Droits et devoirs

Dans la logorrhée des vœux présidentiels adressés aux Français, une phrase aurait dû résonner comme une sirène d’alarme démocratique. « Aurait dû ». Car chacun conviendra qu’elle n’a pas été relevée comme il conviendrait s’agissant d’une hérésie dans « la patrie des droits de l’Homme », qui n’est plus depuis longtemps que « le pays de la proclamation des droits de l’Homme » (ainsi que l’a fort bien dit un jour Badinter, Robert pas Élisabeth), plus rarement encore critiquée. Sans doute faut-il y voir un signe supplémentaire de l’affaissement de la culture républicaine. « Les devoirs valent avant les droits », a donc cru bon de nous asséner Emmanuel Macron pour justifier, sans le nommer explicitement, le futur passe vaccinal.

Si cette pseudo-leçon de civisme s’adressait aux non-vaccinés dont le gouvernement entend un peu plus « pourrir la vie », selon le mot d’un ministre, en attentant à leur liberté d’aller et venir, on aurait tort de croire qu’elle ne s’applique qu’à eux. « Vous avez des devoirs avant d’avoir des droits », avait déjà déclaré le Président en réplique à l’interpellation d’un migrant sans-papiers, lors d’un déplacement à Nevers le 21 mai. Ce mantra liberticide, qui guide aussi la réforme de l’assurance chômage, s’oppose à l’héritage émancipateur de la Révolution française. Si nul n’a jamais prétendu que les citoyens n’avaient pas de devoirs, ce sont des droits qu’énonce la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, étant entendu pour ses rédacteurs que ceux-ci sont « naturels et imprescriptibles » et que leur seul énoncé permet à chacun de connaître ses devoirs. Et non l’inverse. Car, de même qu’un droit sans pouvoir n’est pas un droit mais un mirage, un droit qui dépendrait de la bonne exécution d’un devoir ne saurait être un droit puisque ce serait une récompense qui ne dépendrait que du bon vouloir d’un maître (monarque, empereur, président…) qui aurait décidé du devoir à accomplir. Il serait soumis à l’arbitraire.

Proclamer des droits en les assortissant de devoirs qui leur serviraient de correctifs est une vieille obsession d’Ancien Régime. Une bonne partie de la noblesse et la majorité du clergé, dont l’abbé Grégoire, en avaient défendu l’idée dans un amendement repoussé par l’assemblée constituante le 4 août 1789. Leurs descendants n’ont eu de cesse de revenir à la charge depuis, parfois avec succès, rappelait en 2008, Me Henri Leclerc dans un texte lumineux, republié par Mediapart. « Ce sont les sociétés totalitaires qui reposent d’abord sur l’obéissance à des impératifs non négociables », rappelait-il. Il serait bon de s’en souvenir au mois d’avril.

Article de Michel Soudais dans Politis du 6 janvier 2022.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *