Le candidat Macron

Netflix, donc. Un phare surpuissant qui affole les équipes de com’ et les façonneurs d’imaginaire, posant l’objet série comme le phénomène culturel majeur de notre temps. Qui a poussé les béats Jeunes avec Macron à propulser une campagne d’affichage intitulée « Vivement qu’on signe pour cinq saisons de plus ». Qui a sans doute en partie inspiré les mises en scène photographiques grotesques du président en « chef de guerre », supplicié de stress au téléphone ou en hoodie noir/casquette/barbe mal rasée. Et dont l’esthétique anime apparemment sa photographe Soazig de la Moissonnière qui, sur son Instagram perso, déverse des tas de clichés prétendument « off », le montrant dans son quotidien (et tellement humain, morbleu).

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Mais il ne suffit pas de se vouloir héros transcendé par le cadre narratif pour que cela fonctionne. Loin de là. Et les huit épisodes du Candidat mis en ligne jusqu’au dernier round de l’élection dégagent avant tout un immense sentiment de vide et de fausseté, puant le carton-pâte voire la campagne électorale Potemkine. […]

Très vite, l’overdose de fausse intimité se fait totale, repoussante. Les médias comme les spectateurs ne s’y sont pas trompés. Les premiers ont beaucoup évoqué l’épisode 1, avant de se désintéresser de la suite. Les seconds ont progressivement déserté YouTube, avec des chiffres de plus en plus dérisoires : Environ 175 000 vues pour le 2e opus, 68 000 pour le 5e et 47 000 pour le dernier. Peanuts, quoi, pour ce qui devait être une locomotive de la campagne et a mobilisé beaucoup de moyens et de temps.

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Mais voilà, la forme ne suffit pas. Et au vide des propositions succède cette impression d’autosatisfecit permanent, Macron commentant les prestations de Macron sans jamais se décentrer. Vertigineux.

Auteur d’un bouquin qui a fait date, Storytelling – La Machine à fabriquer des histoires et formater les esprits (La Découverte, 2007), le chercheur Christian Salmon n’est pas tendre avec la mise en scène macronienne (voir De quoi Emmanuel macron est-il l’absence ?) : « Macron a voulu redonner au pouvoir une aura de sacralité profane, de magie artificielle, une hyper-réalité politique caractérisée par l’impossibilité de distinguer les contraires. Car la scène politique n’est plus régie par la dissimulation, mais par la simulation ; non plus par le secret et le calcul cynique, mais par l’exhibition et la surexposition. Triomphe de la télé-réalité sur le théâtre politique. Il n’y a rien à interpréter.

Extraits d’un article d’Émilien Bernard dans le journal CQFD de mai 2022.

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