(Les vrais) Parasites

J’ai souhaité m’inspirer de cette vogue du développement personnel qui fait vendre beaucoup de livres ces derniers temps. Ce sont des ouvrages où les lecteurs essaient de trouver des solutions à leurs problèmes personnels et qui sont souvent écrits de façon très convaincante, accessible avec des effets performatifs voulus : vous les lisez et vous vous sentez vite un peu mieux ! Je voulais arriver à la même chose, mais sans l’illusion du développement personnel, car celui-ci propose en général des solutions individuelles, voire individualisantes, qui expliquent au lecteur qu’il ne peut pas agir sur le monde qui l’entoure mais qu’il peut, en revanche, travailler sur son rapport à ses émotions. Mon propos choisit une démarche inverse : tout en s’adressant bien à des individus qui rencontrent des problèmes personnels, il s’agit de faire le lien entre ceux-ci et un contexte général, mais qu’ils peuvent transformer collectivement ! Mon idée de développement collectif s’inspire certes de celle du développement personnel, mais pour aller vers des débouchés collectifs. Dire que le collectif est toujours la solution. Plutôt que de tomber dans les pièges du « travaille sur toi-même ! ».

[…] le groupe que vise particulièrement le livre, sans oublier certains groupes satellites dont je parle aussi, c’est celui des 500 plus grandes fortunes (ou familles) françaises. […] Ces 500 familles françaises fortunées sont la cause de beaucoup de nos problèmes : de la dégradation du service public au fait d’être mal payé ou de ne pas trouver de sens à son travail, voire de devoir prendre des antidépresseurs parce qu’on souffre au travail. Il y a ainsi toute une série d’états de souffrance, physiques et mentaux, qui sont dus au fait que l’on vit dans un système de domination économique chapeauté principalement par ces 500 familles. C’est pourquoi il est vraiment nécessaire de toujours rechercher où sont leurs responsabilités et de les leur attribuer, au lieu de se flageller soi-même, de se dire, par exemple, « c’est l’humanité en général qui est ainsi », « l’homme est un loup pour l’homme », ou je ne sais quelle autre formule toute faite… Non. Il s’agit de bien montrer qu’une grande partie de nos problèmes sont liés à la prospérité de ces 500 familles
françaises, et des autres du même type au niveau mondial.

[…] on associe trop souvent le parasitisme aux classes populaires, supposées être « assistées ». C’est bien du parasitisme, dans le sens où il s’agit d’un corps qui se nourrit d’un autre, à son détriment, et ne vit que grâce à l’autre. C’est exactement ce qui se passe avec le capitalisme, dans le sens où la classe possédante se nourrit du travail des autres.
Mais j’ai montré aussi qu’il y a une forme de parasitisme politique puisque la bourgeoisie française est très subventionnée, grâce à un État-providence pour les possédants qui prend soin des actionnaires privés, les finance en partie, leur cède des entreprises publiques privatisées. Et puis, bien sûr, il y a ces 157 milliards d’euros d’exonérations, de crédits d’impôts et d’aides publiques dépensés chaque année en leur faveur, qui montrent que, là où on dépense le plus, ce n’est pas pour l’hôpital, mais pour ces grandes entreprises privées. La réforme des retraites est d’ailleurs faite pour cela, comme l’avaient dit dès septembre 2022 Bruno Le Maire et d’autres ministres très explicitement : il s’agit d’économiser sur la protection sociale afin de permettre à l’État de dégager des marges budgétaires pour maintenir ce qu’il donne aux entreprises.
En fait, on pourrait résumer les choses ainsi : derrière chaque fortune française (ou quasiment), il y a un héritage et une entreprise publique privatisée. Ce ne sont donc pas du tout des self-made-men et, d’ailleurs, c’est aussi le cas aux États-Unis, comme le montre un tout récent livre d’Anthony Galluzzo, Le Mythe de l’entrepreneur. Défaire l’imaginaire de la Silicon Valley.

[…] Les bourgeois se présentent toujours comme étant le « camp de la raison », avec souvent un économiste en costume et petites lunettes qui a l’air très sérieux et qui produit un effet d’intimidation pour le reste de la population. Il vient alors nous expliquer qu’ « il n’y a pas d’alternative » à leur politique de classe en faveur de la bourgeoisie. […] À la télévision, on ne voit quasiment que des bourgeois, des sous-bourgeois et des gens qui les défendent, omniprésents et bien plus représentés que leur proportion réelle dans la population.

Extraits d’un entretien de Nicolas Framont dans Politis du 16 février 2023.
Liens : Parasites et Frustration.

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