La valeur Travail

Prenons un ouvrier, par exemple ébéniste. Pour les besoins de la démonstration, prenons également un capitaliste – si dans la vraie vie on peut s’en passer c’est mieux. Le second emploie le premier pendant 8 heures avec de beaux outils d’artisan : scie, rabot, râpe à bois… Imaginons que l’ouvrier produise une table. Combien vaut- elle, en argent, sur le marché ? Elle vaut huit heures de travail ouvrier (l). La valeur capitaliste d’une marchandise est égale au temps de travail humain. Cela n’a rien de « naturel ». C’est une convention politique. Le temps est une abstraction sociale qui ne dit rien du travail concret réalisé. Huit heures d’ébénisterie valent huit heures de maintenance ouvrière dans une centrale nucléaire.

Imaginons que l’ouvrier soit dorénavant doté d’une machine à bois dernier cri : en huit heures, il produit huit tables. Combien vaut l’ensemble de ces huit tables ? La même chose : huit heures de travail ouvrier. Avec la même somme d’argent en poche, un consommateur peut maintenant acheter huit tables contre une seule précédemment.
Les machines aussi sophistiquées qu’on voudra n’ajoutent pas un centime à huit heures de travail direct. Mais elles coûtent très cher – elles ont elles-mêmes été produites avec beaucoup de travail – et elles réduisent donc la rentabilité de l’entreprise. Comment notre capitaliste peut-il conserver ses profits ? En augmentant les quantités de travail. En faisant travailler deux ou trois ouvriers sur la machine de façon à produire et vendre 16 ou 24 tables (ou des chaises, des armoires, etc.). Soit une obligation absolue à la croissance économique. […]

Pourquoi ces crétins de capitalistes s’équipent-ils de machines toujours plus puissantes si cela leur coûte cher et conduit ainsi à mettre en danger leur entreprise ? Parce que si ses concurrents produisent des tables industrielles, une entreprise qui voudrait rester artisanale n’arrivera plus à vendre ses tables. Le prix de chaque table sera huit fois plus élevé que celui d’une table industrielle. Faillite !

Quel est le rapport entre cette petite histoire et la réalité ? Elle en est l’expression même ! Sous les yeux ébahis de tous ceux qui n’y comprennent rien, nous voyons à la fois débarquer dans nos vies des « machines » incroyables (numérique, robotique, nano-technique, biotechnique, etc.) -, une obligation absolue pour le capitalisme – et étouffer ce régime économique dans sa propre graisse : le capital accumulé qui ne peut plus être rentabilisé.

En effet, ce qui intéresse les capitalistes c’est le rapport des profits à la somme du capital accumulé. Or, lorsque l’accumulation de « machines » a crû de façon formidable, les taux de profit s’effondrent. Et le régime se décompose: faillite, chute des investissements, etc. Comme à chaque fois dans l’histoire, l’agonie d’un ordre social dure longtemps puisque les classes dirigeantes ne manquent pas de mettre en œuvre des contre-feux qui limitent, un temps, la casse (baisse des salaires, mondialisation, spéculation…). Mais ne changent rien sur le fond.

Extraits d’un article de Dominique Lachosme dans La Décroissance de novembre 2016.

Pour aller plus loin, lire par exemple : bernard-friot ou écouter : Après l’économie de marché.

1 – Dans l’emploi, le salarié sera nécessairement payé moins que la valeur de ce qu’il a produite. Sinon il ne serait pas embauché puisqu’il ne serait pas exploité – et que, en conséquence, il n’y aurait pas de profit !

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