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Indépendance des médias

Le 16 septembre 2016, l’hebdomadaire Marianne consacre sa couverture et un épais dossier (dans lequel se trouve notamment un article discrètement moqueur sur les « bons copains journalistes » de François Hollande) aux « médias qui se couchent ».
Le directeur de la rédaction, Renaud Dély, se fend, pour l’occasion, d’un éditorial au vitriol, dans lequel il dénonce les « tares journalistiques qui font si souvent de cette caste d’infatués les obligés des puissants ». Soit, plus précisément : « L’ego, la vanité, la courtisanerie. »
Il fustige, également, et avec la même virulence, « ces élus ambitieux qui, dès leur entrée dans la carrière, tissent des réseaux dans les groupes de presse pour s’en faire des marchepieds de leur ascension vers le pouvoir suprême. »
Il précise : « François Hollande mise, lui, sur une autre faiblesse de l’âme humaine pour manipuler la presse : la servilité. Distribuant les audiences comme autant de faveurs à une foultitude de plumes flattées d’être courtisées par le Château, le chef de l’État sonde les âmes et les cœurs de rédactions soudain plus indulgentes pour [lui]. »

La charge est rude, mais courageuse. Elle est, aussi, rassurante, car elle dit bien qu’il reste tout de même, dans cette corporation gangrenée par le servilisme, quelques belles et fortes âmes pour résister – cependant que tant d’autres abdiquent leur indépendance – aux facilités de la génuflexion.
Sauf que.
Le 3 octobre 2016 – dix-sept jours, donc, après la publication de ce hardi prêche -, François Hollande remet, dans la salle des fêtes de l’Élysée, une cravate de commandeur de la Légion d’honneur à un certain Jacques Julliard, qui se trouve être l’éditorialiste vedette de… Marianne.
Dans l’assistance, triée sur le volet, où Manuel Valls côtoie Jack Lang et Alain Finkielkraut. « Les patrons de Libération et de Marianne devisent avec celui du Figaro ». Et c’est devant cette assemblée, où se dressent donc quelques farouches ennemis de la courtisanerie, que Jacques Julliard, comme le rapportera Le Monde, « passe », dans un discours, du « baume » au président de la République, qui « n’en attendait peut-être pas tant », mais en devient « rose de contentement ».

Ne pas s’y tromper, cependant : cette si folklorique saynète ne peut en aucun cas être comptée au nombre de celles, si justement décrites par Renaud Dély, où le chef de 1’État dispense des flatteries à des journalistes pétris d’obséquiosité. Car il est bien certain que jamais les fiers déontologues de l’hebdomadaire Marianne ne se seraient prêtés à une si caricaturale mascarade.

Article de Sébastien Fontenelle dans le mensuel CQFD de novembre 2016.

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Du pluralisme et de l’indépendance de la presse

Au contraire, à force de parler du même point de vue, celui du consumérisme triomphant imposé par son modèle économique, la presse-prospectus a rendu sa liberté trop souvent formelle.

Certes, tout n’est pas à rejeter, il y a beaucoup de journalistes intègres et de bons articles. Bernard Maris disposait, sur France Inter, de quelques minutes d’antenne par semaine pour exprimer une vision un peu différente de l’économie. Mais pour le faire, il devait accepter de se voir couper la parole en permanence par un idéologue qui a le droit d’éditorialiser tous les jours, sans aucun contradicteur pour vanter les mérites de la sacro-sainte concurrence libre et non faussée qui est à l’économie ce que l’obscurantisme est à la religion, c’est à dire une pure violence imposée aux êtres humains.
France Inter n’est pas un exemple anodin. C’est l’un des organe de presse de grande audience le plus pluraliste. C’est dire, pour reprendre les mots de Arendt (que l’on peut lire comme une réflexion sur le crime contre l’humanité comme crime contre la pluralité), à quel point l’espace de l’information est devenu un « désert » dans lequel les défenseurs du capitalisme sont livrés à leur solitude, totalement coupé de l’altérité que constitue la pensée critique.

Le combat de Charlie contre la publicitéc’est le combat pour la laïcité, c’est à dire un combat pour l’indépendance, garante de la pluralité nécessaire à la démocratie. Le mot d’ordre « ni Dieu, ni maître », cher à nos joyeux anarchistes dit aussi que l’on ne doit pas accepter d’avoir un maître. Comme Libé l’a appris à ses dépends lorsqu’il a perdu un contrat suite à un article déplaisant pour son annonceur, la publicité tue aussi le droit à l’information.
Il y a ce matin une réelle émotion à France Inter, je suggère une façon de rendre hommage à l’équipe de Charlie : arrêter le pluralisme factice consistant à donner 1 % du temps de parole à la pensée critique et inviter chaque jour un véritable économiste – Jean-Marie Harribey, Jacques Généreux, Frédéric Lordon, Christian Chavanieux, Serge Latouche pour ne citer qu’eux – puis inviter Dominique Seux le vendredi pour débattre avec lui. Lorsque la pensée critique aura rattrapé son retard de temps de parole, alors il sera temps de nous infliger à nouveau Dominique Seux tous les matins.

Extrait d’un article de Laurent Paillard dans le mensuel Les Zindigné(e)s de février 2015.

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Liberté et soutien à la presse

Je n’ai pas participé à la manifestation d’unité nationale convoquée dimanche 11 janvier, bien que terriblement choqué et peiné des meurtres commis à Charlie Hebdo.
(…)
Jusqu’ici, Charlie Hebdo survivait par ses seules ventes, sans pub, et sans l’aide de l’état, si ce n’est une aide minorée à l’affranchissement, chichement accordée, tout comme Siné Mensuel, Le Monde diplomatique ou encore la presse syndicale.
Les Échos, propriété de Bernard Arnault, première fortune de France, s’est vu doté de 4 millions d’euros, Serge Dassault, cinquième fortune de France, reçoit lui aussi une aide conséquente, 16 millions d’euros, pour Le Figaro, qui peine à vivre. Le journal L’Opinion, appartenant à Nicolas Beytout et relayant le point de vue du Medef est aussi aidé par l’État, pour informer, cultiver, sans doute.
Selon le ministère de la Culture, les aides publiques à la presse concourent à la modernisation et la diffusion partout dans le pays d’une presse pluraliste et diverse. Cela explique sans doute que le Journal de Mickey, Gala, Closer ou Prions en église bénéficient d’aides publiques lorsque Charlie Hebdo et d’autres journaux d’information en sont privés.
(…)
L’autre choix serait d’aider la presse d’information et de la préserver des appétits financiers, pour garantir son indépendance. Pour cela, il serait nécessaire d’affronter les empires financiers, Bouygues, Dassault, Matra Hachette, entre autres, qui vivent des commandes de l’État et siphonnent au passage les aides publiques.
(…)
Aujourd’hui, les despotes sont repartis museler la presse dans leur pays et bafouer les droits de l’homme sans que votre gouvernement ou le Parti socialiste ne bronchent d’un poil. C’est normal, on ne fâche pas les clients qui font leur shopping chez les marchands d’armes français (5e rang mondial), comme Dassault, également détenteur de médias.

Extraits d’un article de Michel Ancé dans le journal Siné mensuel de février 2015.