Les riches

Comme le politologue Édouard Morena, auteur de Fin du monde et petits fours, le rappelle dans les premières pages de ce dossier, les milliardaires tentent de plus en plus de se poser en bienfaiteurs de la planète. Soit la démonstration de la démoniaque capacité du capitalisme productiviste à tout récupérer à son profit – des énergies verdâtres aux envolées de Greta Thunberg.

Dans la suite de ce dossier « Science & vie des friqués », il est question d’œillères, de logiciel grippé de lecture du monde, de pilule goût TINA (le « There Is No Alternative» de Thatcher). Le moteur de tout ça, c’est avant tout une solide dose de connerie satisfaite, nous rappelle Nicolas Framont, auteur du nécessaire Parasites, dans un texte joyeusement percutant. Mais aussi une armée de larbins et de propagandistes multiformes, tels les influenceurs décérébrés qui zonent à Dubaï, chantres du « Quand on veut, on peut », ou les domestiques de grandes fortunes qu’étudie la sociologue Alizée Delpierre, autrice de Servir les riches. C’est que les grands de ce monde n’ont pas le loisir de gérer eux-mêmes les basses tâches, telles celles nécessaires à l’entretien de l’écurie de chevaux de course d’Édouard de Rothschild, où notre ami Éric Louis s’est un jour retrouvé en reportage involontaire. De quoi alimenter sans doute encore un peu plus votre haine anti-riches, un « sentiment » décidément bien français, comme le déplorent les fleurons des médias mainstream.

Quand on traite d’un tel sujet de notre côté de la barricade, une phrase revient souvent, professée par un ultra-riche, elle sonnait comme un aveu, voire un acte de contrition. Elle est de Warren Buffett, un temps homme le plus riche du monde : « Il y a une guerre des classes, évidemment. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner. » C’était en 2005. Sauf à vivre sur Mars (Elon), chacun sait que les inégalités entre très riches et très pauvres n’ont depuis fait que se creuser. Rien qu’en France, on compte en 2022 42 milliardaires, soit trois fois plus qu’en 2002. Leur richesse a été multipliée par quatre en dix ans ; parmi eux, huit sur dix auraient hérité de leur fortune.

Alors non, ceux qui manifestent contre la réforme des retraites ne se trompent pas de cible quand ils gueulent « Retraite en carton, voleur en Vuitton ». Et on l’aura compris, il ne s’agit pas seulement de vomir sur l’abondance ignoble de quelques uns face à la précarisation galopante de tous les autres : il s’agit seulement de rappeler qui sont les responsables du marasme. Jusqu’à ce qu’ils rendent des comptes. Jusqu’à ce qu’ils perdent.

Extrait de l’introduction/sommaire d’un dossier sur les riches dans le journal CQFD de mars 2023.

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