Siliconisation du monde

Après La Vie algorithmique paru en 2015, le philosophe Éric Sadin poursuit son travail d’analyse de la déferlante numérique. Dans La Siliconisation du monde, c’est le tableau d’une colonisation du vivant qu’il dresse.

Je devais donner une conférence à 300 étudiants de l’École supérieure de chimie, physique, électronique de Lyon. Tout était calé, puis une personne de l’école m’a appelé: « On a lu dans l’interview de Libération que vous appelez au refus de Linky et des objets connectés. Vous vous rendez compte, les entreprises qui nous financent sont les mêmes qui soutiennent ces technologies. Ça ne va pas être possible. »
Je leur ai dit: « Mais vous vous moquez de moi ou quoi ? C’est la preuve de ce que j’écris dans mon livre ! Vous allez priver des centaines d’étudiants d’une parole critique parce que vous vous soumettez aux diktats de compagnies privées qui financent votre enseignement ! Vous annulez ma conférence parce que vous avez peur d’une parole contraire dans l’école. Mais honte à vous ! Honte à l’enseignement des écoles d’ingénieurs en France !”
Je ne venais que deux heures dans l’école après je disparaissais. Mais même deux heures c’est trop ! C’est aussi ça la siliconisation du monde. Un formatage où la parole critique n’est plus possible. Il est temps que les sociétés réagissent sinon ces dingos qui veulent arranger le monde avec leur système…

Éric Sadin ne finit pas sa phrase. À la colère se mêle la fatigue due à d’incessantes sollicitations journalistiques liées à la sortie de son bouquin La Siliconisation du monde l’automne dernier. L’ambition du livre : une minutieuse cartographie de ce monde numérique dans lequel nous baignons à la manière d’un fœtus bien calé dans son liquide amniotique. Se considérant comme un lanceur d’alerte, Sadin ne délivre pourtant aucun scoop. Le génie de sa démarche tient à sa façon d’historiciser, d’articuler et de lier entre eux époques, faits et énergies qui nourrissent la poussée exponentielle d’un nouveau capitalisme : le techno-libéralisme.
Un schéma où fondus de technoscience et gouvernements sociaux-1ibéraux s’allient dans le but de soumettre nos vies aux capteurs et autres mouchards électroniques. Un schéma où l’intelligence artificielle est censée nous materner pour le moindre de nos faits et gestes. Un schéma où la vie éternelle serait à portée de clic, selon les psychopathes du transhumanisme. Mais l’approche pourrait être plus triviale : monde du travail, vie privée, relations sociales, sommeil, éducation, santé… La mise en ordre numérique est un nouvel eldorado où la marchandisation du vivant promet à ses zélotes de nouvelles et juteuses rétributions.

Début d’un article de Sébastien Navarro dans CQFD de janvier 2017.

Voir également La siliconisation des esprits sur France-Culture.

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