Catégories
Politique Santé

Drogues, le gaspillage de l’argent des contribuables

Notre ministre de l’intérieur qui, dans le domaine de la lutte contre les toxicomanies, propose des recettes des années 1980, a été fort choqué par l’affaíre Palmade. Pour Gérald Darmanin, la drogue, jusqu’à présent, c’était le cannabis. Plutôt que de réfléchir aux solutions qui fonctionnent dans les pays comparables au nôtre, il a misé sur la répression des dealers et des consommateurs. Tous les professionnels, y compris dans les rangs de la police, constatent que, depuis dix ans, les jeunes se tournent vers des drogues plus dangereuses, plus addictives et pour lesquelles les circuits de distribution sont infiniment plus complexes que le revendeur en bas de l’immeuble.

Mais notre Darmanin national s’obstine, c’en est presque émouvant. Soudain, là, après le mauvais sketch de Pierre Palmade, il prend conscience qu’il faudrait peut-être s’occuper de la cocaïne et des excitants chimiques. Il décrète alors que des tests de détection de drogues vont être exercés sur les conducteurs en même temps que ceux d’alcoolémie. Bien, bien ! Mais comme d’habitude dans ce gouvernement d’amateurs, !e bonhomme oublie que pour qu’une consommation de produit stupéfiant soit illégale, il faut que le produit détecté soit répertorié. Or, manque de pot à tabac, si le THC ou les principes actifs de l’héroïne et de la coke sont dûment recensés, chaque jour, un petit chimiste sort une nouvelle came de synthèse de son atelier ou sa cuisine. On en recense plus de 900 à ce jour et la liste ne sera jamais close. Comment expliquer à M. Darmanin que pendant qu’il se focalisait sur l’usage du cannabis, qui d’ailleurs devient de moins en moins attractif pour la jeunesse, d’autres modes de toxicomanie dits « festifs » voyaient le jour.
Devenues populaires dans les raves des années 1990, ces drogues destinées plutôt à tenir réveillé qu’à abrutir le consommateur sont sorties progressivement du cadre de la fête pour s’imposer dans les soirées ordinaires, au boulot ou pour pimenter les relations sexuelles. Bien sûr, elles échappent la plupart du temps aux contrôles, la police ayant une attirance spéciale pour la banlieue et ses dealers à capuche. Le reste du monde de la dope peut danser tranquille.
La composition de ces mélanges artisanaux évoluant au gré de l’imagination des apprentis chimistes, la police est démunie et l’on se rend compte mais un peu tard que jamais la répression n’a suffi à endiguer les phénomènes de toxicomanies que tout ce fric dépensé, toute cette police mobilisée, ces juges saisis, ces cours de justice encombrées le sont en pure perte et que l’on aurait dû miser sur la prévention, comme on l’a fait pour le tabac, dont fa consommation diminue. Mais peur cela, il faudrait un gouvernement qui pense à l’efficacité plutôt qu’à la démonstration de force pour prouver à la droite et à l’extrême droite à quel point il n’est pas laxiste.

Article d’Étienne Liebig dans Siné mensuel d’avril 2023.

Catégories
Société

Rééduquer les jeunes délinquants

Certains fantasmes éducatifs ont la vie dure. Régulièrement la droite (mais Ségolène Royal n’avait pas été en reste) propose de rééduquer les jeunes délinquants lors de stages encadrés par des militaires.
Ce concept simpliste repose sur l’idée que l’armée et ses méthodes dites dures alliant obéissance et règles de vie collective vont soumettre les plus rebelles. La droite en a rêvé, le général Dupond-Moretti a obtempéré, le doigt sur la couture du futal.
Rappelons d’abord que l’armée moderne est un engagement de la part des jeunes recrues, ce n’est plus une obligation ou une contrainte.
La pédagogie de l’armée repose sur cet engagement.

Le troufion connaît la règle militaire et accepte de s’y plier. Il y va de son propre chef, ce qui ne sera pas du tout le cas des fameux délinquants.
Second écueil, l’armée n’est pas la vraie vie. On y subit la même pathologie qu’à l’hôpital ou en prison, à savoir l’hospitalisme, cette habitude d’être servi, d’avoir sa vie organisée, de perdre tout sens de l’initiative et qui rend incapable de se prendre en charge en sortant de ces lieux d’enfermement.
La vie en caserne, c’est l’inverse exact d’une démarche d’insertion et de quête d’autonomie.
Les politiques, du haut de leurs perchoirs, imaginent que les jeunes dans le passage à l’acte délictuel ont manqué de sévérité éducative et sont victimes de parents laxistes mais l’observation montre le contraire.
Ces gamins sont plutôt victimes d’éducation dure, où les privations, les sanctions, morales et physiques, se sont multipliées et chez qui la crise est avant tout existentielle et familiale. Ils ne craignent ni la violence institutionnelle ni la violence hiérarchique, ils sont blindés.
Enfin, nous avons mille témoignages sur les bagnes militaires d’enfants découverts en Roumanie, en Pologne et ailleurs à la chute du mur de Berlin. Les délinquants y étaient élevés à la dure. Un vrai bonheur de pédagogie fasciste. Résultats : ces jeunes cassés ont nourri les rangs des mafias des pays de l’Est et en ont tellement bavé adolescents que plus rien ne les émeut.

Article d’Étienne Liebig dans Siné mensuel de mars 2023.

Catégories
Économie

Pouvoir d’achat et structure de l’emploi

Fin novembre l’Insee a publié une étude sur les salaires avec ce message : « Le pouvoir d’achat du salaire net dans le secteur privé a progressé de 17,8 % entre 1996 et 2020 » […]

Par construction, une moyenne reflète une diversité de situations. Les cadres d’entreprise, par exemple, gagnent aujourd’hui près de trois fois plus (2,9 fois) que les ouvriers non qualifiés.
À qualification donnée, certains secteurs d’activité sont aussi plus rémunérateurs que d’autres. La composition de l’emploi a donc un impact direct sur le salaire moyen. Si la proportion de cadres augmente, le salaire moyen par emploi progresse mécaniquement, même sans hausse des salaires individuels. […]

Résultat : entre 1996 et 2020, l’effet de structure lié à la hausse de la qualification s’élève à 14,4 %. Du coup, la hausse du pouvoir d’achat fait pschitt : à peine 3 % en vingt-quatre ans (au lieu des 17,8 % affichés par l’Insee), autant dire rien (0,1 % par an). Attention aux trompe-l’œil ! À la longue, ça trompe énormément.

L’histoire ne s’arrête pas là, car la stagnation du pouvoir d’achat des salaires a commencé bien avant 1996.
En 1989, un rapport du Centre d’étude des revenus et des coûts (Cerc) – fermé en 1993 par Édouard Balladur, alors Premier ministre – soulignait déjà que le « très léger gain de pouvoir d’achat » observé entre 1982 et 1988 était entièrement dû « à la qualification croissante de la main-d’œuvre ».
C’était le résultat de la politique de modération salariale lancée par le gouvernement socialiste de l’époque à l’issue de la période de blocage des prix et des salaires en 1982-1985.
En 1996, une étude de l’Insee avait analysé les séries longues de salaire publiées par l’institut sur la période 1950-19956. L’étude confirmait et précisait le diagnostic du Cerc. Elle montrait qu’après avoir fortement augmenté entre 1951 et 1978 (de 3 % à 4 % par an), le pouvoir d’achat des salaires nets des différentes catégories de salariés avait « tendance à stagner depuis 1978, « voire à régresser dans la première moitié des années 1990. En conclusion, notait l’étude, depuis 1978 « l’augmentation du salaire net moyen s’explique intégralement par l’effet de structure ».

En résumé, depuis plus de quarante ans, si le pouvoir d’achat du salaire net moyen a légèrement augmenté, ce n’est pas parce que les salariés sont mieux payés. mais parce qu’ils occupent des emplois plus qualifiés.
Dit autrement. depuis 1978 le prix du travail a juste suivi la hausse de l’inflation. Pas de gain de pouvoir d’achat.

Le constat est encore un peu plus accablant, si c’est possible, du côté des salariés de la fonction publique. Avec une mesure du salaire net comparable à celle du secteur privé – une fois gommé le trompe-l’œil de la hausse du niveau de qualification -, le pouvoir d’achat du salaire net moyen a baissé de plus de 5 % entre 1990 et 2020. L’indice des traitements nets de la fonction publique – qui donne une mesure plus précise et plus complète de l’évolution du pouvoir d’achat à qualification constante – affiche de son côté une baisse de pouvoir d’achat de plus de 15 % sur les vingt dernières années.

Extraits d’un article de Pierre Concialdi dans Siné mensuel de février 2023.

Catégories
Environnement L'énergie en France

La dématérialisation

L’impact spatial et énergétique des data centers sur les territoires (Rapport Ademe 2019).
En 2021, on recensait 8200 data centers dans le monde. Il en existerait davantage pour répondre à l’accroissement exponentiel des données. La France, huitième au palmarès, en possède 250 dont 150 en région parisienne. Le dernier a été implanté à Plaine Commune (Seine-Saint-Denis), sur les 7 hectares de l’ancien site d’Eurocopter. Il est géré par Interxion, le premier groupe européen de data centers, qui réalise un chiffre d’affaires près de quatre fois supérieur à celui d’Air France.

Enfin, l’électricité. Non seulement toutes ces machines infernales coûtent un pognon de dingue, mais elles surconsomment. Pour elles, c’est ceinture et bretelles. « Ces cocons technologiques sont deux fois raccordés au réseau pour contrôler tout risque de panne que
provoquerait la moindre modification de la température ou une coupure de courant. D’immenses salles pleines de batteries ont été installées. Ces piles géantes sont changées tous les trois ans, sans avoir été utilisées. » Un gaspillage vertigineux pour éviter l’impensable dans ce monde de l’hyper profit : que des milliards soient empêchés de circuler chaque seconde. Globalement, le numérique est énergivore dans des proportions délirantes. Quelques chiffres : la consommation en électricité d’un data center moyen est équivalente à celle d’une ville de 50 000 habitants ; l’ensemble des data centers de l’Île-de-France consomme l’équivalent de deux réacteurs de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, dans l’Aube ; aujourd’hui, le secteur du numérique avale 10 % de l’électricité mondiale. En 2025, il pourrait engloutir 25 % de la production (projection du think tank français The shift Project). Une démesure que rien ne semble pouvoir freiner. Et on nous parle de cols roulés…

Extrait d’un article de Véronique Brocard dans Siné mensuel de janvier 2023.

Catégories
Médias

20 heures, émouvoir et divertir

C’est du domaine de la colère intérieure, du haut-le-cœur muet devant sa télé, de la bouche bée devant un système jean-foutre. Ne pas compter sur ces gens-là pour te raconter ce qui est essentiel ici et dans le monde. Une fois passés les titres et les choix d’ouverture des journaux du soir ou du matin, une fois digérés le fait divers et la météo d’exception, bien sûr sans trop s’appesantir sur le contexte de changement climatique, voici les reportages à l’étranger.
En Israël, du spectaculaire, de l’innovant : des drones qui cueillent les pommes. Belle réalisation technologique longuement démontrée au pays où sévit l’apartheid puisque deux genres de citoyens sont clairement identifiés. Mais là – c’était sur France 2 -, pas question d’y faire référence, pas de reportage non plus sur les morts palestiniens, les destructions de maisons arabes au profit des colons et les exactions de l’armée occupante.
Non, les pommes d’abord ! Ainsi l’arrivée d’un gouvernement d’extrême-droite tout comme la répression menée par Israël contre les Palestiniens de Cisjordanie ne sont pas dignes d’intérêt ! Les pommes, vous dis-je.

Et c’est comme ça pour bien d’autres lieux étrangers. Sauf l’Ukraine, où la guerre oblige à respecter le travail des reporters. Mais en Afrique, les reportages sont des cartes postales, sur des safaris et des sites géographiques ; en Nouvelle-Calédonie – Certes c’est la France, mais c’est si loin… – on nous montre des touristes bien blancs, bien riches, en train de se pâmer devant la couleur bleu azur d’un lagon…
Désormais, le journalisme pratiqué et diffusé dès le second quart d’heure du JT est un divertissement. Dans le sens premier : divertir, c’est à dire conduire le regard vers autre chose, se tourner vers ailleurs.

Ah, heureusement, il reste quelques faits divers bien crapoteux pour assurer l’émotion et l’audience. Ainsi va la course médiatique, soucieuse de ne pas trop troubler le spectateur et d’éviter l’écart entre rumeur et réalité en se déportant vers de bien belles images tournées pour faire rêver et dignes d’alimenter les bavardages du lendemain.

Pas étonnant que la confiance dans le travail des journalistes se traîne en queue de peloton des enquêtes d’opinion. Pas surprenant que le nombre de téléspectateurs soit à la baisse. C’est inquiétant pour ce métier d’information où, chaque jour, il conviendrait de se demander ce qui est important, quelle est la hiérarchie des faits à rapporter. Mais je raisonne comme un sot nourri d’autrefois alors que la vague des jean-foutre caracole sur les réseaux télévisés à flux continu.

Article de Claude Sérillon dans Siné mensuel de décembre 2022.

Catégories
Société

Le bonheur des fonctionnaires

La glissade se fait sentir depuis des décennies. Selon les données du Snes-FSU, nos chères têtes blondes et moins blondes auront moins de profs en 2022. Dans 62% des établissements scolaires, un instit manque à l’appel depuis septembre. Idem chez les soignants où, rien qu’à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), on continue de faire tourner la machine avec 1000 postes d’infirmiers vacants. La jeunesse, cette ingrate, ne se laisse plus séduire par la sécurité de l’emploi. Entre 1997 et 2018, le nombre de candidats aux concours de la fonction publique de l’État est passé de 650000 à 228000.

[…]

Dans les tribunaux, les magistrats se lèvent, se barrent, et le font savoir. C’est le cas de… […]

 

Le fossé entre l’idéal et la réalité est encore plus large dans la protection de l’enfance. Riley, assistante éducative en milieu ouvert, l’observe depuis des années et commence à craquer : « je viens d’être arrêtée pour surmenage. D’après mon médecin, je suis à la limite du burn-out. Je suis une passionnée et aujourd’hui mes valeurs ne sont plus en accord avec la réalité de mon métier. On me demande de protéger des enfants, d’accompagner des familles, et on ne me donne pas les moyens pour le faire. Les derniers placements d’enfants ordonnés par un juge, donc par une personne qui reconnaît que ces gamins sont en danger, n’ont débouché sur rien. Faute de place en centre ou en famille d’accueil, ces enfants sont laissés au domicile de leurs parents. » Un crève-cœur pour celle qui continue à maintenir le lien avec ces jeunes battus ou maltraités le temps qu’une place se libère des semaines, voire des mois plus tard. « Personne ne se soucie de la culpabilité que ça entraînerait chez nous si un drame se produisait. De l’impuissance que l’on ressent tous déjà », ajoute-t-elle. Les pansements collés à répétition sur la jambe de bois de la protection de l’enfance, elle n’en peut plus. « Les politiques s’en foutent, de tout ça. Je suis partagée entre la culpabilité de partir et celle de me protéger et d’arrêter le social pour toujours. »

 

Ce choix cornélien, Vanessa aussi a dû le faire. Infirmière en unité de soins continus en réanimation, elle a quitté en 2021 le CHU dans lequel elle bossait depuis une dizaine d`années, pour sauver sa peau et sa santé mentale […]

Extraits d’un article de Ludovic Clerima dans Siné mensuel de novembre 2022.

Catégories
Médias

Des médias à pleurer

Quelle tristesse! Quel drame!
La reine des Britanniques a cassé sa pipe en or à 96 ans dans sa propriété de Balmoral – 20000 hectares, 50 employés à demeure, plus de chambres que tous les palaces parisiens réunis – entourée de sa famille. Quelle terrible fin. On ne la souhaite à personne. La seule bonne nouvelle dans cette horrible tragédie est venue des radios, télés et journaux qui, pendant quarante-huit heures, n’ont parlé en boucle et non-stop que du décès de la Queen.
Plus de guerre en Ukraine, plus de dérèglement climatique, plus d’économies d’énergie à faire, plus d’inflation, plus de problème de pouvoir d’achat, même plus de Macron. La reine devrait mourir plus souvent!
Les médias, dans leur ensemble, ne cessent de nous surprendre. Gorbatchev meurt quelques jours plus tôt, les voilà qui survolent le sujet entre Paul Pogba qui aurait marabouté Kylian Mbappé et une histoire de char à voile pour les déplacements du PSG.
C’est un choix éditorial entre celui qui a changé le monde et celle qui a passé sa vie à changer de demeure.
Des médias que je remercie au passage.
Les journalistes du PAF m’ont enfin ouvert les yeux : « La France est triste. » « C’est la sidération dans tout le pays. » « Les Français pleurent la reine. » « La reine avait conquis nos cœurs… » Heureusement qu’ils sont là pour nous informer. Grâce à eux, j’ai découvert, ébahi, que j’aimais la reine.
Nous avons vécu minute par minute l’agonie, le trépas, la sidération, le recueillement, le voyage du cercueil, les déplacements du remplaçant écolo en avion privé, la famille à nouveau soudée, la fabrication des nouvelles tasses à thé, l’explication du protocole. Chacun y va de son témoignage poignant, et ça dure, la machine à niaiseries est en branle, on ne peut plus l’arrêter. Dans ce magma de platitudes, une phrase a retenu mon attention, elle est revenue à de nombreuses reprises : « Tant qu’on n’a pas vu le cercueil, on ne pouvait pas y croire. » Ça paraît con comme ça, mais cette touchante banalité m’a interpellé : est-ce qu’elle est vraiment dans la boîte ? Neuf jours, c’est long, ont-ils été obligés de l’empailler ? Y a-t-il un mannequin à l’intérieur ? Ou 200 kilos de cocaïne ! Pas bête, c’est la meilleure planque qui soit : elle a traversé tout le pays et personne n’oserait vérifier.
C’est dingue, dans un monde de progrès obligatoire et de modernité à tout prix, une vieille bourgeoise ringarde conservatrice ultra-traditionnaliste est considérée comme une icône. Serions-nous si paumés, en manque de valeurs et de repères ?
De ce point de vue, effectivement, la mort de la reine en dit long sur notre époque.

Article de Christophe Alévêque dans Siné mensuel d’octobre 2022.

Catégories
Environnement

Les cancres en écologie

Que ce soit Élisabeth Borne (Première ministre, chargée de la planification écologique et énergétique), l’invisible Christophe Béchu (Transition écologique) ou l’inénarrable Agnès Pannier-Runacher (Transition énergétique), aucun ne s’est rendu à la formation express proposée par des scientifiques lors de la rentrée parlementaire du début de l’été. Or celle-ci était fort intéressante : ces experts prenaient le temps d’expliquer le cycle du carbone, et l’implication de celui-ci dans le réchauffement progressif de l’atmosphère. L’occasion de comprendre qu’affirmer, comme Élisabeth Borne, qu’on va réduire les émissions de carbone, et en même temps autoriser l’ouverture d’un terminal méthanier, importateur de gaz de schiste, est contre-productif. Voire idiot.

 

Prenons un postulat audacieux : Élisabeth, Christophe et Agnès ont à peu près compris l’équation de base : émissions carbone balancées dans l’atmosphère en surplus = réchauffement = incendies et emmerdes, etc. Mais leur crayon s’emmêle si on introduit le BTP. Ils sèchent quand on leur démontre que plus de béton et de routes = plus de CO2 = plus d’emmerdes, etc.

Il est temps de leur ouvrir 1’esprit et de réfléchir autrement. La pensée systémique propose d’envisager tout sujet en partant du principe qu’il fait partie d’un système. Une façon de voir conduisant à favoriser le choix d’une politique posant comme postulat que l’humain fait partie d’un écosystème qu’il s’agit de ne pas bousiller. Fini les projets « structurants » prenant uniquement en compte leur « potentiel » économique (qui se révèle souvent pur fantasme).

Désormais, transports et énergie sont vus comme des maillons d’une chaîne, impliquant la ressource alimentaire (agriculture), mais aussi l’eau, le sol, la biodiversité, la gestion du carbone. Le tout en interdépendance. […]

 

Mais former Élisabeth, Agnès et Christophe à la pensée systémique, même professée par de grands pontes de l’économie et de la philosophie politique, ne suffira pas à leur faire oublier le mythe tenace de la technologie-viendra-nous-sauver à la sauce start-up nation. Ainsi l’argent va-t-il prioritairement arroser les innovations technologiques en agriculture, là où un soutien des activités agrobiologiques, et des petites structures, nous garantirait à coût bien moindre une alimentation de qualité (et du boulot pour les gens).

Expliquer à nos trois lascars que financer l’accès à la terre est une priorité, quand les grands groupes accaparent les meilleures parcelles. Leur parler système alimentaire local en mettant en avant l’exemple de villes en transition comme Lyon. Leur faire suivre le parcours de l’eau à l’échelle d’un bassin versant, afin qu’ils comprennent que creuser des bassines ne sauvera pas l’agriculture, pas plus que recueillir de l’eau dans un seau n’a jamais réparé un toit. Leur soumettre le principe d’attribuer des subventions en fonction non du poids des groupes de pression, mais de projets de territoire impliquant tout le monde, validés par des instances scientifiques (qui existent, y a qu’à les écouter).
Interdire à la FNSEA d’entrer dans le bâtiment pendant la formation. Et éloigner les suppôts de l’agriculture hightech sans paysan fantasmée par Xavier Niel.

Extraits d’un article de Blandine Flipo dans Siné mensuel de septembre 2022.

Catégories
Politique

Pacte républicain

« Il y a toujours de la sueur de pauvre dans l’argent des riches » Eugène Cloutier
« La dernière ressource de la bourgeoisie est le fascisme » Léon Trotski

 

Darmanin n’est pas qu’un as de la fellation immobilière, il est aussi un faux cul de première.

Au soir du second tour des législatives, il commente : « … le RN a fait un très bon score. Entre Mélenchon et Mme Le Pen c’est malheureusement, je crois, on le constate, Mme Le Pen qui a plus… » blablabla. Le mot important dans cette phrase est « malheureusement », genre ça le consterne, la percée du Rassemblement national.
Évidemment, non seulement ça ne le consterne en rien, mais ça a tout pour le réjouir. Car c’était exactement le but des macronistes : faire le lit du RN.
Entre le premier et le second mandat, le nombre de députés fachos a été multiplié par dix. Leurs moues larmoyantes n’y changeront rien : ils ont refusé le pacte républicain auquel ils venaient de faire appel, quelques semaines auparavant, pour que Macron soit réélu contre Le Pen.
Au deuxième tour des législatives, on a 61 duels RN-Nupes. Dans 56 d’entre eux, les macronistes ont refusé d’appeler au barrage républicain. C’est un fait. Et c’est un fait que nous devons graver dans nos mémoires.
Nous, à gauche, avons joué le jeu du pacte républicain sans faillir. La gauche a voté Chirac en 2002. Macron en 2017. Macron en 2022. Pour barrer la route à l’extrême droite. On s’est fait violence, on y est allés à reculons, mais on l’a fait.
Macron favorise le RN, sa roue de secours. Parce qu’il défend sans faillir le grand capital, qui l’a financé. Quoi qu’il dise, quoi qu’il baratine sur le « ni droite ni gauche », il est du côté des ultrariches. S’il y a une chose que les possédants savent faire, c’est ne voter qu’en fonction de leurs intérêts. Avec le RN, leurs privilèges ne craignent rien. Comme ils n’ont rien eu à craindre pendant le nazisme, ni pendant le franquisme.
Et les pauvres qui persistent à voter contre leur camp sont encore assez nombreux pour laisser les riches les piller sans vergogne, leur pourrir la vie.

Article d’Isabelle Alonso dans Siné mensuel de juillet 2022.

Catégories
Politique

Les cabinets de conseil dans l’État

Connaissez-vous Éric Labaye ? […] Nommé à la tête de l’École polytechnique en septembre 2018, ce sexagénaire […] incarne l’interpénétration croissante de l’État et du privé mise en lumière par la commission d’enquête sénatoriale, à l’initiative de la sénatrice communiste Éliane Assassi consacrée à l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques.

Car, avant d’atterrir à la tête de la prestigieuse École polytechnique sur décision du Conseil des ministres, Éric Labaye était directeur général de McKinsey France, […] En 2007, en tant que directeur de McKinsey France, il siège à la commission Attali, dont un certain Emmanuel Macron est le rapporteur général adjoint. Ensemble, ils œuvrent à « la libération de la croissance française », objectif officiel de cette commission voulue par Nicolas Sarkozy, alors président. Dans la foulée, Labaye a même été le premier Français à entrer au comité de direction mondial du cabinet McKinsey en 2010.

On peine à comprendre comment cette carrière dans le conseil, aussi brillante soit-elle, a pu justifier son arrivée à la présidence de Polytechnique, fondée en 1794 pour pallier la pénurie d’ingénieurs dans la France d’après la Révolution. […]

Or les liaisons troubles entre la prestigieuse école et le secteur du conseil ne datent pas de l’arrivée de Labaye en 2018. De petits indices pas si discrets permettent de s’en apercevoir : ainsi, Lajaune et la Rouge, le journal des anciens de Polytechnique, consacre
chaque année un numéro spécial au secteur du conseil. […]

Dégât collatéral de cet engouement pour le secteur privé : en 2020, l’administration a recensé 21 cas de pantouflage chez les anciens élèves de Polytechnique. Autrement dit, ces X ont filé directement vers des entreprises au lieu de servir l’État pendant dix ans, comme la loi les y oblige. En conséquence, ils sont tenus de rembourser des frais de scolarité pouvant s’élever jusqu’à 31 000 euros. Une paille en regard des salaires auxquels leur formation leur permet de prétendre, notamment dans les cabinets de conseil et pas seulement, bien sûr, chez McKinsey.
Selon le rapport du Sénat, « l’École polytechnique dispose d’un réseau de partenariats étendu : on dénombre quinze accords avec des cabinets de conseil, pour un montant annuel évalué à près de 2 millions d ‘euros. Ses principaux partenaires sont Accenture (1,1 million d ‘euros par an) et Capgemini (831 000 euros) ».
Dès lors, on retrouve en politique des personnages qui sont le pur produit de cette proximité entre Polytechnique et les cabinets de conseil. On frôle même la caricature avec Paul Midy, directeur général de La République en marche et candidat aux législatives face à Cédric Villani dans l’Essonne. Cet ancien polytechnicien de 59 ans, passé par l’UMP, a travaillé de 2007 à 2014 chez McKinsey avant de devenir brièvement directeur général de Frichti, start-up de livraison de repas. Guère étonnant de croiser désormais ce type de profil quand on sait que McKinsey, parmi d’autres cabinets de conseil, a fourni des prestations bénévoles à la première campagne d’En marche.

Quant à Éric Labaye, souligne Marianne, c’est lui qui aurait imaginé dès 2012, dans une publication consacrée au marché de l’emploi en France, l’une des réformes libérales les plus dévastatrices pour le salariat de ces dernières années : le plafonnement des indemnités aux prud’hommes.
En réalité, dès l’ouverture du premier bureau de McKinsey à Paris en 1964, le cabinet a commencé à cibler les polytechniciens « très influents dans l’industrie » et obtenu rapidement des missions lucratives dans de grandes entreprises françaises comme Air France, Renault, Rhône-Poulenc, etc. Cette omniprésence, discrète à l’origine, s’étale désormais au grand jour. Et Polytechnique s’impose comme la voie royale pour atteindre le cœur de l’État.

Extraits d’un article de David Lord dans Siné mensuel de juin 2022.