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Drogues, le gaspillage de l’argent des contribuables

Notre ministre de l’intérieur qui, dans le domaine de la lutte contre les toxicomanies, propose des recettes des années 1980, a été fort choqué par l’affaíre Palmade. Pour Gérald Darmanin, la drogue, jusqu’à présent, c’était le cannabis. Plutôt que de réfléchir aux solutions qui fonctionnent dans les pays comparables au nôtre, il a misé sur la répression des dealers et des consommateurs. Tous les professionnels, y compris dans les rangs de la police, constatent que, depuis dix ans, les jeunes se tournent vers des drogues plus dangereuses, plus addictives et pour lesquelles les circuits de distribution sont infiniment plus complexes que le revendeur en bas de l’immeuble.

Mais notre Darmanin national s’obstine, c’en est presque émouvant. Soudain, là, après le mauvais sketch de Pierre Palmade, il prend conscience qu’il faudrait peut-être s’occuper de la cocaïne et des excitants chimiques. Il décrète alors que des tests de détection de drogues vont être exercés sur les conducteurs en même temps que ceux d’alcoolémie. Bien, bien ! Mais comme d’habitude dans ce gouvernement d’amateurs, !e bonhomme oublie que pour qu’une consommation de produit stupéfiant soit illégale, il faut que le produit détecté soit répertorié. Or, manque de pot à tabac, si le THC ou les principes actifs de l’héroïne et de la coke sont dûment recensés, chaque jour, un petit chimiste sort une nouvelle came de synthèse de son atelier ou sa cuisine. On en recense plus de 900 à ce jour et la liste ne sera jamais close. Comment expliquer à M. Darmanin que pendant qu’il se focalisait sur l’usage du cannabis, qui d’ailleurs devient de moins en moins attractif pour la jeunesse, d’autres modes de toxicomanie dits « festifs » voyaient le jour.
Devenues populaires dans les raves des années 1990, ces drogues destinées plutôt à tenir réveillé qu’à abrutir le consommateur sont sorties progressivement du cadre de la fête pour s’imposer dans les soirées ordinaires, au boulot ou pour pimenter les relations sexuelles. Bien sûr, elles échappent la plupart du temps aux contrôles, la police ayant une attirance spéciale pour la banlieue et ses dealers à capuche. Le reste du monde de la dope peut danser tranquille.
La composition de ces mélanges artisanaux évoluant au gré de l’imagination des apprentis chimistes, la police est démunie et l’on se rend compte mais un peu tard que jamais la répression n’a suffi à endiguer les phénomènes de toxicomanies que tout ce fric dépensé, toute cette police mobilisée, ces juges saisis, ces cours de justice encombrées le sont en pure perte et que l’on aurait dû miser sur la prévention, comme on l’a fait pour le tabac, dont fa consommation diminue. Mais peur cela, il faudrait un gouvernement qui pense à l’efficacité plutôt qu’à la démonstration de force pour prouver à la droite et à l’extrême droite à quel point il n’est pas laxiste.

Article d’Étienne Liebig dans Siné mensuel d’avril 2023.

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Rééduquer les jeunes délinquants

Certains fantasmes éducatifs ont la vie dure. Régulièrement la droite (mais Ségolène Royal n’avait pas été en reste) propose de rééduquer les jeunes délinquants lors de stages encadrés par des militaires.
Ce concept simpliste repose sur l’idée que l’armée et ses méthodes dites dures alliant obéissance et règles de vie collective vont soumettre les plus rebelles. La droite en a rêvé, le général Dupond-Moretti a obtempéré, le doigt sur la couture du futal.
Rappelons d’abord que l’armée moderne est un engagement de la part des jeunes recrues, ce n’est plus une obligation ou une contrainte.
La pédagogie de l’armée repose sur cet engagement.

Le troufion connaît la règle militaire et accepte de s’y plier. Il y va de son propre chef, ce qui ne sera pas du tout le cas des fameux délinquants.
Second écueil, l’armée n’est pas la vraie vie. On y subit la même pathologie qu’à l’hôpital ou en prison, à savoir l’hospitalisme, cette habitude d’être servi, d’avoir sa vie organisée, de perdre tout sens de l’initiative et qui rend incapable de se prendre en charge en sortant de ces lieux d’enfermement.
La vie en caserne, c’est l’inverse exact d’une démarche d’insertion et de quête d’autonomie.
Les politiques, du haut de leurs perchoirs, imaginent que les jeunes dans le passage à l’acte délictuel ont manqué de sévérité éducative et sont victimes de parents laxistes mais l’observation montre le contraire.
Ces gamins sont plutôt victimes d’éducation dure, où les privations, les sanctions, morales et physiques, se sont multipliées et chez qui la crise est avant tout existentielle et familiale. Ils ne craignent ni la violence institutionnelle ni la violence hiérarchique, ils sont blindés.
Enfin, nous avons mille témoignages sur les bagnes militaires d’enfants découverts en Roumanie, en Pologne et ailleurs à la chute du mur de Berlin. Les délinquants y étaient élevés à la dure. Un vrai bonheur de pédagogie fasciste. Résultats : ces jeunes cassés ont nourri les rangs des mafias des pays de l’Est et en ont tellement bavé adolescents que plus rien ne les émeut.

Article d’Étienne Liebig dans Siné mensuel de mars 2023.

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Société

Social business

On pensait qu’il y avait des domaines dans lesquels l’égalité de traitement des personnes prises en charge restait et resterait la base déontologique, justifiant l’existence même de l’action. La médecine, évidemment, mais aussi l’éducation et le travail social qui « réparent » un peu les injustices créées par les inégalités sociales, psychologiques ou physiologiques.
Ces actions ont été confiées de longue date par la puissance publique à des associations, souvent issues du secteur caritatif, jugées expertes par leur expérience et la qualité de leurs interventions.
Depuis une dizaine d’années, ces associations sont elles aussi sommées de réaliser des économies. De nombreuses structures se sont regroupées, entraînant des économies d’échelles et des mutualisations de moyens. Mais cela ne suffit plus, paraît-il ! Alors, depuis l’adoption de la loi sur l’économie sociale et solidaire en 2014 et son application en 2016, une nouvelle logique copiée sur les modèles anglo-saxons de privatisation et de financiarisation de notre système socio-éducatif se met en place. Un réel changement de paradigme du fondement même de l’action sanitaire et sociale.

L’investissement à impact social (traduction des Social Impact Bonds américano-anglais) consiste à confier à des entreprises privées (essentiellement des banques et de très grands groupes industriels) le financement des programmes sociaux dits innovants avec retour sur investissement de l’État qui les rembourse en fonction des résultats. La nuit, par grand brouillard, on pourrait croire à du mécénat, mais il n’en est rien puisque cet investissement qui a rapporté jusqu”a 15 % en Angleterre rapporte en moyenne entre O et 6 % et, dans tous les cas, n’est jamais perdant pour les multinationales qui n’ont pas l’habitude de faire des cadeaux pour le fun et tirent en outre un bénéfice d’image considérable de ces opérations.

Il restait un domaine dans lequel il semblait indécent de gagner du fric sur le dos des gens : le social. Eh bah c’est fini ! Ça c’est le côté « Morale ». Mais ce n’est pas le plus important car on imagine bien que les groupes financiers ne vont pas investir dans n’importe quel domaine du secteur socio-sanitaire et surtout vont opérer une pression énorme sur les associations élues pour qu’elles réalisent de « bons résultats » !
Les dérives sont évidentes : si je dirige une association d’insertion professionnelle, je choisirai le public le moins éloigné de l’emploi pour être certain de complaire aux exigences de l’investisseur privé qui aura droit de vie et de mort sur ma structure en renouvelant ou non le contrat. Cette remise en cause de l’objectivité de choix des personnes précarisées pour « faire du chiffre » sera totalement contre-productive à terme et créera, de fait, plus d’exclusion encore. […]

Extrait d’un article d’Étienne Liebig dans Siné mensuel d’octobre 2017.