Désarmement et éco-terrorisme

– Il y a eu toute une réflexion autour du choix des mots à employer pour qualifier nos actions – par exemple lorsqu’on décide de découper la bâche d’une méga-bassine ou de sectionner une canalisation de pompage d’eau illégale pour les mettre hors d’usage.
Typiquement, la Confédération paysanne parle de « démontage ». On aurait pu aussi parler de « démantèlement », de « sabotage », ou même de « contre-violence », terme qui était je crois utilisé par la militante éco-féministe et anti-nucléaire Françoise d’Eaubonne… Ce qui est intéressant avec le « désarmement », c’est que ça montre qu’on désactive une arme. C’est à mon sens le terme qui permet le mieux d’expliquer la situation dans laquelle nous, activistes écologistes, nous trouvons aujourd’hui :
nous faisons face à des infrastructures écocidaires qui ne nous laissent plus d’autre choix que d’agir. Nous subissons cette violence systémique au quotidien, et cette violence, il faut la désactiver, il faut la désarmer. On tente donc de populariser ce terme, et en tant que membre de l’équipe communication, j’essaye à chaque fois de bien l’expliciter. Ceci dit, on n’a rien inventé : ça fait des années que le « désarmement » ou le « sabotage » est pratiqué dans les luttes écolos. La seule différence, c’est que ces actions étaient souvent réalisées dans la clandestinité alors que nous, nous voulons revendiquer notre légitimité à le faire en procédant collectivement, plusieurs centaines, voire plusieurs milliers.

– Ces actions d’ampleur vous ont d’ailleurs valu d’être désignés comme des « éco-terroristes » par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à l’issue de la mobilisation contre les méga-bassines de Sainte-Soline en novembre 2022…

– Je ne m’attendais pas à ce qu”on arrive à ce degré d’accusation aussi vite, que ça aille aussi loin… même si pour moi cette désignation relève bien sûr d’une tactique bien réfléchie et d’un récit policier qui s’échafaude depuis des années contre les militants écolos. Le but est de nous dépeindre comme de dangereux extrémistes et d’instiller l’idée qu’à partir du moment où l’on mène une action de désobéissance civile, où l’on conteste en les transgressant des lois qui nous semblent illégitimes ou injustes, on est engagé dans une pente qui mène inexorablement à la planification de tueries de masse. C’est ridicule, et ça l’est d’autant plus quand on sait que des milices d’extrême droite surarmées font tranquillement leur vie sans être inquiétées. On fait d’ailleurs comme si le degré de violence de la part des manifestants était supérieur à celui dont ils sont victimes de la part des forces de l’ordre.
Après Sainte-Soline, on a parlé de 61 gendarmes mobiles blessés dont 22 « sérieusement »…
Mais il faut retourner tout cet argumentaire : quand l’État veut nous empêcher de mener certaines actions – qui sont pour nous, je le répète, nécessaires et légitimes – et que les consignes données aux forces de l’ordre consistent à menacer les gens, à les asperger
à la moindre occasion de gaz lacrymogène, à les nasser, à leur tirer dessus à coups de flashball, comment la foule est-elle censée réagir ?
En nous désignant comme des « éco-terroristes » et en tentant de dresser la population contre nous, le but est aussi d’avoir les mains libres pour que la répression politique puisse librement s’exercer.

– Comment se manifeste cette répression politique ?

– Par des mesures d’exception dignes du contre-espionnage, par exemple en posant des caméras devant les domiciles des militants et les lieux de réunion pour les surveiller. Et puis bien sûr, dans les tribunaux, à faire des exemples, conformément à la circulaire du
garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, qui a appelé juste après Sainte-Soline à « une réponse pénale systématique et rapide » pour les « infractions commises dans le cadre des contestations de projets d’aménagement du territoire ». Et la justice n’a pas sourcillé.
Lors du dernier procès, le 6 janvier 2023 à Niort (contre des militantes anti-bassines, ndlr), le dossier avait beau faire 1000 pages passant au crible toute la vie des cinq personnes qui comparaissaient et celle de leur entourage, il était vide de preuves. Une
vidéo, censée être accablante pour l’un des prévenus, n’a pas pu être visionnée car elle était « sous scellés », ce qui a rendu son avocat fou furieux… et n’a pas empêché le tribunal de prononcer des peines de prison avec sursis.

Extraits d’un entretien de Léna Lazare dans Socialter de février 2023.

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