Gentrification en marche à Marseille

Et si la catastrophe de Noailles permettait à la mairie de réaliser enfin la gentrification massive dont elle rêve ?

Bientôt 2 000 évacués à Marseille. Et le chiffre augmente tous les jours. Une psychose de l’effondrement gagne les locataires, les bailleurs, les syndics et, surtout, les services municipaux.
Certains ont senti le souffle du danger, et de la culpabilité, passer sur leur nuque. Si une nouvelle catastrophe survenait, et si par malheur il y avait encore des morts, le prix politique à payer serait très lourd. Sans doute
fulgurant.
Deux éditorialistes ont déjà réclamé la démission du maire Jean-Claude Gaudin sur Europe 1 et France-Inter.

Après l’évacuation de la rue d’Aubagne entre la rue Moustier et la rue Estelle, puis de plusieurs immeubles de la rue Jean-Roque, le vent mauvais des expulsions préventives, « à titre conservatoire », s’est étendu sur le centre-ville et au-delà. Christophe Suanez, chef du service de prévention et de gestion des risques, a estimé, lors de la visite du ministre du Logement du jeudi 29 novembre, qu’ « en quelques jours, on en est à [l’équivalent de] quatre ans de procédures ». Effort louable si on avait affaire à des gens bienveillants. Mais pour l’équipe Gaudin, il s’agit probablement à terme de « se débarrasser de la moitié dela population » du cœur de ville, qui mérite autre chose (mots de Claude Valette, adjoint au maire chargé de l’urbanisme dans le journal La Figaro en 2003).

Une certitude : ce zèle soudain dans l’application du principe de précaution est suspect. Surtout quand, sur les lieux du drame, le jeune ministre Julien Denormandie vient susurrer à Arlette Fructus, élue chargée du logement et
présidente de Marseille Habitat, qu’ « on va accompagner la mairie et la métropole pour accélérer tout ça, il faut aller beaucoup plus vite ». Accélérer tout ça…
Parle-t-il du relogement des sinistrés ou de l’éviction des pauvres du centre-ville ? On est en droit de se poser la question.

Lorsque l’adjointe au maire, casque de chantier sur la tête, insinue en mode alibi que « le problème, c’est qu’on est dans un périmètre « site classé » et on a des instructions des Architectes des bâtiments de France de plutôt travailler à la réhabiIitation qu’à la démolition », le ministre macronien la rassure tout de suite : « ça nous a valu beaucoup de critiques, mais on a modifié ça. […] On va laisser le dernier mot au maire. […] La loi a été votée et validée par le Conseil constitutionnel la semaine dernière. »
Ce à quoi l’intriguante Fructus répond, gourmande : « Avec décret d’applicatíon ? Alors là, c’est super ! » (voir la vidéo « Julien Denormandie en visite rue d’Aubagne » sur lamarseillaise.fr).
Quant au maire, on connaît le fond de sa pensée : « Nous avons pris d’un commun accord avec Monsieur le préfet des arrêtés de péril pour pouvoir dégager l’ensemble de ce secteur. » (sur bfm-tv le 09 novembre 2018)
Cet homme-là est un livre ouvert. Et il ne regrette rien.

Ceux qui réclamaient que l’État prenne la main en pensant affaiblir le vieux Gaudin en sont pour leurs frais.
Et devraient tirer les leçons du passé : la mise sous tutelle de la ville en 1938 (après la gestion calamiteuse de l’incendie des Nouvelles Galeries) avait facilité, cinq ans plus tard – et avec l’aide de la Kommandantur -, l’expulsion de milliers de Marseillais et le dynamitage du quartier historique de Saint-Jean. Plutôt que d’éloigner encore plus les centres de décision, c’est un contrôle des habitants sur toutes les opérations urbanistiques à
venir qu’il va falloir imposer.

Article du mensuel CQFD de décembre 2018.

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