L’éditocratie

Non répertoriée dans les catégories professionnelles de l’INSEE, l’éditocratie existe bel et bien : c’est un ensemble à bords flous, mais relativement stable, qui englobe quelques dizaines de personnages reconnaissables aux fonctions qu’ils remplissent : éditorialistes, chroniqueurs, intervieweurs (toutes fonctions à mettre également au féminin), ils ont en commun d’être des professionnels du commentaire.

[…]

Formés à la politique en version Science Po, ils ressassent une vulgate électoraliste (puisque c’est aux élections que se réduit pour eux la question démocratique) et privilégient les affrontements partisans et les compétitions politiciennes, au détriment des enjeux sociaux des projets et des programmes. Journalistes politiciens, ils sont, surtout par temps préélectoral (c’est-à-dire
pratiquement en permanence), flanqués de sondologues (qui lisent dans les entrailles des sondages tout ce qui leur passe par la tête) et de communicants (qui « décryptent » les postures, les « petites phrases » et les jeux de rôle). Ils ont tous quelque chose d’Alain Duhamel, le grand ancêtre de Jean-Michel Aphatie (RTL, puis Europe 1, puis France info) et de quelques autres. Ce sont des pourvoyeurs de politique dépolitisée.

Férus d’économie (orthodoxe donc libérale), ils rêvent que le marché pense pour nous et se chargent de parler pour lui. Quelques mots de leur langue automatique résument cette « pensée » révélée : « la dette » (et non son origine et sa finalité), « les chiffres du chômage » (et non la vie des chômeurs), « le coût du travail » (et non les surcoûts des profits), les « charges sociales » (plutôt que les « cotisations sociales »), les « impôts » (plutôt que leur usage). Ils ont tous quelque chose de François Lenglet (France 2), de Dominique Seux (France Inter) ou de Nicolas Doze (BFM-Tv). Ce sont des zélateurs d’économie désocialisée.

Ces drones filment le monde vu d’en haut et délèguent aux journalistes « ordinaires » les enquêtes que l’on dit « de terrain », notamment sur les questions sociales qu’ils résolvent en puisant dans la réserve de prêt-à-penser dont ils sont eux-mêmes les fournisseurs. […]

[…]Au sommet de la corporation trônent les éditocrates-éditorialistes, commentateurs polyvalents qui, non contents de cumuler les fonctions des précédents, dispensent à tout propos leurs leçons. Dans la presse d’opinion (mais quelle presse ne l’est pas ?), les directeurs de rédaction ou leurs auxiliaires impriment leur marque à la marque dont ils défendent un peu partout les couleurs : Arnaud Leparmentier pour Le Monde, Christophe Barbier pour L’Express, Franz-Olivier Giesbert pour Le Point, Yves Thréard pour Le Figaro et quelques autres décorent un pluralisme anémié.

Adversaires mais complices, les éditocrates en chef sont des adeptes du journalisme de fréquentation qui scelle leur appartenance au cercle des dominants (qui se baptisent eux-mêmes comme « l’élite »). Non contents, pour certains d’entre eux, de partager dîners en ville, croisières et vacances, ils s’honorent de se retrouver au sein d’un club – Le Siècle – qui réunit des politiques de presque tous horizons, des hauts fonctionnaires, des industriels et des banquiers, et qui accueille les éditocrates les mieux cotés : en toute discrétion puisque aucune information ne sort de leurs rencontres… […]

Extraits d’un article de Médiacritique(s), magazine trimestriel d’Acrimed (octobre-décembre 2017).

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