La mécanique raciste

Extrait du livre La mécanique raciste de Pierre Tevanian :
Si les races n’existent pas en tant que réalités biologiques, le racisme les fait exister en tant que croyances collectives, avec les effets performatifs que cela implique : l’expérience commune de la discrimination confère aux Noir(e)s et aux Arabes un rapport au monde et des intérêts communs qu’ils n’auraient pas si le racisme n’existait pas, et qui les distinguent radicalement des Blanc(he)s. Nier cette réalité en se contentant de clamer qu’il n’y a pas de races, pas de différences et pas de raisons de s’opposer revient à nier l’oppression objective et subjective que subissent les discriminés, et donc à les rendre implicitement responsables de leur relégation sociale.

Lutter réellement contre le racisme, c’est au contraire mener un combat déterminé pour l’abolition des clivages et hiérarchies de race, ce qui suppose au préalable de reconnaître leur existence. Il ne s’agit pas d’accorder une quelconque pertinence à la race au sens biologique du terme – et à tous ses succédanés : l’ethnie, la culture ou la religion dès lors qu’elles sont essentialisées – mais de prendre en compte le pouvoir performatif des fictions racistes et donc de reconnaître une effectivité des divisions et hiérarchies raciales.

Il s’agit en d’autres termes de récuser toute idée d’une infériorité naturelle ou culturelle des non-Blanc(he)s, mais de reconnaître, pour les combattre, tous les processus d’infériorisation sociale auxquels les non-Blanc(he)s sont soumi(se)s – et conjointement de récuser toute idée d’une supériorité blanche, occidentale ou « judéo-chrétienne » tout en reconnaissant qu’à niveau équivalent de richesse et de compétences, la discrimination systémique limite la concurrence et donc augmente pour les Blanc(he)s les opportunités d’accession au bien-être, notamment à l’emploi ou au logement.
C’est donc, pour les Blanc(he)s, adopter à l’égard de ce privilège une posture particulière, à égale distance de l’adhésion et de la dénégation, que j’ai nommée conscientisation et traîtrise.

Extrait cité par Sébastien Fontenelle dans CQFD d’avril 2017.

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