Nucléaire et (dés)information

Depuis huit ans, Christine Fassert travaillait à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Cette socio-anthropologue et spécialiste des risques a coordonné le projet Shinrai, qui s’intéresse aux conséquences éthiques, sociales et politiques de l’accident nucléaire de Fukushima.
Mais, en juin, le couperet est tombé. Christine Fassert est renvoyée pour « insubordination récurrente avec défiance vis-à-vis de [sa] hiérarchie » et pour « un comportement inadapté ». La raison ? Deux articles de la chercheuse ont été refusés par l’institut à quelques mois d’intervalle, dont un qu’elle avait rédigé pour la revue scientifique Les Annales des Mines.
L’IRSN a indiqué que cet article mettait « en défaut l’expertise institutionnelle par rapport à la contre-expertise ». Que s’est-il passé ?
Christine Fassert a montré que la vision très rassurante des autorités japonaises sur la dangerosité des faibles doses avait été remise en question par de nombreux scientifiques. Inacceptable pour l’IRSN.
En 2019, la sociologue rapportait au quotidien Libération : « À Tchernobyl, le nombre d’enfants « pratiquement sains » a diminué de 80% en 1985 à 20% en 2000″; « ces données « locales » ne furent pas reprises en compte par les rapports que nous avons appelés « institutionnels », comme ceux de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Mais, las, l’IRSN l’a congédiée, provoquant immédiatement la démission d’un autre scientifique de renom, David Boilley, qui siégeait au sein du Comité d’orientation des recherches.
Sur le site du comité, on peut encore lire sa lettre de démission, qui commence ainsi : « Si l’IRSN n’est pas capable d’accepter des voix singulières en interne, il ne peut pas s’ouvrir à la société. » Ambiance.

Pourtant, à Fukushima, depuis 2011, rien ne va plus. Les informations sont floues, les habitants ne savent plus comment réagir et les chiffres sont difficilement audibles. « Fukushima ? Au début, c’est officiellement deux morts noyés », soupire Christine Fassert. Et pour cause : le secret est de mise au pays du Soleil-Levant. « On est dans un schéma similaire à celui de Tchernobyl, où une chape de plomb [sic] s’est abattue sur le pays. » Au Japon comme ailleurs, les cancers de la thyroïde chez les enfants sont très rares. Mais depuis l’accident, et d’après les autorités japonaises, le nombre de cas est plus important chez les 0-18 ans.
Pour les autorités, c’est l’effet « screening » qui est en cause. Traduction : à force de détecter les cancers à un stade très précoce, on fait monter les statistiques. Exemple cinglant de la situation sur place, le docteur Hisako Sakiyama, directrice de recherche à l’Institut national des sciences radiologiques du Japon, a demandé aux autorités que le seuil de contamination au césium 137 des aliments vendus sur les étals des marchés soit abaissé à 20 Bq/kg au lieu de 100 Bq/kg. En vain.
Par ailleurs, la norme de rayonnement de 1 mSv (millisievert) au-delà de laquelle on procède à une évacuation de la population a été relevée à 20 mSv. « La raison est simple : avec un seuil à 1 mSv, il y aurait eu trop de monde à évacuer et ça coûte cher », explique Christine Fassert. Ce qui n’a pas empêché les autorités japonaises d’inciter les habitants à revenir à Fukushima à travers le programme « Reconquête du territoire ». En attendant la reconquête de l’IRSN ?

Article de Maxime Carsel dans Siné mensuel de janvier 2021.

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