitraire honteux frappant les plus faibles, aux délirants projets d’infrastructures destructeurs de l’environnement, aux reculs sociaux contenus par des lois adoptées sans vote parlementaire. […]
Face aux attentats « islamiques » leur manque de sérénité est patent. Ils agissent dans la seule urgence, loin de la réflexion et de l’apaisement des esprits que réclame la survenue de l’inédite barbarie. Cet affolement révèle un fait : l’impuissance du Gouvernement à soulager quelque peu la crise économique et sociale n’a d’égal que la puissance sans cesse renforcée des arsenaux policier et judiciaire. Une compensation dramatique à laquelle la Droite et le Front National surenchérissent forcément. Incontestablement, le manque de sérénité des gouvernants et la surenchère de leurs opposants sont communicatifs et aggravent ainsi la dérive anxiogène de notre société.
[…] En instrumentalisant le sentiment de peur – qu’ils contribuent à alimenter – au lieu de chercher à résoudre la crise économique et sociale, nos dirigeants – qui tous comptes faits ne dirigent plus grand-chose – ne font que nourrir l’animosité, pour ne pas dire la haine, envers des catégories sociales supposées ennemies de l’intérieur. La « Garde nationale » ou les milices d’autodéfense auront du pain sur la planche. Décidément, la peur a un sale air, un air de déjà vu, un air qu’il serait préférable de ne pas rejouer.

Extraits d’un article de Yann Fievet dans le mensuel Les Zindigné(e)s de septembre 2016.

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Nos gouvernants et le Panama

[…] Qui peut croire sérieusement que notre Gouvernement va demander à la Justice d’enquêter à propos des neuf-cents sociétés écrans ouvertes au Panama par la Société Générale ces dernières années ?
Pour la forme, on fera semblant d’exiger de la banque, compromise ailleurs du reste, comme la plupart de ses « consœurs », de s’expliquer sur cette opacité organisée. Pour apaiser l’opinion, déjà tellement désabusée, on inquiétera un peu plus Jerôme Cahuzac ou les époux Balkany dont d’autres turpitudes financières sont entre les mains de la justice.
Quelques autres malheureux contribuables trop grossièrement dissimulés par des conseillers financiers moins professionnels feront les frais de la nécessité de ne pas toucher à l’essentiel. Un essentiel qui dépasse allègrement le Panama. L’économie réelle est désormais trop associée, parfois par mégarde, souvent par consentement, aux canaux de l’économie souterraine pour pouvoir s’en défaire sans dommages.
La crise financière mondiale de 2007-2008 était l’occasion d’une reprise en main de la finance par les États. L’occasion ne fut pas saisie. Pire, après avoir renfloué les banques, afin qu’elles survivent à la crise qu’elles avaient elles-mêmes provoquée, les États les laissèrent poursuivre et même amplifier les pratiques coupables du passé. Et l’on s’étonne de la crainte forte qu’une nouvelle crise financière, plus grave encore, n’éclate bientôt ?

Un édifiant précédent fait forcément douter du désir de l’Europe de s’emparer sérieusement de l’affaire du Panama. En 2014, l’enquête « LuxLeaks » a révélé que les multinationales ne payaient quasiment aucun impôt en Europe, grâce à leurs filiales installées au Luxembourg. Il ne se passa rien ! Il aurait fallu poser une question qui fâche : pourquoi autant de firmes multinationales disposaient-elles de filiales au Luxembourg, pays a l’économie modeste à l’échelle de l’Europe ? Tout simplement parce qu’elles y étaient accueillies depuis des années à des conditions plus que favorables et en partie occultes. Voila un pays membre de l’Union Européenne qui organisait l’évasion fiscale des firmes de ses voisins – et du reste du monde – sans barguigner, mais en donnant régulièrement des leçons de rigueur budgétaire aux « mauvais élèves de l’Europe ».
Qui dirigeait le paradisiaque Luxembourg à cette époque récente ? M. Jean-Claude Juncker soi-même, devenu depuis Président de la Commission Européenne, fonction dont il s’acquitte sans une once de faiblesse comme on a pu le constater à l’occasion du traitement intransigeant de « la crise grecque ». En fait, il s’est bien produit quelque chose lors du dévoilement de cet autre pot-aux-roses : le lanceur d’alerte Antoine Deltour qui a révélé l’inavouable secret « LuxLeaks » a été immédiatement poursuivi par la Justice et va bientôt être jugé pour son… crime citoyen. Il ne fait pas bon affronter le système, briser son omerta. On salue parfois en haut-lieu le courage des lanceurs d’alerte pour éviter surtout de les doter d’un statut de protection. […]

Extrait d’un article de Yann Fievet dans le mensuel Les Zindigné(e)s de mai 2016.

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Migrations massives

Les migrations massives de populations sont toujours liées à des urgences vitales. Après le rappel de cette évidence, nous devons surtout insister sur les interdépendances politiques et économiques qui nous lient aux peuples en errance. Devant le creusement profond des inégalités et les alarmantes prévisions de changements climatiques, les réponses de nos gouvernants paraissent terriblement dérisoires.
La croyance dans un système qui épuise les ressources naturelles sans pourvoir aux besoins élémentaires d’une multitude d’êtres humains relève plus de l’intégrisme religieux que des valeurs républicaines dont pourtant ils se prévalent. Il est donc inconcevable de laisser au seul dogme de la concurrence l’organisation des rapports économiques et sociaux.
Ainsi, la concurrence, largement faussée au détriment de l’Afrique, engendre l’enrichissement exponentiel des uns et l’appauvrissement continu des autres. Ces déséquilibres sont alimentés bien sûr par l’arbitraire et nourrissent l’injustice. Une injustice jugée trop souvent fatale et à laquelle s’ajoute la plupart du temps son corollaire, l’insécurité. Or le fossé économique qui isole l’Afrique procède d’une accumulation de préjudices.
L’arrogante richesse financière et matérielle des sociétés occidentales ne peut être regardée comme le produit d’une intelligence supérieure. Elle doit être appréhendée à l’aide d’un détour historique par le « temps béni » de l’esclavage et de la colonisation.
Nos élites ne s’encombrent évidemment pas de cette Histoire-là ! Du méprisant discours de Dakar de M. Sarkozy à l’interventionnisme de M. Hollande, en passant par les délires de propos sectaires sur les réseaux numériques, la France ne parvient jamais à décoloniser son regard sur « l’homme africain ». On retrouve cette pollution raciste » dans l’esprit des lois sur l’immigration concoctées ces 30 dernières années, ainsi que dans l’attitude des gouvernements face aux crises migratoires.
Sous le prétexte de partenariats fallacieux, la prédation n’a jamais été interrompue.[…]

Extrait d’un article de Yann Fievet dans le journal Les Zindigné(e)s d’octobre 2015.