La France irréformable

Aujourd’hui, 87 % des nouvelles embauches se font en CDD, les salariés en CDD et intérimaires restent dans la précarité, ces types d’emplois sont rarement des tremplins vers une activité durable, de sorte que chaque génération occupe moins d’emplois stables que la précédente. Il n’y a d’ailleurs pas de consensus scientifique sur le lien entre flexibilité du marché du travail et création d’emplois, comme le rappelle une note du Conseil d’analyse économique (CAE) qui, dans une synthèse des travaux théoriques et empiriques sur le sujet, écrivait en 2015 « Il n’y a pas de corrélation démontrée entre le niveau de protection de l’emploi et le taux de chômage. »
Cette approche fait écho à une autre qui a fait grand bruit dans les milieux avisés en son temps. En 1994, l’OCDE avait livré une étude indiquant qu’un certain degré de protection de l’emploi se traduisait par des conséquences néfastes sur le chômage pour mieux se déjuger en 2004, indiquant qu,il n’y avait pas de corrélation entre le niveau de protection de l’emploi et la croissance du chômage.
Retirer des protections aux salariés n’a jamais créé d’emplois, cela permet juste de faire du travail une variable d’ajustement en donnant au patronat la possibilité de compresser plus facilement les coûts via les licenciements en cas de perte d’activité.

L’important dans l’affaire, c’est le récit qui en est fait. Avec un mélange de mauvaise foi et d’amnésie, beaucoup d’éditorialistes et d’économistes nous racontent l’histoire d’une France irréformable, ce qui est faux au regard des faits.
Adjectif souvent associé au mot France. La France irréformable est probablement le plus grand mensonge de ces trente dernières années.
En réalité, notre pays a effectué de nombreuses réformes sans qu’elles rencontrent les succès espérés. Les experts pro-réformes font chaque fois comme si la réforme d’avant n’avait pas eu lieu, afin d’en réclamer d’autres. Une réforme en balaie une autre, toujours accompagnée du même discours stigmatisant à l’égard des Français, lesquels refuseraient de faire des efforts. « Les Français détestent les réformes », a dit Emmanuel Macron lors d’un déplacement à Bucarest.
L’histoire montre qu’ils en ont pourtant accepté un certain nombre.
À partir de 1983, la France entame un virage économique qui la conduit à épouser les orientations du capitalisme dominant. C’est le fameux « tournant de la rigueur ». Ainsi, le gouvernement de l’époque met en place une austérité budgétaire qu’il justifie par la nécessité d’une monnaie forte, l’intégration européenne, la compétitivité, la mondialisation et la volonté de moderniser son appareil étatique. Il conduit une politique de « désinflation compétitive » reposant sur trois piliers : le franc fort, la réduction de la dépense publique  » et la modération salariale. L’objectif étant de gagner en compétitivité pour soulager notre économie du poids de la contrainte extérieure.
L’Allemagne est alors désignée comme le modèle à suivre, et le franc doit tenir tête au mark, devise de référence. Ainsi, la France renonce aux dévaluations de sa monnaie (la dernière sera réalisée en 1987) et s’applique à lutter contre l’inflation. Les salaires connaissent alors une modération sans précédent, puisque leur part dans la valeur ajoutée nationale subit un recul de dix points de pourcentage entre 1976 et 2008. D’autres facteurs concourent au contrôle des salaires, comme le recours à l’emploi précaire – notamment l’intérim, déjà légalisé depuis 1972.

Extrait d’un article de Thomas Porcher dans Politis du 06 octobre 2022.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *