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Dominants économiques

Depuis que le communisme, dernier modèle social qui s’opposait à leur hégémonie, s’est effondré, les dominants économiques sont en passe de conquérir le reste du monde. Leur vecteur de domination, l’argent, est devenu le principal voire l’unique marqueur de classe. A l’instar des dominants religieux et de territoire sous l’Ancien Régime, les dominants économiques façonnent aujourd’hui le monde selon la vision qu’ils en ont : un gigantesque marché planétaire, une économie ouverte mondialisée et dérégulée où tout, inerte ou vivant, se vend et s’achète.
Publicité et marketing commandent à chacun de consommer, encore et encore, dans le même temps la capacité à consommer démontre la richesse des individus, donc leur statut social, les enfermant dans un cercle infernal. Le travail est promu car il est au centre du système : il permet de produire, de gérer et de valoriser la production, créant la valeur captée par la classe dominante.

Les problèmes environnementaux découlant de l’utilisation toujours plus importante des ressources de la planète sont démontrés mais ne trouvent pas de résolution : car pour l’élite, accepter de reconsidérer la croissance et la production, ces deux clefs de voûte de notre ordre social, signifierait remettre en cause cet ordre social, et avec lui sa position dominante.

Dans la société primitive originelle, l’individu voyait ses intérêts propres satisfaits, mais devait également respecter ceux de la communauté sous peine de perdre ses soutiens et être déchu de son rang. L’apparition de la domination de champ fit disparaître cette réciprocité : les classes dominantes peuvent faire prévaloir leurs intérêts sur l’intérêt général sans risque direct pour leur position sociale. Les conséquences sont ces ravages sociaux et environnementaux que nous connaissons aujourd’hui.

La politique est, à son origine, une discipline noble, puisqu’elle élabore les lois s’harmonisant le mieux à la vie de ceux qui les décident – le peuple dans le cas d’une démocratie. Par sa fonction régulatrice, la loi est théoriquement supérieure à tout ce qui touche à la Cité : l’économie, le social, l’organisation politique….
Pour contrer cette prépondérance de l’intérêt individuel sur l’intérêt général, et parce qu’un dominant ne redoute rien de plus que perdre son statut, instaurer dans notre démocratie la possibilité de déchoir de ses fonctions un élu lorsque ses mandants estimeraient qu’il ne répond pas à l’intérêt général serait un premier pas dans la régulation des processus de domination. Réguler plutôt qu’empêcher, car l’humain ne peut échapper à sa nature.

Dernière partie d’un article de Jonas Eval publié dans Les Zindigné(e)s d’octobre 2016.

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Méritocratie

Depuis de nombreuses années, l’équipe lausannoise du Centre international de recherches sur l’anarchie * tente d’actualiser la théorie et les pratiques du refus de parvenir nées au début du XXième siècle. Au-delà des seuls appels à déserter le système et des comportements d’esquive individuels, il s’agit de participer à une émancipation de la société tout entière.
[…]

Les fausses promesses de la méritocratie

Mais, après la Seconde Guerre mondiale, le boom des Trente Glorieuses comme la mise en œuvre du programme de démocratisation scolaire vont donner une nouvelle vigueur à l’idéologie méritocratique selon laquelle l’ascension sociale est ouverte à tous à condition d’y travailler chacun d’arrache-pied. Jusque-là, comme le rappelle Anne Steiner, « l’alphabétisation et la scolarisation n’avaient pas pour but d’assurer à chacun des chances de mobilité sociale, mais de faire de tous les enfants français, quelle que soit leur profession future, des républicains et des patriotes capables d’exercer leurs droits civiques, […] pourvus des capacités intellectuelles minimales exigées par l’évolution du travail industriel. » Dès la fin des années 1960, la tertiarisation de l’économie est grosse consommatrice de cadres et de professions intermédiaires tandis que la condition ouvrière commence à se dégrader.
Anne Steiner ajoute: « Et c’est ainsi que l’idéologie méritocratique s’est imposée à tous ! Une idéologie qui justifie l’inégalité des places au nom d’une prétendue égalité des chances. Une idéologie qui renforce la légitimité des dominants et désarme les dominés. »
Enfants et adolescents rencontrant des difficultés à obtenir le sésame du diplôme sont alors renvoyés à leur échec personnel dans la quête de parvenir que leurs parents ont conçue pour eux. […] c’est l’entrée dans un chômage de masse au cours des années 1980 qui viendra porter l’estocade finale au mythe méritocratique.

Le refus de parvenir aujourd’hui

Dans les sociétés actuelles, le désir de parvenir à tout prix est à la fois omniprésent – et renforcé par certains usages d’internet – et âprement combattu ou simplement moqué par des individus comme des collectifs qui entendent privilégier la solidarité, l’entraide, le partage, les biens communs. Ce qui oblige, d’après les membres du CIRA Lausanne, à redéfinir le refus de parvenir : « On pourrait reprocher à l’expression de concerner uniquement les personnes qui ont la possibilité de parvenir, donc d’être une préoccupation de privilégiés. Même si j ‘admets l’importance de contextualiser (dans une société pyramidale, tout le monde n’a pas les mêmes chances de « réussir »), j’aurais envie d’élargir la portée du refus de parvenir. Je le vois comme une sorte de cadre éthique en vertu duquel on s’efforce de ne pas rechercher une position de domination ou de ne pas utiliser celle-ci au détriment des autres. Vu sous cet angle, tout le monde peut s’approprier ce principe, quelle que soit la position occupée dans la société. Même au plus bas de l’échelle sociale, il s’agirait par exemple de ne pas reporter ses frustrations sur des personnes encore plus mal loties et, fondamentalement, de ne pas chercher à devenir calife à la place du calife si un jour on en avait la possibilité. »

Extraits d’un article d’Iffik Le Guen dans le journal CQFD d’avril 2016.

* Toutes les citations sont tirées de « Refuser de parvenir; idées et pratiques » Éditions Nada, paru en avril 2016.

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L’affluenza

« On a découvert aux USA une nouvelle maladie, l’affluenza, un néologisme formé de la contraction des mots anglais affluence (richesse) et influenza (grippe). »
Jean-Louis, fakirien de Limoges, nous raconte un vrai fait divers : « C’est l’histoire d’Ethan Couch, issu d’une riche famille, 16 ans, qui, avec 2,4g d ‘alcool dans le sang, au volant_d’un pick-up, fonce à plus de 110 km/h sur une route où la vitesse est limitée à 60 et fauche quatre personnes sur le bas-côté, qui sont tuées sur le coup. À la barre, l’avocat présente l’adolescent comme une victime de « l’affluenza » due à son enfance ultra-privilégiée qui aurait selon lui gommé la frontière entre le bien et le mal. Dans la famille Couch, ajoute-t-il, « on avait le sentiment que la richesse achète les privilèges et qu’il n’y pas de lien rationnel entre les actes et leurs conséquences ».
On est au-dessus des lois.
Quand Bernard Arnault vire des salariés, je suppose qu’il n’imagine même pas qu’il en fait des chômeurs démunis. Pas de lien entre les actes et leurs conséquences.
Et Jean-Louis d’éditorialiser : « Dans cette attitude d’arrogance, Hannah Arendt discerne un élément qu’elle juge redoutable : le détachement, l’indifférence de la part des dominants. Ce détachement implique en effet l’éloignement qui supprime toute possibilité d’identification. Il peut entraîner, non pas seulement l’absence de valeur de l’autre, mais l’effacement complet de l’autre, son inexistence. »

Le courrier d’un lecteur publié dans le journal Fakir de février-mars-avril 2016

On peut lire aussi un article sur l’affluenza sur le site Atlantico.