Public, privé, idées reçues

La liste des champions nationaux français qui ont émergé durant les « trente glorieuses » suffit pourtant à démentir le mythe libéral d’une industrie sans État. Ariane, Airbus, les trains Corail, le train à grande vitesse (TGV, le programme électronucléaire, la couverture téléphonique nationale attestent l’efficacité d’un État stratège et dirigiste, qui n’a pas hésité à recourir à la nationalisation, à la planification, à la commande publique et au protectionnisme pour reconstruire et moderniser le pays (même si cela s’est traduit par des dégâts écologiques dont les pouvoirs publics ont tardé à prendre la mesure).

Certes, certains projets ont échoué. Le plan Calcul, le Concorde, le Minitel sont souvent mis en avant par les détracteurs du « colbertisme technologique ». L’économiste Jacques Sapir montre toutefois que même ces déboires se caractérisent par leurs retombées positives en matière d’apprentissage. Fiasco commercial, le transport supersonique a permis la « diflusion des savoirs et des équipements dans l’industrie aéronautique française », un phénomène « essentiel pour le succès ultérieur du programme Airbus ».

« L’innovation vient toujours du privé »
Encombré par la bureaucratie et la léthargie des fonctionnaires, l’État est incapable d’aiguillonner ce que l’économiste Joseph Schumpeter appelle l ‘ « esprit animal » des créateurs. Seul le marché peut faire émerger les innovateurs et leur donner les moyens de s’épanouir Faut-ils s’étonner que la Silicon Valley ne soit pas une branche du gouvernement américain ?
Le récit mythifié de l’esprit pionnier des entrepreneurs californiens omet une réalité : le secteur privé ne s’est jamais chargé d’investir dans des recherches coûteuses aux débouchés incertains.

L’économiste Mariana Mazzucato a montré que les plus importantes innovations technologiques de ces dernières décennies ont été rendues possibles grâce au financement actif de l’État : Internet a été subventionné par une agence du ministère de la défense américain (Defense Advanced Research Projects Agency, Darpa) ; le Global Positioning System (GPS), par le programme militaire Navstar ; l’affichage à écran tactile, par deux subventions de la Central Intelligence Agency (CIA) et de la Fondation nationale pour la science (NSP) attribuées à deux chercheurs de l’université du Delaware ; et l’algorithme de Google, par la NSF.

Dans l’industrie pharmaceutique, « 75 % des nouvelles entités moléculaires prioritaires sont en fait financées par d’ennuyeux et kafkaïens laboratoires publics. Certes, les « Big Pharma »
investissent aussi dans l’innovation, mais surtout dans la partie marketing, explique-t-elle. Comme Pfizer et récemment Amgen, elles dépensent plus pour racheter leurs actions afin d’en augmenter
le cours que dans leur recherche et développement ».
Si les start-up et le capital-risque jouent un rôle important, ils arrivent dans un second temps, quinze ou vingt ans après que les pouvoirs publics ont fourni le plus gros du financement et assumé le plus gros du risque.

Extrait d’un article de Laura Raim dans Le Monde diplomatique de juillet 2019.

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