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Le municipalisme

Force est de constater que les mouvements sociaux actuels, urbains comme « périphériques », semblent exprimer un même rejet des modes de « gouvernance » libéraux-autoritaires qui limitent la politique à une représentativité sans contrôle du « citoyen », « ne lui laissant que le loisir d’élire des candidats de plus en plus identiques et, éventuellement, de participer à des consultations très médiatisées dont les résultats ne seront jamais pris en compte » (citation de Janet Biehl).

Un an avant la colère des Gilets jaunes, en novembre 2017, une étude publiée dans Le Monde indiquait que plus de 40 % de Français étaient « enclins à essayer un système politique alternatif à la démocratie [représentative] ». Parmi eux, si 20 % penchaient pour des systèmes autoritaires, pour 40 % d’autres, l’alternative était dans « un système participatif horizontal, proche du conseillisme qui avait hanté le mouvement révolutionnaire au début du XXé siècle ».

Mais c’est un autre concept atypique, et par ailleurs connexe, qui commence à s’immiscer dans un champ politique complètement verrouillé : celui du municipalisme libertaire. Théorisé par Murray
Bookchin, penseur de l’écologie sociale, le municipalisme ne reporte pas l’action politique au Grand Soir mais veut « restaurer les pratiques et les qualités de la citoyenneté afin que les femmes et les hommes prennent collectivement la responsabilité de la conduite de leurs propres [territoires], suivant une éthique du partage et de la coopération, plutôt que de s’en remettre à des élites » (Janet Biehl toujours).

Le principe emprunte d’ailleurs à de multiples exemples historiques : la cité antique, les communes médiévales qui s’affranchissaient de la féodalité et de la monarchie, les town meetings (assemblées communales) de la Nouvelle-Angleterre au moment de la guerre d’indépendance américaine, les sections parisiennes de la Révolution française ou encore la Commune de 1871, etc.

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Aujourd’hui, les expériences municipalistes qui commencent à prendre forme aux quatre coins du globe se veulent des alternatives au rouleau compresseur de la mondialisation : dans les « mairies rebelles » d’Espagne, où des plateformes citoyennes ont remporté plusieurs élections municipales en 2015, comme dans les zones d’autonomie zapatistes du Chiapas ou au Rojava avec la tentative d’instaurer un confédéralisme démocratique.

Ces pratiques, expériences et réflexions partagent une même volonté d’exp1orer les multiples pistes de la démocratie directe : assemblées de quartier, institutions participatives, soutien à l’économie sociale et solidaire, consultations d’initiative populaire, féminisation de la politique, droits des étrangers, éducation populaire, municipalisation des services publics, de l’énergie, écologie sociale, etc.

Extraits d’un article de Mathieu Léonard dans le mensuel CQFD de mars 2019 (cet article est l’introduction d’un dossier consacré au municipalisme et au communalisme).

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La question sociale

Après les reculs de ces dernières années, la bonne nouvelle est que la question sociale se retrouve à nouveau au cœur des débats, secouant bien des léthargies. Elle a pris la forme d’une revendication pour le pouvoir d’achat et contre les injustices fiscales, mais aussi contre le mépris social des classes dirigeantes, le système représentatif ainsi qu’une défiance grandissante vis-à-vis des médias mainstream.

Autre indicateur déboussolant, tout s’est fait à la barbe des états-majors d’une gauche décomposée et des agendas syndicaux. Déconsidérés comme corps intermédiaires valables. ils ne représentent plus des forces de changement crédibles.

Certains ont vu dans cet apolitisme apparent des Gilets jaunes le faux nez de l’extrême droite. Or, comme le notent les philosophes Christian Laval et Pierre Dardot : « Il faut le dire et le redire ici avec force: si l’extrême droite a tenté de récupérer cette colère populaire, et si elle y parvient éventuellement, ce ne sera que par la faillite de la gauche politique et des syndicats dans leur fonction de défense sociale des intérêts du plus grand nombre. »

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On a d’abord glosé sur la composition « interclassiste » de ce peuple des Gilets jaunes, mais dans sa grande majorité, il s’est constitué d’un mélange de travailleurs précaires, de retraités modestes, de petits indépendants et de « classes moyennes fragiles ». Selon le sociologue Yann Le Lann : « Ceux qui se mobilisent sont des salariés qui n’ont pas les moyens de se mettre en grève. Parce que leur budget est trop contraint ou parce qu’ils n’ont pas les ressources politiques autour d’eux pour porter une revendication salariale auprès de leur patron. »

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Les groupes fascistes ont multiplié les interventions exploitant la candeur d’un mouvement ouvert aux quatre vents. Ainsi vit-on une banderole des identitaires contre le pacte de Marrakech à Lyon, une autre du Bastion social à Chambéry, une banderole antisémite sur un rond-point dans le Rhône et des « quenelles » à Montmartre le 22 décembre.

Si n’importe quel barjot, seul ou en bande, peut revêtir un gilet pour mettre en scène ses provocations opportunistes, ces signaux et dérapages posent l’impérieuse nécessité d’instaurer un cordon sanitaire vis-à-vis de ces influences funestes. De même, on se doit de rester vigilant sur la place des discours anti-immigrés, parfois affichés sur les réseaux sociaux et certains ronds-points, parfois totalement absents à d’autres endroits.

Toutefois, notons que c’est Macron lui-même qui a tenté de remettre la « question de l’immigration » et de « l’identité profonde » de la Nation sur le tapis ! Entendu sur le Vieux Port de Marseille : « Avec le sac et le ressac, l’écume des sales idées nationales-populistes devient très visible, mais au plus fort de la vague, c’est la question sociale qui emporte tout sur son passage. »

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Pourtant la polarisation sur Macron est loin d’être gratuite. Au-delà des fameuses petites phrases arrogantes incitant les gueux à bosser « pour se payer un costard  » ou à « traverser la rue » pour trouver un job, Macron n’est pas seulement le symptôme d’un rapport monarchique au pouvoir, il incarne pleinement les intérêts de l’oligarchie.
L’inspection des finances dont il est issu fait depuis des années figure de véritable Politburo qui applique mécaniquement les mesures ultra-libérales sans frein ni contrôle. C’est ce que le journaliste Laurent Mauduit a désigné au terme d’une enquête comme la « caste » (enquête sur cette haute fonction publique qui a pris le pouvoir) une haute fonction publique « noblesse d’État », qui se confond avec les milieux d”affaires dans une totale consanguinité. La colère jaune aura au moins servi à secouer cette impunité.

Extraits d’un article de Mathieu Léonard dans le mensuel CQFD de janvier 2019.

Dans l’édito du numéro de janvier de CQFD, j’ai également retenu  :

On ne mesurera jamais assez l’opiniâtreté qu’il faut pour peupler un rond-point. Irriguer de vie ces espaces inhospitaliers, entre froid, effluves de gasoil, coups de klaxon et rondes de flics. Debout autour d’un feu de palettes, les nuits sont longues.
Alors quand on parle du devenir du mouvement, Youssef désigne ses camarades « gilets ». Cette communauté qui asu briser plus d’un repli sur soi. Et il le dit tout net: « Même si on perd, on a déjà gagné. »

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Vue déformée des conflits à l’étranger

Le développement de l’action humanitaire depuis les années 1970 couplé aux guerres justes contre le terrorisme a gommé la dimension politique des conflits armés en Afrique. Marielle Debos, chercheuse en science politique, nous éclaire sur la nécessité de renouer avec une pensée du politique.

Les discours dominants tendent à les dépolitiser. Ces conflits sont traités soit comme des questions sécuritaires – il faut s’y intéresser parce qu’ils représentent une menace au-delà du continent africain -, soit comme des questions humanitaires – il faut s’y intéresser parce qu’il faut aller sauver les Africains-, beaucoup plus rarement comme des questions politiques.
(…)
Dans les années 1990, les conflits africains étaient d’emblée étiquetés ethniques. Aujourd’hui, la violence est présentée comme un problème avant tout religieux. Par exemple, les affrontements qui ont éclaté en Centrafrique en 2013 ont été interprétés comme inter-religieux, alors même que les lignes de clivage entre les forces politiques et les groupes armés étaient plus complexes qu’une simple opposition entre chrétiens et musulmans.
(…)
La Centrafrique est l’un des pays les plus pauvres du monde en dépit de l’exploitation des diamants, les ressources sont concentrées dans la capitale laissant les zones rurales dans des conditions d’extrême austérité. Les services publics, qui n’ont jamais bien fonctionné, ont été affaiblis par les programmes d’ajustement structurel imposés par les institutions financières internationales. Ces éléments sont cruciaux si l’on veut comprendre la violence politique qui a marqué l’histoire du pays et le conflit extrêmement violent qui a éclaté en 2013.
(…)
La radicalisation religieuse n’est cependant pas un processus qui se déroulerait uniquement sur le plan de la religion ou des idées. Pour comprendre comment des gens finissent par s’enrôler (ou par être enrôlés) dans de tels groupes, il faut prendre en compte leurs trajectoires sociales et le poids des contextes. S’intéresser à l’histoire des gens ordinaires qui à un moment de leur vie s’engagent dans des groupes violents permet une compréhension plus fine de la dynamique de ces groupes que la seule hypothèse d’une adhésion idéologique au projet djihadiste. On a besoin d’analyses qui considèrent la religion comme un fait social comme un autre et qui prennent en compte les processus multiples qui participent de la création et du développement des groupes armés.

Extraits d’un entretien entre Marielle Debos, chercheuse en science politique, et Mathieu Léonard du journal CQFD (mars 2015).