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Pacte républicain

« Il y a toujours de la sueur de pauvre dans l’argent des riches » Eugène Cloutier
« La dernière ressource de la bourgeoisie est le fascisme » Léon Trotski

 

Darmanin n’est pas qu’un as de la fellation immobilière, il est aussi un faux cul de première.

Au soir du second tour des législatives, il commente : « … le RN a fait un très bon score. Entre Mélenchon et Mme Le Pen c’est malheureusement, je crois, on le constate, Mme Le Pen qui a plus… » blablabla. Le mot important dans cette phrase est « malheureusement », genre ça le consterne, la percée du Rassemblement national.
Évidemment, non seulement ça ne le consterne en rien, mais ça a tout pour le réjouir. Car c’était exactement le but des macronistes : faire le lit du RN.
Entre le premier et le second mandat, le nombre de députés fachos a été multiplié par dix. Leurs moues larmoyantes n’y changeront rien : ils ont refusé le pacte républicain auquel ils venaient de faire appel, quelques semaines auparavant, pour que Macron soit réélu contre Le Pen.
Au deuxième tour des législatives, on a 61 duels RN-Nupes. Dans 56 d’entre eux, les macronistes ont refusé d’appeler au barrage républicain. C’est un fait. Et c’est un fait que nous devons graver dans nos mémoires.
Nous, à gauche, avons joué le jeu du pacte républicain sans faillir. La gauche a voté Chirac en 2002. Macron en 2017. Macron en 2022. Pour barrer la route à l’extrême droite. On s’est fait violence, on y est allés à reculons, mais on l’a fait.
Macron favorise le RN, sa roue de secours. Parce qu’il défend sans faillir le grand capital, qui l’a financé. Quoi qu’il dise, quoi qu’il baratine sur le « ni droite ni gauche », il est du côté des ultrariches. S’il y a une chose que les possédants savent faire, c’est ne voter qu’en fonction de leurs intérêts. Avec le RN, leurs privilèges ne craignent rien. Comme ils n’ont rien eu à craindre pendant le nazisme, ni pendant le franquisme.
Et les pauvres qui persistent à voter contre leur camp sont encore assez nombreux pour laisser les riches les piller sans vergogne, leur pourrir la vie.

Article d’Isabelle Alonso dans Siné mensuel de juillet 2022.

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(Dé)union de la (vraie) gauche

V’là-t-y pas que je me fais engueuler par un lecteur ! Je vais être claire : j’adore que les lecteurs se manifestent. Contents, pas contents, qu’ils s’expriment ! Mais là, il charrie, l’ami Bernard, je me permets le prénom car il me tutoie d’entrée. On est entre nous, entre gauchos. D’après lui, mon soutien à Mélenchon n’est pas bien comme il faut. Je fustige l’ordre dispersé, ça le désoblige. On devrait s’aligner sans la ramener. Parmi quelques délicatesses peu bienveillantes, il me met en demeure : « Je ne me suis pas trompé, j’ai bien compris que tu rejoignais l’Union populaire et je l’espère pas pour y faire de la figuration […] il n’y a aucune honte à dire que Mélenchon est le meilleur et très largement au-dessus du lot. […] On ne peut pas soutenir un mouvement en étant un pied dedans et un pied dehors, c’est tout ou rien, on a suffisamment d’adversité comme ça ! »

On soutient un mouvement comme on veut, si tu permets. Le petit doigt sur la couture du pantalon, très peu pour moi. Voter pour le mieux placé, qui se trouve être aussi le plus brillant, le mieux préparé et le mieux entouré, donc voter Mélenchon, une évidence. Mais qu’on ne compte pas sur moi pour accabler les autres. L’ennemi, c’est la droite. Et la bête immonde est à nos portes. Tout ou rien ? C’est une blague ? Non. Certainement pas. Garder son esprit critique. Préférer gagner en n’étant pas d’accord sur tout plutôt que perdre en campant sur du chimiquement pur. Négliger les divergences. Virer la droite. Il sera temps de peser quand on aura réussi. Oublier les chapelles à la con. Tenir compte des autres, les respecter. C’est ça, être de gauche. Autrement c’est pas la peine.

Tout ou rien ? Bien ou mal ? Noir ou blanc ? Non merci. Pour moi, ça sera rouge. Multiple et flamboyant. Un arc-en-ciel à lui tout seul. Cerise, carmin, corail, écrevisse, vermillon, tomate, émotion, rage, vin, poivron, rébellion, plaisir, sang, coquelicot, cœur, drapeau… rouge !

Article d’Isabelle Alonso dans Siné mensuel de mars 2022.

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Nul, agressif et misogyne

Souvenirs, souvenirs…
Je vous raconte : je chronique chez Ruquier, et l’un des invités du jour a pondu un livre dont il vient faire la promo. Moi, vous me connaissez, j’ai la conscience professionnelle chevillée au corps. Je lis le bouquin de bout en bout, histoire de me sentir légitime pour en parler. Le bouquin est indigeste. Tellement taliban dans sa vision des femmes que j’en ai littéralement mal au bide. Vraiment.

Mais je ne suis pas inquiète : c’est tellement nul, agressif et misogyne que je me dis qu’il n’a aucune chance.
Je dis le mal que je pense du bidule. Tous les chroniqueurs sont d’accord, partagent une incrédulité navrée. Personne ne prend au sérieux les élucubrations du scribouillard, crispé et souriant, humble encore, qui se tortille sur son siège.
C’est un pamphlet, lui accorde-t-on.
Moi, je ne lui trouve aucune excuse mais je me dis que c’est un feu follet, il va s’éteindre de lui-même et on l’oubliera avant même d’avoir remarqué son existence. Il ne mérite même pas que je lève un sourcil indigné…
Ça se passait en 2006, sur France 2, dans On a tout essayé, animé par Laurent Ruquier.
L’auteur calamiteux s’appelait Éric Zemmour et je ne voyais pas comment il pourrait avoir du succès.
Je croyais savoir détecter un facho à distance. Je croyais connaître mes contemporains, je nous croyais à l’abri de l’extrême droite. Je ne voyais pas chez qui un tel discours pouvait trouver un écho.
Euh… C’est pas encore demain que je vais faire voyante extralucide…

Article d’Isabelle Alonso dans Siné mensuel d’octobre 2021.

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Religion et fascisme

La lâcheté se porte bien par les temps qui courent. On a beaucoup parlé de l’affaire Mila. L’ado a été passée aux rayons X, tout le monde la ramène sur son aspect, son âge, ce qu’elle a dit, ce qu’elle n’a pas dit, ce qu’elle aurait dû dire. Et comment elle fait le jeu de l’extrême droite. Ben voyons. On parle laïcité, blasphème, vilenie des réseaux sociaux. Mais on ne mentionne qu’au passage, sans creuser, les 50 000 menaces de mort et les tombereaux d’insultes machistes, lesbophobes aussi variées qu’ignobles qu’elle a reçus. Un raz-de-marée de merde. Pourtant le problème est là. Pas ailleurs. Foutredieu de cornecul de la mer molle !

Mais voilà, on a la trouille. Il y a de quoi : on pense, entre autres, aux centaines de victimes, à Samuel Paty décapité, comme ça, pour rien. Ça horrifie, oui. Alors quoi ? Mieux vaut ne pas faire de vagues ? La fermer ? Dire à Mila qu’elle aussi aurait dû la fermer ? C’est plus prudent ? Plus raisonnable ? Faudrait pas insulter la religion ? Autrement, on se fait couper la tête ? Sérieux ? Faut s’écraser collectivement ? Ne pas froisser les abrutis qui risqueraient de passer à l’acte ? Où est la limite, j’aimerais qu’on m’explique.
On le sait, pourtant, que quand on veut éviter la guerre en acceptant le déshonneur, on récolte les deux.

Ici en Europe, quand les cathos menaient la danse, on coupait des langues, on fouettait, on pendait les blasphémateurs. Aujourd’hui, dans de riants pays à intégrisme musulman, on fouette, on bastonne, on vitriole. Pour… des mots ! Y en a qui voudraient faire pareil ici. Jeter aux orties les décennies de lutte qu’il fallut à nos aïeux pour empêcher les fous de Dieu de nuire.

Tel le singe qui regarde le doigt quand on lui montre la Lune, on dissèque Mila pour que çà se voie moins qu’on se laisse intimider par les fascistes. Car les intégristes dits religieux sont juste des fascistes. Ils ont choisi la religion comme vecteur, mais leur seule valeur est la haine. Admettre qu’il faudrait ne pas blasphémer, c’est entrer dans le jeu des assassins.

Article d’Isabelle Alonso dans Siné mensuel de juillet 2021.

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Je n’aime pas le tourisme

Je n’aime pas le tourisme. Je le vomis, je l’exècre. Cette façon de courir le monde en se regardant le nombril et en collant sa pupille à l’objectif de son portable me court sur le haricot. Il y a entre le voyage, synonyme de découverte et de curiosité, et le tourisme de masse, synonyme de consommation désincarnée, le même gouffre qu’entre la dégustation d’un verre de morgon
et un gorgeon de Coca éventé.
Le tourisme est devenu une industrie, un ministère, de précieux points de PIB, 7 % pour la France, ça rigole pas. Ressource essentielle pour ces pays du Sud méprisés et colonisés le temps d’un été par des gens qui les appellent PIGS, porcs, le reste de l’année et, indifférents à ce qui n’est pas eux, se saoulent et attrapent des coups de soleil en surfant sur le décalage de niveau de vie
entre leurs pays autoproclamés vertueux et ces salauds de feignants qui font rien qu’à s’endetter.

Il y a aussi le tourisme exotique : plus c’est loin, plus c’est chic. Forme nouvelle de colonialisme, zoo inversé, on n’exhibe plus des aborigènes, on va les mater sur place. On ignore l’Histoire, on se contente de lire la brochure, on parle pas la langue, on se fout de savoir si c’est une dictature ou pas, on claque de la thune en masse pour recréer là-bas le luxe d’ici, et on rentre tout
faraud, soulagé d’être né ici et pas là-bas.
Mention spéciale aux paquebots de croisière, cyclopéens et hyper polluants, huit étages de fatuité, qui sont à la navigation ce qu’un concours de manger de saucisses est à la gastronomie. Au contact des quais de Venise réduits au nanisme, ils battent un record de plus, celui de l’obscénité conjuguée à l’absurde et à la laideur.
Mon père appelait ça voyager comme une valise. Quand on revient en n’en sachant pas plus que ce qu’en a perçu sa Delsey à roulettes, il est temps de changer d’option.
Bonnes vacances déconfinées de la tête !

Article d’Isabelle Alonso dans Siné mensuel de juillet 2020.

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Passer à la caisse

Les macronistes, Jupiter en tête, font leur tronche condescendante de premier de cordée et donnent dans la pédagogie patiente mais excédée qu’on réserve au cancre bas de plafond : « Ô peuple simplet à jaune gilet, vous rejetez les impôts, mais ne comprenez-vous pas, dans votre abrutissement populaire, votre sidération profonde, que si vous voulez des services publics en état de marche et un bilan carbone acceptable, il vous faut non seulement les financer, mais augmenter votre effort ? Écoles, hôpitaux, tribunaux, ça coûte une blinde, grattez-vous le fond des poches, bande de radins ! Pigé ? » Ce qu’on appelle prendre les gens pour des billes.

Imaginons un supermarché. On circule dans les rayons, on emplit son chariot avec la conscience aiguë qu’après, faut passer à la caisse. Au cas où on serait tenté de glisser un article en loucedé, des dizaines de caméras assistées d’antivols et de vigiles surveillent l’action. Alors on passe à la caisse.
Tous ? Non ! Dans ce supermarché-là, les plus gros chariots, croulant sous les gourmandises de luxe, bénéficient d’une issue spéciale : on passe tout droit, on paie pas ! Ce supermarché s’appelle Trésor public. La caisse gratis s’appelle évasion ou fraude, l’une étant la formule légale de l’autre, une échappatoire qui permet à des voleurs, déserteurs, de mettre à gauche (un comble) ce qu’i1s doivent à la collectivité. Faire payer les pauvres, épargner les riches. C’est ça qui jette les gens dans la rue. L’injustice. Énorme, flagrante, cynique. Pigé ? Non. Le macroniste ne veut pas le savoir, il n’est ni de gauche ni de gauche.

Article d’Isabelle Alonso paru dans Siné mensuel de février 2019.

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Les zexperts

Les zexperts sont formels : le populo, basique de la comprenette, asséché du compte en banque, a du mal à admettre que la dette, la vilaine dette publique (lire aussi Dette, 5000 ans d’histoire et D’où vient la dette ?), velue, pleine de pattes, dilatée, faut la payer. Fissa, fissa ! Qu’il se serre la ceinture ! Oui encore un cran ! Quoi ? Y a plus de cran ? Un petit effort ! Il reste bien un coin où gratter encore un peu de bénef ! Rogner sur écoles, hostos, routes, fonctionnaires, retraités, tout ça !

Il est vital de venir en aide aux patrons ! Non, pas à tous ! Aux gros, aux vrais, aux Gattazeux ! Ceux qui créent la richesse tout seuls avec leurs petits bras musclés ! Faut leur vaseliner le code du travail, leur fluidifier le transit, leur lubrifier le dividende, aux vautours du Cac 40… Qu’ils puissent enfin donner libre cours à leur soif de croissance, pour le bonheur général ! Allô ? C’est pas de croissance qu’ils ont soif ? De profit ? Quelle mesquinerie dans cette remarque, c’est bien les Français ça, z’aiment pas les milliardaires !

Que le gueux se fourre dans le crâne que cette croissance paiera la dette ! Autrement, bande de sales égoïstes, on lègue un fardeau dégueulasse aux générations futures ! Chaque bébé doit déjà 30 000 €, il paraît ! À cause de nous ! C’est moche.

Bon. Assez déconné. Les experts, enlevez les nez rouges, balayez les confettis et arrêtez la fantaisie. Non. C’est pas vrai. Les générations futures ne naissent pas avec notre très grande faute posée sur leurs petits bides. La dette, ils la paieront pas. Et nous non plus. La dette est un épouvantail pour nous faire rester dans le rang, nous tenir en respect et laisser les obèses du portefeuille se gaver à nos dépens. La dette est une fiction, un conte non pas à dormir debout mais à vivre couché
Les enfants, on va se battre pour eux. Leur léguer un monde où les fraudeurs du fisc feront des TIG (Travaux d’Intérêt Général) jusqu’à extinction de leur dette. Où on partagera ressources et travail. Où on bichonnera la planète. Où l’école cultivera la créativité des petits et pas ce sinistre esprit de compétition qui saccage l’humanité.

Article d’Isabelle Alonso dans Siné mensuel de juillet 2017.

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Économie Politique Société

La Résistance

La Résistance, celle de la Deuxième Guerre, ça fait vieillot, d’un autre temps. Pourtant, il faut jeter un œil dans ce rétro. Savoir d’où on vient, pour choisir où on va. La Résistance fut la réponse de Français très minoritaires et de pas mal d’étrangers (indésirables mais bienvenus quand il s’agit de mourir pour la France) à l’invasion nazie. À l’époque, l’extrême droite, la droite et le patronat choisirent le plus souvent Pétain et la collaboration.
À la fin de la guerre, le Conseil national de la résistance impose ses réformes à un patronat rendu muet par ses trahisons. Le sang des morts nous octroie Sécu, retraite, liberté de la presse, résistance aux puissances de l’argent…
L’extrême droite d’aujourd’hui est l’héritière directe de l’extrême droite d’hier. La gauche d’aujourd’hui est l’héritière de pas mal de saloperies (politique coloniale de la France, misogynie, imprégnation stalinienne, bureaucratie) mais aussi et surtout de l’esprit frondeur, inventif et joyeux des Lumières, de la Révolution, de la Commune, du Front populaire, de mai 68. Et, bien sûr, de la Résistance. Ce qui reste beau aujourd’hui vient de ce creuset-là.
Depuis trente ans, l’énergie du patronat consiste à « sortir de 1945… défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance » (1) ! Le tandem Hollande-Valls, d’un cynisme abyssal et d’une lâcheté stratosphérique, participe avec entrain à la démolition. Trahit les idéaux de la Résistance quand il urge, question de vie ou de mort, d’en appliquer l’esprit : « Faire en sorte que l’intérêt particulier soit toujours contraint de céder à l’intérêt général, que les grandes sources de la richesse commune soient exploitées et dirigées […] pour l’avantage de tous, que les coalitions d’intérêt […] soient abolies une fois pour toutes, et qu’enfin chacun de ses fils, chacune de ses filles puisse vivre, travailler, élever ses enfants dans la sécurité et la dignité…  » (2)
Je vous souhaite à tou-te-s une belle année de résistance active et imaginative.
(1) Denis Kessler, vice-président du Medef, octobre 2007. Plus clair, tu meurs.
(2) Charles de Gaulle, septembre 1944. Eh oui! Aujourd’hui, au Medef, ll ferait figure de dangereux gauchiste.

Article d’Isabelle Alonso dans Siné mensuel de janvier 2016.

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Santé

Le monopole de la distribution des médicaments

Et si au lieu de privatiser à tour de bras, on rendait à l’État, c’est à dire à nous tous, ce qui ne devrait jamais devenir un marché ? Si on arrêtait d’engraisser les lobbys pharmaceutiques ? On nous rebat les oreilles avec le trou de la Sécu. Trop de vieux, trop de malades pèsent sur les comptes.
Avons-nous les moyens de nos cancéreux, nos greffés, nos éclopés ? Il paraît que non. On fustige les abus des tricheurs. C’est quoi, un tricheur à la Sécu ? C’est quelqu’un qui prétend se faire soigner alors qu’il a même pas la carte vitale, le salaud ! Pauvre ou malade, il faut choisir.

Quand on sera redevenu un pays riche transpirant la grandeur, on pourra tomber malade, c’est promis. Mais là, on a plus les moyens. Va falloir ramener l’espérance de vie à la cinquantaine, autrement on est foutus.

Ça fait peur, hein ? Rassurez-vous ! Ça n’arrivera pas ! Les trusts pharmaceutiques n’aiment pas que les gens meurent, ça leur bouffe le bénef. Ils veulent des malades chroniques, sous traitement à long terme. Ils mettent au point des produits parfois inutiles, parfois dangereux, mais toujours remboursés. Par nous. Font de la pub, organisent des congrès de toubibs, lobbyisent à tout-va. Imposent leur loi.

Et si on se débarrassait de ces affreux ? Si l’État avait, comme en Suède, le monopole de la distribution des médicaments ? Imaginons des officines où on ferait exécutter les ordonnances. Des espaces sans publicité, sans marques, sans chichis, aux murs couverts de tiroirs. Derrière le comptoir, un préparateur assemblerait la quantité exacte de comprimés nécessaires au traitement. La Sécu rembourserait les pilules, pas les boîtes, flacons, blisters, opercules et autres emballages sophistiqués qui polluent la planète et alourdissent l’addition.

Les bazars à croix clignotante qui fourguent tout et n’importe quoi rejoindraient les très prospères parapharmacies, feraient du commerce.

Les groupes pharmaceutiques qui grugent la Sécu, vampirisent la collectivité et exploitent les malades auraient mangé leur pain blanc.

Article d’Isabelle Alonso dans Siné mensuel de novembre 2015.

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Politique Société

Un vieux truc démodé qui s’appelle l’hospitalité

Février 1939. Deux adolescents franchissent séparément les Pyrénées après des jours de marche sous les bombardements. Elle, parmi les civils, lui, avec l’Armée vaincue. Ils ont faim, ils ont froid, ils ont peur, et pas idée de ce qui les attend. Ils auraient plus peur encore s’ils savaient.
Au moment où ils passent la frontière, ils cessent d’être des gens. Ils deviennent des indésirables, comme les qualifient Daladier et la presse de droite, déchaînée. Ils pressentent que ceux qui les méprisent auront bientôt à subir des humiliations similaires face à Hitler dont personne n’ignore les ambitions. Mais pour l’heure, parqués dans ce que plus tard on appellera Hot Spots, des barbelés sur les plages glaciales, ils en sont à survivre.
Ils retournent en Espagne quelques mois plus tard. Ces deux ados sont mes parents.
Encore quelques années et la dictature les contraint à quitter l’Espagne de nouveau. Je suis la fille, ô combien fière, de ces réfugiés à répétition. Résistants. Survivants. Exilés à vie et citoyens exemplaires.

Aujourd’hui, soixante-seize ans plus tard, mes parents ont disparu, exile ultime. Les indésirables qu’ils furent présentèrent un jour le même aspect pathétique, désolant, inquiétant, que ceux qu’aujourd’hui la presse appelle migrants.

Aujourd’hui, d’aucuns, qui n’ont jamais entendu une bombe exploser, qui ont toujours su qu’ils allaient dormir dans leur lit le soir, qui ont toujours mangé à leur faim, installés dans leur certitude et la tiédeur de leurs foyers, estiment que les réfugiés devraient rester chez eux.

Les migrants, saute-frontière, clandestins, suspects, désignés coupables avant même d’être arrivés, sont juste des gens. Comme vous et moi. Parmi eux, la proportion habituelle de cools et de teigneux, de cons et de futés, de généreux et de pingres, de marrants et d’austères. Un groupe humain, quoi. Plutôt plus courageux que la moyenne. À qui nous devons, par principe intangible, un vieux truc démodé qui s’appelle l’hospitalité.

Bienvenue aux migrants.

Article d’Isabelle Alonso dans Siné mensuel d’octobre 2015.