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Économie

Les champions nationaux

Attac et l’Observatoire des multinationales publient fin mai un nouveau livre pour déconstruire le mythe des « champions nationaux ». Selon cette doctrine, les grandes entreprises françaises seraient une bénédiction pour l’économie et la société et elles devraient être soutenues de manière inconditionnelle par la collectivité. […]

Le statut de « champion national » garantit un soutien inconditionnel de la part des pouvoirs publics : c’est simplement parce que Sanofi ou LVMH sont nominalement français qu’il faudrait les défendre, sans considération de leurs contributions sociales concrètes. Et si les discours des gouvernements et des milieux d’affaires se gargarisent désormais de « souveraineté », c’est en général pour justifier un soutien accru à un grand groupe privé ou à une poignée d’entre eux dans chaque secteur (numérique, énergie, agroalimentaire, etc.).
[…]

Cocorico! Les entreprises du CAC 40 sont devenues de véritables championnes du monde du dividende. Elles ont annoncé, au printemps 2023, un nouveau record de profits : 150 milliards au bas mot. Mais force est de constater que ce « pognon de dingue » profite aux actionnaires et aux dirigeants, et très peu aux travailleurs et travailleuses de ces mêmes entreprises, et encore moins à la société dans son ensemble. Bien pire : ces « superprofits » se nourrissent de la sueur et de la peine de la majorité de la population, puisqu’ils s’expliquent en grande partie par les marges supplémentaires que se sont accaparées les grands groupes sous prétexte d’inflation, ainsi que par les aides publiques et la baisse de la fiscalité.

Le gouvernement continue pourtant à faire comme si ce qui est bon pour le CAC 40 l’est aussi nécessairement pour l’économie et la société française dans leur ensemble. Quelles qu’en soient les justifications officielles, ses politiques économiques restent axées sur les intérêts des grands groupes : ce sont eux qui sont les principaux bénéficiaires de la croissance des aides publiques, de la baisse de la fiscalité, du détricotage du code du travail, de la libéralisation, du soutien à l’exportation, de l’assouplissement des régulations environnementales.

La diplomatie française est mise au service de Total Énergies, Sanofi, LVMH et Dassault pour les aider à signer des contrats, vendre des armes, exploiter des ressources naturelles partout sur la planète. Pendant que les multinationales sont ainsi choyées, les services publics dépérissent faute de crédits suffisants. Les petites entreprises et les diverses formes de l’économie sociale et solidaire doivent se contenter de miettes, les règles du marché unique européen et du commerce international étant conçues pour (et souvent par) les multinationales.

Extraits d’un article dans Lignes d’attac d’avril 2023.

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Économie Société

Sobriété collective et partageuse

Les limites physiques ont été trop longtemps ignorées : les ressources qui s’épuisent et les pollutions qui menacent la biodiversité et la survie de l’humanité imposent des remises en cause radicales de notre relation à l’environnement et de la primauté de la croissance économique.
Dans un monde où la rareté devient la règle, deux voies se présentent à nous : répartir équitablement les ressources de manière à, sauvegarder les usages essentiels, ou laisser un petit nombre les accaparer comme c’est le cas aujourd’hui. Les chiffres sont édifiants : les 10 % les plus riches consomment 20 fois plus d’énergie que les 10 % les plus pauvres, les 1% les plus riches émettent plus de CO2 que les 50 % les plus pauvres à l’échelle mondiale.
De plus en plus d’acteurs et d’actrices du monde associatif, académique, politique, économique appellent à une révolution copernicienne de l’organisation de notre société : les indicateurs financiers, comme le PIB, doivent laisser la préséance aux indicateurs environnementaux et sociaux, comme le bilan carbone, la consommation de ressources, la répartition des richesses. L’urgence d’un tel changement se fait plus pressant d’année en année.

La question de l’acceptation par la population d’une telle rupture et des mesures qu’elle suppose est souvent brandie pour justifier l’inaction. Or le Covid et le confinement ont contribué à faire évoluer nos attentes : ralentir, travailler moins, réfléchir au sens du
travail deviennent des exigences de plus en plus prégnantes. Et un mouvement indéniable est enclenché, en particulier dans la jeunesse, qui fait de la question environnementale une priorité absolue, au cœur de son choix de vie.
Il ne s’agit pas de minimiser les réticences, notamment d’une partie de la population prise dans « l’urgence de la fin du mois ». Mais l’exemple de la Convention Citoyenne pour le Climat, parmi d’autres, démontre que si l’on prend le temps du débat et de l’information,
les citoyennes sont prêt-es pour les nécessaires mesures de rupture.

[…]
Après avoir longtemps été caricaturé comme synonyme de régression, le concept de sobriété s’impose désormais dans le vocabulaire de ses plus farouches opposants d’hier. Il s’agit cependant le plus souvent d’un pur affichage visant à faire porter les efforts sur les plus pauvres en préservant les intérêts économiques des plus riches.

La sobriété doit être entendue dans une définition large : la préservation d’une planète habitable implique non seulement de réduire notre consommation d’énergie mais aussi celle de toutes les ressources – eau, métaux, biomasse, etc. L’impact délétère de nos modes de vie sur l’environnement ne se limite pas, en effet, au réchauffement climatique (pollution de l’air, de l’eau, des sols…).
Prise dans cette acception, la sobriété ne se résume pas à la « chasse au gaspi » et à l’injonction aux efforts individuels. Comme le relève une étude du cabinet Carbone 4, adopter un comportement « héroïque » ne suffirait pas : même si nous réalisions toutes et tous
les « petits gestes du quotidien » et les « changements de comportement plus ambitieux » (manger végétarien, ne plus prendre l’avion, faire systématiquement du covoiturage…), cela ne permettrait de réaliser que 25 % de l’effort nécessaire à l’atteinte de l’objectif de 2°C de l’Accord de Paris.
L’atteinte de ces objectifs multiples et complexes, tout comme l’adaptation aux conséquences déjà inéluctables de nos surconsommations, est avant tout un enjeu collectif qui impose de mobiliser tous les leviers : comportementaux, organisationnels et technologiques. Dans de nombreux secteurs, des leviers efficaces d’économies sont déjà à notre portée. Citons par exemple l’isolation des logements, la limitation de la vitesse sur routes et autoroutes, la diminution du poids des voitures, le développement des transports collectifs et du fret ferroviaire, le développement de l’alimentation végétale, bio et locale, notamment dans la restauration collective.

Extraits d’un article dans Lignes d’attac de janvier 2023.

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Économie

Amazon détruit l’emploi et élude l’impôt

Pour justifier le développement d’Amazon, l’argument des créations d’emploi est fréquemment invoqué par ses dirigeants. Pourtant, une étude récente sur la situation dans plusieurs pays européens, citée par Les Amis de la Terre, prouve le contraire.
« Pour le commerce non-alimentaire au sens large, si l’on établit le solde des créations/destructions pour les commerces de détail et de gros, la France a perdu plus de 80 000 emplois entre 2009 et 2018 » du fait du développement du e-commerce. L’étude démontre
que ce sont les commerces de proximité qui sont les plus durement touchés : « Un emploi créé dans les entreprises de plus de 250 salariés via l’expansion du e-commerce entraîne la destruction de six emplois dans les entreprises de moins de 250 salariés ». Et de conclure : « Les scénarios prospectifs prévoient entre 46000 et 87000 emplois détruits en France d’ici 2028 en fonction de la progression du e-commerce sur l’ensemble des secteurs étudiés (commerce de détail, de gros et 4 branches de services) ».
Les pertes d’emplois les plus importantes ont eu lieu dans le secteur de l’habillement.
Ce n’est pas tout : de nombreux emplois d’Amazon pourraient disparaître avec la robotisation des centres. De plus, Amazon livre déjà un tiers des produits en France depuis l’étranger et a délocalisé en Pologne ses entrepôts d’Allemagne de l’Est pour livrer outre-Rhin en profitant du faible coût du travail dans le pays.

[…]

Ainsi, dans un rapport publié en 2019, nous avions estimé qu’Amazon dissimule 57 % de son chiffre d’affaires réalisé en France, ce qui lui permet de déplacer une grande partie de ses bénéfices vers l’étranger. Cette estimation n’a jamais été contestée par l’entreprise. Depuis, nous avons appris qu’Amazon a réussi l’exploit de payer zéro euro d’impôt sur les sociétés dans toute l’Union Européenne en 2020 et 2021 – malgré des ventes dopées par les confinements – et cela grâce notamment à sa filiale luxembourgeoise.
Cette évasion fiscale massive a bien sûr des impacts négatifs sur les recettes fiscales des États où est présente Amazon. Elle renforce également la position prédominante d’Amazon vis-à-vis de ses concurrents, comme les commerces de proximité, qui paient en proportion de leur activité davantage d’impôts.
De plus, comme nous l’avons montré dans une note en décembre 2020, Amazon et les autres acteurs du e-commerce (Cdiscount, eBay, Wish…) profitent d’une fraude massive à la taxe sur la valeur ajoutée.
Cela renforce la concurrence déloyale vis-à-vis des petits commerces qui acquittent la TVA et doivent donc la répercuter sur leurs prix de vente.

Extraits d’un dossier dans Lignes d’attac d’octobre 2022.

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Santé

Vaccination indispensable, mais pas pour tout le monde…

Dès octobre 2020, l’Afrique du Sud, l’Inde et une centaine de pays en développement, faisant face à de grandes difficultés pour s’armer face à la pandémie du Covid-19, ont porté au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) une demande de levée temporaire des barrières de propriété intellectuelle sur les produits médicaux nécessaires pour mettre fin à la pandémie de Covid-19, appelée « waiver ».
Depuis un an et demi les pays riches, Union européenne en tête, freinent les négociations pour protéger les intérêts des grands groupes pharmaceutiques. Le waiver est un moyen de lever les obstacles juridiques qui empêchent des producteurs de génériques de produire des vaccins. Ce qui aurait permis, entre autres, de casser leur prix artificiellement gonflés par Pfizer et Moderna, et in fine d’augmenter la production et la distribution de vaccins dans les pays en développement.
L’Union européenne a créé une diversion en proposant dans un premier temps une contre-proposition au waiver, un statu quo qui reformulait les dispositions sur les licences volontaires et obligatoires déjà précédemment prévues. Depuis, elle a soutenu un nouveau texte jugé par la société civile comme encore plus restrictif que la proposition initiale de l’Union européenne. Ce compromis est bien loin de la demande de waiver et ajoute des complexités aux dispositions déjà existantes sur les licences. Il se limite aux vaccins, exclut les autres produits médicaux tels que les traitements et les diagnostics, ne concerne pas l’ensemble des limites liées à la propriété intellectuelle tels que les droits d’auteurs, les dessins industriels et les données non divulguées liées aux technologies médicales. Le compromis introduit des clauses et des obligations supplémentaires pour les États qui souhaiteraient produire les vaccins, comme des limites d’exportation qui signifieraient qu’un vaccin produit en Afrique du Sud ne pourrait pas être exporté dans des pays voisins non-producteurs de vaccin, limitant ainsi la viabilité commerciale de potentiels producteurs africains.
Ces négociations sur le vaccin anti-Covid créent un triste précédent. Celui où, même après une pandémie ayant coûté la vie à plus de 20 millions de personnes et causé le plus fort regain d’extrême pauvreté depuis plus de 20 ans, les pays riches ont refusé d’entendre l’appel des pays en développement et ont fait primer les intérêts d’une poignée de milliardaires du vaccin, véritables profiteurs de la pandémie. Des régions entières sont toujours très peu vaccinées, exposant ainsi la planète à l’apparition de nouveaux variants potentiellement plus dangereux.

Article de Sandra Lhote Fernandes, responsable de plaidoyer santé chez Oxfam France, dans Lignes d’attac de juillet 2022.

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Économie Société

Quel travail est essentiel ?

Au fond, quel travail est essentiel ?
Ce fut la surprise du premier confinement. Le monde, éberlué, découvrait que l’essentiel n’était pas de travailler pour produire des gadgets à renouveler tous les six mois. Les soignant-es – notamment les infirmières, sages-femmes et aides-soignantes – battaient le pavé depuis des années pour réclamer des postes, des moyens et de la reconnaissance, et cela dans la quasi-indifférence générale, surtout celles des gouvernants, et, d’un coup, ils étaient applaudis aux fenêtres.

 

Ainsi, pour faire société, c’est-à-dire pour aller vers « la civilisation des mœurs », comme disait le sociologue Norbert Élias, la priorité est de délibérer démocratiquement sur les finalités assignées au travail humain. La surprise du confinement est donc simultanément sa première leçon : éduquer, soigner, protéger, tels sont les enjeux mis au jour. Enjeux du présent et de l’avenir. En effet, donner enfin du sens au travail est le seul moyen de concilier les préoccupations sociale et écologique.

 

Avec le travail, c’est le fonds qui manque le moins Ésope et La Fontaine l’avaient compris, avant même Marx, « le travail est un trésor ». En l’occurrence, le travail accompli dans tous les services non marchands, qui échappent donc au règne du profit, est productif des choses essentielles, mais, de surcroît, est productif de valeur économique qui n’est pas soustraite à celle des marchandises mais qui s’y ajoute. On pouvait s’en douter, et quelques rares économistes iconoclastes le criaient dans le désert depuis longtemps, mais la sentence bourgeoise était la plus forte : tout ce qui n’est pas marchandise est parasitaire et argent gaspillé. Mais l’idéologie ne gagne pas à tous les coups car, un rappel à un peu de raison vient d’être adressé par l’Insee lui-même : les fonctionnaires sont productifs. Que ceux ou celles qui voudraient encore supprimer des postes par dizaines sinon centaines de milliers se le disent !

 

Mais le meilleur reste à voir : comment ce travail essentiel est-il productif ? S’agit-il d’un tour de magie ? La magie n’est pas dans l’argent, elle est dans la démocratie : la collectivité a un jour décidé qu’on devait apprendre et écrire à tous les enfants, soigner
tous les malades, et satisfaire aussi de nombreux autres besoins collectifs. Elle a donc validé par avance le travail de ceux et celles qui seraient affectés à ces tâches, hors de toute nécessité de passer par la case marché-profit-accumulation. Rien qu’en procédant à cette validation sociale par une décision politique démocratique, dont la seule condition est que celle-ci soit suivie d’une seconde décision : accepter démocratiquement qu’un impôt aussi juste que possible en vienne effectuer le paiement. « Travaillons, prenons de la peine » à définir ainsi le travail.

Extrait d’un article de Jean-Marie Harribey dans Lignes d’attac d’avril 2022.

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Politique

LVMH, Bernard Arnault et la justice

En 2019, le journal Fakir et François Ruffin s’étaient portés parties civiles contre le groupe LVMH pour avoir infiltré la rédaction du journal, et mis son ancien directeur sous surveillance. Grâce à une négociation discrètement menée, LVMH ressort sans dommage de cette sombre histoire.

Mi-décembre, LVMH signait une Convention judiciaire d’intérét public (CJIP) avec le procureur de Paris, lui permettant d’éviter tout procès et toute reconnaissance de culpabilité, en échange d’une amende de 10 millions d’euros. Selon François Ruffin, la juge ayant avalisé cette convention a motivé sa décision par le fait que cette convention « représente une solution rapide et efficace faisant rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat ».

Ces propos illustrent d’abord le manque de moyens de la justice française, qui en est réduite à accepter des marchandages d’apothicaires, plutôt que d’instruire sérieusement ses dossiers. Ils montrent également que la justice devient de plus en plus inéquitable, en fonction des accusés, en permettant à quelques privilégiés de s’absoudre ainsi de culpabilité. Bien que des personnes physiques restent mises en examen dans cette affaire, le groupe LVMH ne pourra plus être poursuivi en échange d’une somme, qui à son échelle, semble dérisoire.

Or, LVMH, propriété du milliardaire Bernard Arnault, est régulièrement pointée du doigt pour ses pratiques fiscales douteuses, qui limitent les ressources de l’État, et donc des services judiciaires. Ainsi, 305 filiales de LVMH se situent dans des paradis fiscaux (soit 27 %, le plus fort taux du CAC 40) dont 24 au Luxembourg. La Cour des comptes a montré comment Bernard Arnault et LVMH utilisent la fondation Louis Vuitton comme un outil d’optimisation fiscale leur ayant permis d’économiser 518 millions d’euros d’impôts.
Enfin, en 2021, le scandale OpenLux a révélé que Bernard Arnault possède 31 sociétés au Luxembourg (en plus des 24 filiales de LVMH). Sur les 31 holdings identifiées par Le Monde, à peine trois ont une activité identifiable. Quelque 634 millions d’euros de participations ne sont pas traçables à partir des comptes de ses sociétés.

Pour faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État, il semblerait donc pertinent de s’intéresser sérieusement à LVMH, champion français de cette compétition qui mine nos services publics et les fondements de notre démocratie.

Article de Pierre Grimaud dans Lignes d’attac de janvier 2022.

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Politique Société

Menace fasciste

Dans leur ouvrage Face à la menace fasciste, Ludivine Bantigny et Ugo Palheta décryptent les conséquences des politiques macronistes sur l’état politique de la France, alertant sur les signes d’un processus fascisant en cours.

[…] Ugo Palheta et moi sommes très clairs : il faut souligner très fermement qu’il n’y a pas de fascisme. Le régime n’est pas fasciste, la politique menée n’est pas fasciste à proprement parler, mais, outre le fait qu’il y a des groupes fascistes organisés, il y a aussi dans le monde médiatique des éditorialistes qui le sont de plus en plus et qui tiennent un discours extrêmement racialiste.
Ils prônent ce qui pourrait correspondre à la définition du fascisme : une aspiration à un pouvoir autoritaire, qui déciderait d’éliminer systématiquement ses opposants pour imposer une communauté fondée sur la nation et homogène du point de vue à la fois social et ethno-racial, du point de vue du genre, des mœurs, etc.
On peut parler de menace fasciste, plus précisément de traits de fascisation, qui s’inscrivent plus généralement dans une sorte d’extrême droitisation du débat public et de la politique menée au sommet de l’État.

On observe un pouvoir exercé de manière de plus en plus autoritaire. Il nous semble intéressant de rappeler ce que disait Antonio Gramsci sur la crise d’hégémonie. La tendance à la fascisation prend place dans une crise d’hégémonie, quand le pouvoir en place peut de moins en moins obtenir le consentement de la population et doit s’exercer de plus en plus sous une forme répressive.
Les menées factieuses de certains corps de police sont très révélatrices, quand les agents viennent intimider le Parlement et la justice en manifestant devant l’Assemblée par exemple. Il y a des traits de fascisation dans les traques contre les migrant-es ou quand des petits groupes fascistes s’en prennent à des librairies antifascistes.
On voit croître une violence d’État qui non seulement n’hésite pas à réprimer les manifestations, les mobilisations sociales, mais en outre légifère d’un point de vue sécuritaire et autoritaire, avec par exemple la loi « séparatisme » et la loi « sécurité globale ». Cette perspective de plus en plus liberticide s’accompagne d’un racisme de plus en plus structurel qui prend notamment les traits de l’islamophobie. Qu’une association comme le CCIF puisse être dissoute de manière parfaitement arbitraire sans que cela suscite une levée de boucliers, c’est très inquiétant.

Le pouvoir macroniste, pour qui ce n’était pas un programme au départ, a adopté cette dimension islamophobe, cette politique du bouc-émissaire, en cherchant à aller sans cesse sur le terrain du Rassemblement national.

Le deuxième ensemble de traits de fascisation s’observe dans la montée implacable de l’extrême-droite, en particulier en termes électoraux. Comme si désormais, il était tenu pour une évidence que Marine Le Pen soit au second tour. L’hypothèse de son élection n’est plus absolument lunaire.
Emmanuel Macron s’installe délibérément, et légifère, sur ce terrain. […] Cela l’amène à cette extrême-droitisation et à la tactique du bouc émissaire, qui passent aussi par la voix de ses ministres. Quand on voit un Jean-Michel Blanquer ou une Frédérique Vidal mobiliser le registre infâme de l’islamogauchisme, y compris au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, on est vraiment dans une surenchère terrible, qui n’a plus de freins.
Même chose avec la manière dont des opérations policières sont complètement validées, comme si le gouvernement ne tenait plus véritablement sa police.

Extrait d’un article dans Lignes d’attac d’octobre 2021.

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Économie Environnement

Le pillage du sud

Et si le frein au dérèglement climatique et à la destruction de la biodiversité venait des pays exploités ? Les politiques des banques et des gouvernements du Nord sont destinées à favoriser la mainmise sur les ressources naturelles nécessaires à sa « croissance (verte ou pas) et à l’enrichissement de ses multinationales et de leurs actionnaires. Ce « tapis rouge » déroulé aux multinationales d’extraction et à celles rachetant les services publics est un pillage, pérennisé par le maintien au pouvoir de dirigeants complices et par la dette, qui favorise le gaspillage des ressources et donc le ravage de la planète.
L’Afrique est victime de ce pillage qui détruit ses sols et spolie ses populations.

FMI et Banque mondiale, bras financiers du gaspillage et de la dette

Les pays d’Afrique offrent l’accès à leurs matières premières quasiment sans taxes ni cotisations sociales grâce aux accords de libre-échange (ou plutôt « accords de pauvreté économique », selon les militants locaux !), aux zones franches qu’on les oblige à installer au profit des multinationales délocalisées mais aussi aux « plans d’ajustement structurel » et autres « programmes d’assistance » du Fonds monétaire international (FMI) qui adaptent les législations aux besoins des pilleurs.

Ainsi, en Guinée, l’exploitation des terres riches en bauxite a pu être démultipliée, sans « ruissellement » pour le pays, à part celui des poussières dans les rivières et les sols, rendant l’eau impropre et les terres agricoles improductives. Bauxite transformée – ailleurs bien sûr – en aluminium, dont à Gardanne, près de Marseille, où le scandale des boues rouges n’est pas encore résolu.

Ces pays, manœuvrés par la Banque mondiale, consacrent ensuite les maigres revenus de leurs ressources à des barrages ou des routes utiles aux entreprises étrangères selon un processus bien rôdé. L’État africain contracte le prêt nécessaire au projet auprès d’une banque privée via les banques «de développement » puis Eiffage ou Bouygues fait le chantier, souvent aujourd’hui en sous-traitant à des entreprises chinoises la gestion de la main d’œuvre locale pour éviter d’assumer les conditions de travail, les accidents ou les émunérations. Ensuite, Bolloré vient tirer profit du terminal de porte-conteneurs ou de la voie ferrée transportant minerais ou produits agricoles, comme l’huile de palme au Cameroun. Selon une procédure similaire, Total parvient à se faire garantir par l’État français, via une filiale de l’Agence française de développement (AFD), un prêt pour exploiter le gaz du Mozambique.

Ces pays offrent enfin leur main d’œuvre sans contrôle des conditions de travail puisque l’Êtat, sur injonction du FMI, a réduit le nombre de ses fonctionnaires et a confié ses services publics à des partenariats public-privé. Partenariats contre le public et pour le privé, qui, selon la Cour des comptes européenne, ne sont pas « une option économiquement viable pour la fourniture d’infrastructures publiques » ; mais pour l’Afrique, pas de problème ! Une fois les services publics vendus, finis les contrôles, les visites sur sites… les multinationales sont libres de polluer et d’exploiter les populations. La corruption assure le reste des passe-droits.

Extrait d’un article d’Isabelle Marcos Likouka dans Lignes d’attac de juillet 2021.

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Environnement

Loi climat et résilience

En octobre 2019, 150 citoyen-nes ont été tiré-es au sort pour participer à la convention citoyenne pour le climat (CCC). Pendant 9 mois, elles et ils se sont emparé-es de savoirs complexes, les ont interrogés, discutés et passés au tamis de leurs propres expériences de vie très différentes socialement et économiquement. Ils ont proposé 149 mesures visant à réduire de 40 % les émissions de GES dans un esprit de justice sociale, conformément à leur mandat. Puis pendant des semaines et des semaines, ils ont présenté et expliqué leurs propositions à de très nombreux acteurs.

Au moment où démarre le débat parlementaire sur la loi climat, issue de ce processus, où en est-on ? De nombreux-ses membres de la convention affichent leur déception : « Notre travail a été réduit à peau de chagrin », « Le projet n’est pas du tout à la hauteur ». Une déception due au rabotage des propositions qui devaient être transmises « sans filtre » à l’Assemblée nationale.
Parmi les 149 mesures, seules 19 font l’objet d’une reprise intégrale, 25 ont été écartées et 75 sont reprises seulement partiellement, dans les domaines de la rénovation thermique, des transports, de la publicité, de l’agriculture (sansfiltre.les15O.fr). Les membres de la CCC ont rendu, fin février, un verdict très sévère sur le projet de loi climat que le gouvernement a transmis pour débat aux parlementaires.

Même amoindris, ces articles de la loi inquiètent encore de nombreux parlementaires pro-business de la majorité et les lobbyistes du privé, missionnés pour protéger leurs entreprises. Ces derniers n’ont pas compté leurs efforts pour mener un véritable travail de sape sur le projet de loi. Celui-ci est d’ailleurs parfaitement décrit par l’Observatoire des Multinationales dans le dossier « Qui veut la peau de la Convention climat ?« .

Un front commun d’associations et d’organisations s’organise pour intervenir dans cette bataille parlementaire et donner un large écho aux enjeux de la transition, dans un contexte de désastre sanitaire et économique étroitement lié à l’inaction climatique. L’occasion de mettre en lumière les mesures de justice sociale proposées par la CCC et les pistes de financement avancée. Attac y participera pour lutter contre cet avenir insoutenable que le gouvernement nous promet.

Article de Florence Lauzier dans Lignes d’attac d’avril 2021.

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Environnement Société

Avion et tourisme

Repenser le voyage pour en finir avec l’avion

Si le monde d’après doit être un monde avec un trafic aérien réduit, alors il va nous falloir repenser notre conception du voyage et des vacances. Finis les week-ends à Prague en vol low-cost ou la semaine à Bali pour décompresser. Or l’avion a pris une place de plus en plus hégémonique dans notre imaginaire : voyager, c’est partir loin et y aller vite, pour ne pas perdre de temps.
Faire se déplacer en avion et à bas coût de plus en plus de personnes constitue l’équation de la croissance du secteur touristique depuis 30 ans. L’essor de cette industrie va de pair avec celui de l’aérien: 58% des voyages internationaux ont été réalisés en avion en 2018, contre 46% en 2000, indique l’Organisation mondiale du tourisme. Qui sont ces passagers ?
En France, 30% de la population n’a jamais utilisé ce moyen de transport tandis que celles et ceux qui en ont les moyens le prennent de plus en plus souvent. C’est donc aux classes supérieures que revient la nécessité de modifier leur façon de voyager. Et si ce sont aussi ces mêmes personnes qui essayent le plus de réduire leur impact environnemental (lire l’engagement de façade des classes supérieures), les gestes du quotidien n’y suffiront pas. Pour réduire l’impact climatique du voyage, il n’y a qu’une seule solution : changer de moyen de transport et reconsidérer notre envie d’évasion.

Pour amorcer ce basculement, peut-être faut-il s’interroger sur ce qui motive ce désir ? « Notre relation au tourisme et la nécessité vitale de « partir » interrogent la qualité de notre vie quotidienne », note le sociologue Rodolphe Christin dans son Manuel de l’antitourisme. Serrer les dents toute l’année dans un quotidien désenchanté pour s’offrir trois semaines au soleil, est-ce là un horizon enthousiasmant ? Pour sortir de cette impasse, il distingue tourisme et voyage, afin de redonner du sens au second. D’un côté, le tourisme, plus proche du divertissement, tend vers une consommation du monde et n’exprime nullement le désir de rencontre de l’autre, tandis que le voyage conserve une dimension plus philosophique d’exploration de soi et de l’altérité. il livre quelques pistes : partir moins souvent mais plus longtemps afin d’éviter le syndrome de l’explorateur blasé, retrouver un rapport direct à la nature, privilégier la lenteur des déplacements…

Le slow tourisme devient une tendance, tandis que le flygskam (la honte de prendre l’avion) se répand, notamment parmi les jeunes. Cet été, la situation sanitaire a poussé de nombreux Français-es à repenser leurs escapades : au lieu de sauter dans un avion, beaucoup ont préféré les régions hexagonales plus proches. En ont-ils passé de mauvaises vacances pour autant ? Remettre en cause ses habitudes de déplacements, de logement, d’activités, peut-être est-ce déjà une manière de se mettre sur le chemin du voyage.

Article paru dans Lignes d’attac de janvier 2021.