Guerre du capitalisme

On a pu lire dernièrement les propos que le pape a tenus aux journalistes qui l’accompagnaient dans son récent voyage à Cracovie. Il aurait déclaré : « Le monde est en guerre parce qu’il a perdu la paix… quand je parle de guerre, je parle d’une guerre d’intérêts, d’argent, de ressources, pas de religions. Toutes les religions veulent la paix, ce sont les autres qui veulent la guerre… On répète le terme d’insécurité, mais le vrai terme est la guerre. Depuis longtemps le monde est en guerre fragmentée. La guerre qui était celle de 1914, puis de 39-45, et maintenant celle-ci ». Cette déclaration, dont le début sonne un peu comme une tautologie, se révèle ensuite pleine de sens.

Il est clair, pour qui sait entendre, que la « guerre fragmentée » qui se poursuit, sous une forme apparemment intermittente, en réalité permanente, à travers les époques successives de l’histoire, ressemble furieusement à ce que, dans une autre tradition, on appellerait « lutte des classes » à l’échelle nationale et internationale. (On comprend, soit dit en passant, pourquoi ce pape sent un peu le fagot pour les plus réacs de ses ouailles.) Il s’agit bien là, en effet, d’une lutte incessante qui, sous des formes sociales et/ou politiques, militaires, etc., met aux prises, à travers la planète et à toutes les époques, les forces de ceux qui s’arrogent le droit d’accaparer le monde à leur profit (celui d’une minorité ethnique, économique, politique, idéologique, ou autre) et les forces qui luttent pour l’émancipation du genre humain.

Cette lutte paraît interminable parce qu’elle est inscrite structurellement au cœur même de notre système économico-politique, le capitalisme, qui s’est mondialisé. Le mécanisme de base du capitalisme impliquant l’exploitation du travail salarié, la privatisation des ressources et des moyens de production, la concentration du profit, la concurrence, l’expropriation et l’endettement à mort, les chances de survie, tant pour les particuliers que pour les collectivités, restent liées à la capacité de se battre, par tous les moyens, pour arracher une forme de redistribution ou préserver une forme de propriété commune.
D’où une conflictualité sans remède véritable (à l’intérieur du système) qui empoisonne tous les rapports sociaux et entretient dans tous les champs un climat de « guerre » perpétuelle, souvent travesti ou euphémisé mais jamais totalement apaisé. Ce qui a inspiré à nombre de théoriciens du social la vieille croyance naturaliste que « l’homme est un loup pour l’homme ». En fait de loup, on a, à chaque époque, une classe sociale, dominante et prédatrice, qui s’arroge le droit de traiter les autres comme des moutons et des lapins.

Extrait de la chronique d’Alain Accardo dans le journal La Décroissance de septembre 2016.

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