L’investissement social

L’expérience connue sous le nom de Perry School Project est à la fois l’une des plus anciennes et des plus concluantes sur ce point. Au milieu des années 1960, un échantillon d’environ 130 enfants entre 4 et 5 ans issus de familles pauvres noires américaines est divisé en deux groupes de taille à peu près identique, un groupe expérimental (qui bénéficiera du projet) et un groupe de contrôle (qui n’en bénéficiera pas). Le groupe expérimental se voit proposer pendant deux ans un programme d’éveil et de préparation assez intense, avec deux heures et demi de classe par jour (quatre maîtres pour des classes d’environ vingt élèves) ainsi qu’une visite hebdomadaire dans la famille pour informer et former les parents. L’effort pédagogique se réclame assez ouvertement de Piaget : autant que possible, les maîtres laissent l’initiative aux enfants et en font le support de leur action pédagogique. Les quatre maîtres sollicités sont expérimentés et qualifiés.
Les deux groupes ont ensuite été suivis tout au long de leur vie. Les comparaisons disponibles quant à leur destin scolaire et social sont éloquentes. À 27 ans, plus du tiers des enfants du groupe de contrôle sont devenus des délinquants multirécidiviste (plus de cinq arrestations) contre une proportion résiduelle des enfants du groupe ayant bénéficié des deux ans de soutien. La moitié des enfants du groupe de contrôle n’ont pas fini leurs études secondaires contre moins du tiers des enfants ayant bénéficié du soutien.
Devenus jeunes adultes dans les années 1990, très rares sont les enfants du groupe de contrôle à gagner plus de 2000 dollars par mois alors que c’est le cas de la majorité des bénéficiaires du soutien pré-scolaire.
L’expérience démontre ainsi un impact de long terme considérable. Les moyens mis en oeuvre par enfant dans le cadre de ce projet sont très importants (à peu près 15000 dollars par an et par enfant), mais les évaluations aujourd’hui disponibles révèlent que les bénéfices sociaux (ne serait-ce qu’en termes d’aides sociales économisées et d’incarcérations évitées) sont près de huit fois plus importantes.

Texte d’Éric Maurin, « Le ghetto français », cité dans le journal Fakir n°63 (décembre 2013 – février 2014).

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