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Le terrorisme selon Darmanin

Le moment est peut-être venu de flipper un peu sérieusement. Il ne s’agit évidemment pas de se recroqueviller dans la peur : c’est même tout le contraire. Mais le moment est sans doute venu de prendre l’exacte mesure de ce à quoi nous sommes confrontés avec le macronisme – qui libère dans l’époque une violence tout à fait inédite dans le dernier demi-siècle.
Et l’interview de Gérald Darmanin publiée ce 2 avril 2023 par Le journal du dimanche (groupe Bolloré) peut – hélas – nous y aider. Car il appert de cet entretien, où il délire sur « le terrorisme intellectuel » de ce qu’il appelle « l’extrême gauche » (comme il avait déjà fait quelques semaines plus tôt à propos d’un très imaginaire « écoterrorisme »), que ce ministre connu déjà pour ses déclarations homophobes sur le mariage pour tous, pour ses considérations infâmes sur les « troubles » liés selon lui à « la présence de dizaines de milliers de juifs en France » à l’époque napoléonienne, ou pour son aptitude à citer sans ciller un historien antisémite et monarchiste lorsqu’il intervient à la tribune de l’Assemblée nationale – il appert, disais-je, que ce ministre prépare ses clientèles extrême-droitières à des lendemains qui seront, pour nous qui refusons de nous accoutumer aux raidissements autoritaires du macronisme, extraordinairement dangereux.
Car lorsque dans cette hallucinante interview il assimile ses opposant-es à des « terroristes », et installe donc dans le débat public l’idée, elle aussi infâme, selon laquelle ces protestataires appartiendraient au fond au même univers que les tueurs de masse de Daech, par exemple, Darmanin s’apprête évidemment, après avoir déjà fait donner l’armée contre les manifestant-es écologistes rassemblé-es il y a dix jours à Sainte-Soline, à déchaîner contre les rassemblements qui viendront, en même temps qu’il proteste de son attachement au « droit de manifester », une implacable violence policière.
Car bien sûr, avec des opposant-es, on peut en principe échanger. Tandis qu’avec des « terroristes » : on guerroie.
Mais il est vrai aussi que ce frénétique ministre aurait tort de se contenir, puisque aussi bien Le Journal du dimanche, loin de montrer pour ce qu’elle est sa fureur délirante, l’entérine au contraire – et fait dire par son appliqué directeur, dans un éditorial tout à fait orwellien, que Darmanin, confronté au péril de « l’ultragauche », fait preuve d’une admirable « lucidité » et d’un merveilleux « pragmatisme » : la prochaine fois qu’un-e manifestant-e sera mutilé-e par les forces de l’ordre nouveau macroniste, comme tant et tant l’ont déjà été depuis que M. Darmanin siège à l’Intérieur, il faudra avoir aussi une forte pensée pour ces excitateurs à carte de presse.

Article de Sébastien Fontenelle dans Politis du 06 avril 2023.

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Antifa, le jeu, censuré

Depuis des années, la droite et l’extrême droite, épaulées par leurs journalistes d’accompagnement (JD’A), se posent en victimes de la « censure » : on ne compte plus les couvertures de Valeurs actuelles (et d’autres) trompetant qu’ « on ne peut plus rien dire ».
Bien évidemment, c’est un mensonge. Et même un double mensonge. Car, d’une : dans la vraie vie, ces droites peuvent, hélas, très librement dire les pires vilenies et ne s’en privent assurément pas, comme chacun pourra en témoigner s’il s’égare sur les chaînes dites « d’info » ou « de divertissement » du groupe Bolloré. De deux : dans la vraie vie, ce sont ces droites et leurs JD’A qui encouragent et tolèrent la censure, comme l’actualité vient, très opportunément, et encore une fois, de nous le rappeler.
La Fnac vendait, jusqu’au 26 novembre, un jeu de société antifasciste, conçu par le très recommandable site La Horde et publié par les éditions Libertalia sous ce sobre titre : « Antifa, le jeu ».
Cette commercialisation d’un jeu formant à la résistance contre la haine d’extrême droite a, sans surprise, très fortement déplu à plusieurs élus réactionnaires et à leurs JD’A, qui s’en sont bruyamment offusqués. Elle a scandalisé aussi le Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), qui a confectionné, le 26 novembre, pour la dénoncer, ce tweet rageur; « Ce « jeu » est en vente à la Fnac. @Fnac un commentaire pour ainsi mettre en avant les antifas, qui cassent, incendient et agressent dans les manifestations ? »
Quelques heures plus tard, la Fnac, cédant vitement sous cette double pression droitière et policière, a très gentiment répondu, en reprenant les guillemets qui, dans le tweet du SCPN, suggéraient faussement que ce jeu antifasciste n’en était pas vraiment un : « Nous comprenons que la commercialisation de ce « jeu » ait pu heurter certains de nos publics. Nous faisons le nécessaire pour qu’il ne soit plus disponible dans les prochaines heures. »
Cette réponse a, elle, beaucoup plu à ces commissaires fâchés, qui se sont fendus d’un grand « merci ». Et qui ont donc remercié la Fnac d’avoir censuré un jeu antifasciste dont ils venaient de dénoncer la commercialisation.
Est-ce que les droites et leurs JD’A se sont alarmé-es de cette censure ? Non pas. Le directeur de Valeurs actuelles a plutôt demandé, sur une chaîne du groupe Bolloré : « Imagine-t-on la réaction médiatique et politique si « Militant patriote, le jeu », l’inverse du « jeu » antifa, existait ?
Pour ce journaliste engagé, « l’inverse » d’un-e antifasciste est donc un « militant patriote »: cet aveu, d’importance, dit au fond tout ce qu’il y a à savoir de ces droites qui aiment tant les censures qu’elles prétendent dénoncer.

Article de Sébastien Fontenelle dans Politis du 08 décembre 2022.

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Politique

Vente d’armes

La France d’Emmanuel Macron, après celle de François Hollande, a tranquillement continué, comme d’autres pays d’Europe, à livrer des armes jusqu’en 2020 à la Russie de Vladimir Poutine – dans le moment précis, donc, où ses armées ravageaient Alep après Grozny, et avant Marioupoi.
Interviewé la semaine dernière par Le Parisien, Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères de M. Macron, après avoir été celui de la Défense sous M. Hollande, a crânement déclamé qu’il refusait de « parler » de ce « sujet ». Mais il a tout de même tenu à « insister spécifiquement » sur le fait qu’il avait, en 2015, lorsqu’il était donc ministre de la Défense du président « socialiste », « mis en œuvre la décision de François Hollande de renoncer à la vente» de deux porte-hélicoptères Mistral au Kremlin, qui venait d’annexer la Crimée. Puis de fanfaronner: « C’était un acte politique et financier lourd. Nous avons pris, à ce moment-là, toutes nos responsabilités. »

C’est très beau. Mais, dans la vraie vie, les choses se sont passées un peu différemment. François Hollande, loin de vouloir « prendre toutes [ses] responsabilités » après l’annexion de la Crimée, assurait encore en juillet 2014 qu’il était hors de question pour lui de
renoncer à la livraison des bâtiments achetés (et payés) par la Russie.
Et c’est uniquement parce qu’il a été soumis à une gigantesque pression internationale – des États-Unis, en particulier – qu’il s’est finalement résolu, deux mois plus tard, à ne pas livrer ces navires à Moscou, qui les avait déjà payés.

Dans la vraie vie, Le Drian lui-même, qui se targue donc de l’avoir mise en œuvre et la présente aujourd’hui comme un pur moment d’éthique, n`était pas du tout favorable à l’annulation de cette vente. Il a même expliqué – sans rire – qu’il s’agissait de « bateaux » qui n’étaient « pas armés », et qui par conséquent ne pouvaient pas être véritablement considérés comme des navires « de guerre » avant leur arrivée en Russie. (Cette kalachnikov n’est pas du tout un fusil d’assaut, voyons : elle n’est pas chargée.)

Mais la suite – que le ministre, probablement sous l’effet d’un accès de pudeur, n’évoque pas dans l’entretien publié par Le Parisien – est encore plus intéressante. Et édifiante – ô combien. Car l’annulation de cette livraison coûtait cher à la France : il fallait rembourser aux Russes le petit milliard d’euros qu’ils avaient déboursé pour l’achat des deux porte-hélicoptères.
Alors François Hollande, toujours flanqué de son fidèle Jean-Yves, a cherché une bonne âme susceptible de les racheter. Et, par chance, il l’a trouvée. En la personne du principal client de l’industrie française de l’armement : le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi. Le fameux démocrate qui, selon Amnesty International, foule quotidiennement aux pieds les droits humains. Et qui a finalement acquis en septembre 2015, pour 950 millions d’euros, les deux navires de guerre dont la livraison à la Russie avait été annulée.

Article de Sébastien Fontenelle dans Politis du 24 mars 2022.

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Médias

Europe1, indépendance et pluralisme

Le l7 juin, la société des rédacteurs et l’intersyndicale d’Europe 1, constatant que Vincent Bolloré était en train d’ « arrimer » cette radio « à l’antenne de CNews », ont estimé, dans une tribune publiée par Le Monde, que leur station allait « perdre » dans ce rapprochement annoncé « ce qui lui reste de plus précieux : son capital de crédibilité auprès des auditeurs ». Puis d’insister: « Nous estimons qu’un tel positionnement tourne le dos à ce qu’a toujours été Europe 1 depuis sa création : une radio d’information et de divertissement indépendante, plaçant le pluralisme au cœur de sa ligne éditoriale. Nous refusons de devenir un média d ‘opinion. »

Quelques jours plus tard, Le Monde a lui aussi jugé, dans son éditorial du 23 juin, qu’Europe l ne devait pas devenir « un média d’opinion ». Mais qu’est-ce, au juste, qu’un tel média ? Il s’agit, nous dit le dictionnaire, d’un média « qui se situe dans une ligne politique, intellectuelle déterminée » – et qui, selon ce même dico, ne devrait pas être confondu avec un média « d ‘information ». Cette définition est intéressante. Car elle impose immédiatement l’évidence que, dans la vraie vie, Europe 1, où défilent depuis de très longues années des chroniqueurs (et autres experts) communiant très majoritairement dans l’acclamation du réformisme gouvernemental, est déjà, et de très longue date, une station d’opinion – qui estime par exemple que la réforme des retraites est « inévitable », et même « assez juste », parce que oui, bien sûr, « il faut travailler plus ».

Mais bien qu’elle soit donc – insistons-y – éminemment politique, cette ligne-là, qui par une amusante coïncidence se trouve être aussi celle dans laquelle se situe Le Monde a été si profondément intégrée par ces médias dominants et va, de leur point de vue, tellement de soi qu’ils ne la
regardent plus comme une opinion : c’est ce qui leur permet de saluer en chaque nouvelle réforme antisociale une amélioration nécessaire et urgente de nos conditions de vie, tout en se racontant qu’ils restent des phares de l’équanimité journalistique.

On peut évidemment comprendre l’inquiétude – ô combien fondée – des salarié-es d’Europe 1 qui se trouvent pour de bon confronté-es à la bollorisation de leur station : personne n’envisage sans effroi d’être précipité dans le terrifiant univers de la zemmourerie ordinaire. Mais ça serait quand même bien qu’ils et elles ne profitent pas de notre compassion pour essayer de nous fourguer l’énorme bobard selon lequel les frénésies néolibérales auxquelles leur radio a tant sacrifié – sans que jamais ils et elles ne s’en alarment comme d’autant de possibles atteintes à son « capital de crédibilité » – relèveraient de la rigueur informative, plutôt que de l’imposition, là aussi, d’une doctrine droitière.

Article de Sébastien Fontenelle dans Politis du 1er juillet 2021.

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Politique

Agir contre les discriminations

Les bonnes actions de M. Macron

On entend et on lit beaucoup, depuis son élection, qu’Emmanuel Macron entretiendrait avec la vérité un rapport un peu ductile. C’est très exagéré, et assez injuste, car il arrive aussi qu’il fasse ce qu’il dit qu’il fait. Le 12 février, il a par exemple tweeté, à 6 heures 17 du matin : « Face aux discriminations, nous répondons par l’action. »
Et cela est vrai: face aux discriminations, Emmanuel Macron et ses collaborateurs agissent. Au mois d’octobre 2019, le chef de l’État français a ainsi accordé à un magazine d’extrême droite qui avait quelque temps plus tôt été condamné pour « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les Roms » un long entretien dans le cours duquel il a notamment expliqué : « Il y a des emplois que vous ne ferez plus occuper à des Français, comme le métier de plongeur. […] Je préfère avoir des gens qui viennent de Guinée ou de Côte d’Ivoire légaux, qui sont là et qui font ce travail, que des filières ukrainiennes clandestines. »

Qui oserait, après cela – après qu’il avait si crânement revendiqué son intention de concéder quelques boulots éreintants à des « gens venus de Guinée ou de Côte d’Ivoire » (plutôt qu’à des « Français ») -, ne pas donner acte à M. Macron qu’il agit effectivement (et bellement, et vivement) contre les discriminations ?
Autre preuve, plus récente encore, de cette mobilisation du chef de l’État français et de ses collaborateurs : la semaine dernière, le ministre de l’Intérieur – le coruscant M. Darmanin, qui agit quant à lui depuis de longues années contre les discriminations, puisque dès 2013 il promettait par exemple de ne « pas célébrer personnellement » de mariages « entre deux hommes » ou « deux femmes » s’il était élu maire de Tourcoing – a lui aussi accordé un long entretien au même hebdomadaire.

Puis, quelques heures après la publication de cette interview, ce ministre exemplaire a redoublé son activisme contre les discriminations – en allant sur France 2 expliquer à Marine Le Pen qu’il la trouvait un peu trop « molle », avant de lui reprocher, clairement et distinctement, de « [dire] que l’islam n’est même pas un problème ».

Par cette infam… Par cette forte action, cet excellent homme a également contribué à une élévation notoire du débat public, où la dédiabolisation de la présidente du Rassemblement national consistait auparavant à présenter son discours comme normal (et, partant, acceptable) en dépit de son altérophobie, mais où M. Darmanin vient donc d’introduire la suggestion, inédite et très innovante, qu’il était plutôt anormal car insuffisamment altérophobe.
M. Macron ne s’y est d’ailleurs pas trompé, qui a, selon Le Parisien, immédiatement adressé à son collaborateur de l’Intérieur ses vives « félicitations » – avant de tweeter, quelques heures plus tard, cet admirable apophtegme : « La lutte contre toutes les formes de haine est un combat quotidien. »

Article de Sébastien Fontenelle dans Politis du 18 février 2021.

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Société

La mécanique raciste

Extrait du livre La mécanique raciste de Pierre Tevanian :
Si les races n’existent pas en tant que réalités biologiques, le racisme les fait exister en tant que croyances collectives, avec les effets performatifs que cela implique : l’expérience commune de la discrimination confère aux Noir(e)s et aux Arabes un rapport au monde et des intérêts communs qu’ils n’auraient pas si le racisme n’existait pas, et qui les distinguent radicalement des Blanc(he)s. Nier cette réalité en se contentant de clamer qu’il n’y a pas de races, pas de différences et pas de raisons de s’opposer revient à nier l’oppression objective et subjective que subissent les discriminés, et donc à les rendre implicitement responsables de leur relégation sociale.

Lutter réellement contre le racisme, c’est au contraire mener un combat déterminé pour l’abolition des clivages et hiérarchies de race, ce qui suppose au préalable de reconnaître leur existence. Il ne s’agit pas d’accorder une quelconque pertinence à la race au sens biologique du terme – et à tous ses succédanés : l’ethnie, la culture ou la religion dès lors qu’elles sont essentialisées – mais de prendre en compte le pouvoir performatif des fictions racistes et donc de reconnaître une effectivité des divisions et hiérarchies raciales.

Il s’agit en d’autres termes de récuser toute idée d’une infériorité naturelle ou culturelle des non-Blanc(he)s, mais de reconnaître, pour les combattre, tous les processus d’infériorisation sociale auxquels les non-Blanc(he)s sont soumi(se)s – et conjointement de récuser toute idée d’une supériorité blanche, occidentale ou « judéo-chrétienne » tout en reconnaissant qu’à niveau équivalent de richesse et de compétences, la discrimination systémique limite la concurrence et donc augmente pour les Blanc(he)s les opportunités d’accession au bien-être, notamment à l’emploi ou au logement.
C’est donc, pour les Blanc(he)s, adopter à l’égard de ce privilège une posture particulière, à égale distance de l’adhésion et de la dénégation, que j’ai nommée conscientisation et traîtrise.

Extrait cité par Sébastien Fontenelle dans CQFD d’avril 2017.

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Médias

Indépendance des médias

Le 16 septembre 2016, l’hebdomadaire Marianne consacre sa couverture et un épais dossier (dans lequel se trouve notamment un article discrètement moqueur sur les « bons copains journalistes » de François Hollande) aux « médias qui se couchent ».
Le directeur de la rédaction, Renaud Dély, se fend, pour l’occasion, d’un éditorial au vitriol, dans lequel il dénonce les « tares journalistiques qui font si souvent de cette caste d’infatués les obligés des puissants ». Soit, plus précisément : « L’ego, la vanité, la courtisanerie. »
Il fustige, également, et avec la même virulence, « ces élus ambitieux qui, dès leur entrée dans la carrière, tissent des réseaux dans les groupes de presse pour s’en faire des marchepieds de leur ascension vers le pouvoir suprême. »
Il précise : « François Hollande mise, lui, sur une autre faiblesse de l’âme humaine pour manipuler la presse : la servilité. Distribuant les audiences comme autant de faveurs à une foultitude de plumes flattées d’être courtisées par le Château, le chef de l’État sonde les âmes et les cœurs de rédactions soudain plus indulgentes pour [lui]. »

La charge est rude, mais courageuse. Elle est, aussi, rassurante, car elle dit bien qu’il reste tout de même, dans cette corporation gangrenée par le servilisme, quelques belles et fortes âmes pour résister – cependant que tant d’autres abdiquent leur indépendance – aux facilités de la génuflexion.
Sauf que.
Le 3 octobre 2016 – dix-sept jours, donc, après la publication de ce hardi prêche -, François Hollande remet, dans la salle des fêtes de l’Élysée, une cravate de commandeur de la Légion d’honneur à un certain Jacques Julliard, qui se trouve être l’éditorialiste vedette de… Marianne.
Dans l’assistance, triée sur le volet, où Manuel Valls côtoie Jack Lang et Alain Finkielkraut. « Les patrons de Libération et de Marianne devisent avec celui du Figaro ». Et c’est devant cette assemblée, où se dressent donc quelques farouches ennemis de la courtisanerie, que Jacques Julliard, comme le rapportera Le Monde, « passe », dans un discours, du « baume » au président de la République, qui « n’en attendait peut-être pas tant », mais en devient « rose de contentement ».

Ne pas s’y tromper, cependant : cette si folklorique saynète ne peut en aucun cas être comptée au nombre de celles, si justement décrites par Renaud Dély, où le chef de 1’État dispense des flatteries à des journalistes pétris d’obséquiosité. Car il est bien certain que jamais les fiers déontologues de l’hebdomadaire Marianne ne se seraient prêtés à une si caricaturale mascarade.

Article de Sébastien Fontenelle dans le mensuel CQFD de novembre 2016.

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Politique

Gérard Filoche et le PS

L’autre jour, sur Twitter, je suis tombé sur un bout d’une émission « politique » à la con – je sais que ça ressemble à un pléonasme – où Gérard Filoche débattait – je dis comme ça pour aller vite – de la loi dite El Khomri avec un autre mec du Parti « socialiste » (P « S »).

Gérard Filoche, tu sais, c’est ce garçon qui, depuis maintenant tant d’années qu’on s’épuiserait à les compter, hurle, de l’intérieur du P « S », qu’il est de gauche, lui, et qu’il n’a pas l’intention de se laisser emmerder par les tarbas de compétition qui veulent faire de cette formation une succursale ultra du Medef. C’est donc pas du tout un mauvais bougre, mais il lui arrive – t’auras compris – d’être un peu naïf, en même temps qu’un peu émotif – et dans ce bout d’émission à la con dont je te parle, il était carrément hors de lui, c’était genre il gueulait des trucs du style jaaamais je n’abandonnerai mon parti à des gens de droite, jaaamais, mais jaaamais bordel.
Je resterai planté là, et un jour viendra où Jaurès vaincra.
Gérard ? Assieds-toi : je t’apporte ici de – très – mauvaises nouvelles.
Gérard ? C’est trop tard : le P « S » est de droite.

Sa mutation en parti de droite est, depuis l’installation à la chefferie de l’État français de MM. Hollande et Valls (et à la vérité depuis bien plus longtemps encore, mais je ne veux pas trop t’accabler), complètement terminée – et ça serait bien, pour toi, pour ta propre préservation, que tu te fasses enfin le cadeau d’accepter de te rendre à cette évidence.
Même, Gérard : le « socialisme » régnant, est désormais plus dextre encore, par certains – beaucoup – de ses procédés, que n’était, en son temps, lorsqu’elle était aux affaires, l’autre droite – celle de M. Sarkozy. Drapé dans la célébration de l’époque antédiluvienne où des socialistes sans guillemets savaient encore un peu ce qu’était la honte, il règne par le cynisme et la brutalité. Vend des flingues partout dans le monde à des crapules surpatentées, et musèle ici les contradictions par des coups de force parlementaires et des coups de matraques policières. Il embastille des dissidents – à titre, certes, préventif, et pour des durées limitées : la belle affaire – et fait donner contre le peuple, en leur lâchant la bride, ses compagnies de sécurité, dans un déchaînement qui ne s’était plus jamais vu depuis l’année de la mort de Malik Oussekine. Il fait couler dans les rues du sang de manifestant, puis retourne se génuflexer, flanqué de ses syndicalistes d’apparence et de sa presse d’acclamation, aux semelles d’un patronat que stupéfie l’évidence qu’il n’a jamais été si passionnément léché que par cette « gauche » miraculeuse.
Il est rongé jusqu’aux tréfonds par une dégueulasserie dont chaque jour apporte une nouvelle démonstration – et sa « base » ferme sa gueule à triple tour, consentant donc triplement à ses vilenies quotidiennes.
ll est trop tard, Gérard. Ton parti est devenu celui des infamies, et je ne vois plus guère qu’une solution : tire-toi de là, et vite.

Article de Sébastien Fontenelle paru dans Siné mensuel de juin 2016.