Lavage de cerveau médiatique

C’est peu dire que l’année 2020 n’a pas été de tout repos : épidémie mondiale, crise économique et sociale, attaques terroristes et surenchère sécuritaire… L’occasion de salutaires remises en cause ? Rien de tel en tout cas sur le terrain médiatique, où les mêmes routines délétères sont toujours bel et bien à l’œuvre.

L’information médicale a tout particulièrement fait les frais des logiques de scoop et des effets d’annonce. Rares sont les médias à avoir fait preuve d’un recul élémentaire face aux déclarations à l’empoite-pièce « d’experts » en quête de visibilité et à des études aux méthodologies contestables. Ou comment le journalisme scientifique a trop souvent cédé le pas au sensationnalisme (p. 4).

La période du premier confinement (de mi-mars à mi-mai 2020) s’est également traduite par un grand déséquilibre dans le débat médiatique. Dans les émissions phares que sont les matinales radiophoniques, la sélection des invités jugés légitimes pour s’exprimer sur l’actualité est affectée de plusieurs biais structurels : la surreprésentation des hommes et l’absence de pluralisme, notamment politique (p. 8).

Une autre séquence médiatique s’ouvre à la rentrée de septembre, caractérisée par une surenchère sécuritaire qui culmine après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine. Sur les chaînes d’information en continu (mais pas seulement), on assiste à un déferlement d’amalgames et de propos racistes. Un mot d’ordre résonne tout particulièrement : haro sur les « islamo-gauchistes » ! (p. 14)
Une observation attentive des matinales audiovisuelles et de la presse confirme l’absence des voix de gauche (ou simplement dissonantes) dans le chœur médiatique, sécuritaire et droitier (p.17). Et lorsque les ténors du gouvernement sont invités, la brosse à reluire est de sortie. À l’instar de cette interview de Bruno Le Maire sur France Inter, où le ministre de l’Économie déroule sans difficulté ses éléments de langage, accueilli en toute complaisance par Léa Salamé et Nicolas Demorand (p. 38).

Si certains solistes (Manuel Valls, Pascal Bruckner) font la tournée des médias, le cas le plus emblématique est sans doute celui de l’ex chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers. Sur les télés, dans la presse et à la radio, les éditocrates lui déroulent le tapis rouge. L’occasion de donner un nouvel écho aux thématiques qu’affectionne le militaire de carrière : l’ordre, bien sûr, la sécurité, le nationalisme (p. 25).

Le tableau ne serait pas complet sans un hommage appuyé à Jean-Pierre Pernaut, à qui nous ne devons rien de moins que 32 ans de bons et loyaux services aux commandes du JT de 13h de TF1, vitrine dépolitisée et réactionnaire de la « France éternelle » (p. 32).

Dans cette année bien terne, la mobilisation contre la loi « Sécurité globale » donne une note d’espoir. Alliant syndicats et sociétés de journalistes, associations, collectifs (cinéma, quartiers populaires, etc.), comités luttant contre les violences policières, exilés et Gilets jaunes, le mouvement se fait large face à cette nouvelle attaque contre le droit d’informer, dont la présidence Macron est coutumière (p.22).
Si le traitement de cette loi par les grands médias laisse à désirer, de nombreux journalistes cherchent néanmoins à se mobiliser. De quoi rappeler la grande hétérogénéité de cette profession, fragmentée entre reporters précaires et présentateurs-vedettes (p.40). La défense du droit d’informer et la transformation des médias sont l’affaire de toutes et tous, et a fortiori… celle des journalistes.

Édito du numéro de janvier 2021 de Médiacritique(s), magazine trimestriel d’Acrimed.

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