Néolibéralisme, discours sécuritaire et médias

Dans Punir les pauvres, le sociologue Loïc Wacquant a montré la relation étroite entre la déréglementation du marché du travail et la politique sécuritaire. Pour résumer à grands traits son travail, on peut retenir qu’il est parti du fait qu’il n’existe aucune corrélation statistique entre le taux d’incarcération et le taux de criminalité (…)

Sur un autre versant de l’espace bourdieusien, la critique des média a également produit nombre de connaissances intéressantes en montrant notamment comment ils sont organisés de façon à interdire l’accès au grand public des idées hétérodoxes et corrélativement, comment ils sont nécessairement monopolisés par les idées reçues et l’idéologie dominante. (…)

Si on en revient à l’intuition lumineuse de Loïc Wacquant, on peut aller plus loin dans la compréhension du moment politique que nous vivons : non seulement nous n’assistons pas à une rencontre fortuite entre le néolibéralisme et le discours sécuritaire puisqu’ils forment un tout, mais en plus, il faut comprendre l’unité de fonctionnement de ce tout avec les médias pour reconstituer complètement le puzzle politique qui nous occupe. (…)

Les médias sont, non plus le quatrième pouvoir, mais le centre du pouvoir. Il suffit de voir qui possède les titres de presse, les radios et les chaînes de télévision (…)

La mise en scène de l’insécurité, par TF1 notamment, n’est pas simplement un moyen de faire de l’audience en misant sur le sensationnalisme, c’est aussi, et même avant tout, un discours politique d’extrême droite sur l’espace public, la société et le rapport à l’autre. On peut ajouter que ce discours est encore plus radical que celui du Front National et que c’est pour cela qu’il a un effet de dédiabolisation quasi mécanique. Il construit jour après jour un espace social atomisé dans lequel autrui est montré essentiellement comme une menace. Or, constituer l’espace public et l’altérité comme des dangers a pour conséquence de supprimer le peuple comme agent politique pour le transformer en ce que Hannah Arendt appelle une masse dans le système totalitaire. (…)

Oui, nous sommes la cible, des ménagères, des êtres voués à rester enfermés, tenus par la crainte et n’ayant d’autre horizon que la consommation, laquelle prescrit une déréglementation du marché du travail nécessaire pour assouvir instantanément les désirs du consommateur devenu roi. Finalement, le discours sécuritaire est l’autre face de la publicité qui a la même fonction : replier l’individu sur ses désirs privés et constituer l’autre comme un obstacle, un objet de jalousie -s’il possède- ou de mépris- s’il ne possède pas- (…)

Extraits d’un article de Laurent Paillard dans Les Zindigné(e)s de janvier 2015.

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