Cirque médiatique

Pas une semaine ne passe sans que le cirque médiatique ne charrie son lot de « clashes », de « dérapages » et autres « bad buzz », selon le vocabulaire désormais consacré, tant ce type d’épisodes l’alimentent et le font vivre, comme le mois de septembre l’a encore montré au gré des « polémiques » Zemmour, Campion ou Bastié.
Dans leur course à la provocation et à la surenchère, les animateurs-producteurs, indifférents à ce qui se dit sur leurs plateaux, se préoccupent d’abord de capter l’audience. Le groupe Bolloré ne s’y trompe pas, lui qui a capitalisé sur les dernières outrances d’Éric Zemmour en feuilletonnant la polémique jusqu’à plus soif sur les différentes chaînes en sa possession (C8, CNews, CStar et Canal+), comme le signalait Arrêt sur images.

La financiarisation du paysage médiatique, son extrême concentration et la concurrence inter-médias qui en résulte expliquent, en partie, la circulation circulaire de ces polémiques à répétition.
Pour arracher quelques dixièmes de points d’audimat et capter les intérêts publicitaires associés, les médias dominants commentent en boucle ce qui se dit chez le voisin, en invitant un Zemmour à présenter son dernier ouvrage (16 invitations entre le 7 et le 23 sept.) voire en consacrant des émissions entières à ses « dérapages » en compagnie de « dérapeurs » de la même trempe ou… de lui-même.

Le formatage des émissions de télé – service public comme secteur privé – repose sur les mêmes ressorts : de faux débats, surchargés en invités et fondés sur le principe d’échanges « vifs », nécessitant un vivier de « bons clients médiatiques », disponibles à toute heure pour s’exprimer sur n’importe quel sujet, avec une prime au « franc-parler ».

Cadrant particulièrement bien avec ce portrait-robot, une poignée de professionnels de la polémique représentant un nuancier de la droite réactionnaire et extrême se répartissent les fauteuils à la télévision et à la radio : Charlotte d’Ornellas (Valeurs actuelles) a son rond de serviette dans « 28 minutes » sur Arte, dans « L’heure des pros » sur CNews, et est régulièrement invitée chez Ardisson, ou Gilles William Goldnadel (Valeurs actuelles, Le Figarovox) est chroniqueur permanent. Ivan Rioufol (Le Figaro) et Élisabeth Lévy (Causeur) bénéficient eux aussi des faveurs de Pascal Praud ou de David Pujadas sur LCI, comme Jean-Claude Dassier (Valeurs actuelles), régulièrement invité par Laurence Ferrari sur CNews. Éric Brunet quant à lui anime des émissions sur RMC et BFM-TV, tandis que Charles Consigny, ex-« grande gueule », est désormais confortablement installé chaque samedi chez Ruquier (France 2).

Face à un tel système, répondre par la censure individuelle semble vain : selon quels critères ? Qui pour décider ? Et pour quels effets? Le problème n’est pas ce que ces idéologues pensent ou disent, mais leur surreprésentation
dans les grands médias (en plus de leurs médias respectifs) pour venir commenter l’actualité sous l’étiquette trompeuse de simples « chroniqueurs » ou « éditorialistes ».
Une surreprésentation qui nourrit la dépolitisation de la politique au profit du sensationnalisme d’une part, et, d’autre part, la promotion des thèmes chers à l’extrême droite (sécurité, identité nationale, immigration, islam) dont les plateaux « discutent » en restreignant le périmètre des réponses qui y sont apportées. Et surtout sans qu’il soit possible de remettre en cause le cadrage même de ces thèmes, )à fortiori pour leur substituer d’autres questions, notamment sociales.

Tant que cet ordre médiatique ne sera pas radicalement remis en cause et donc posé comme une question politique, on aura beau sortir tous les Zemmour qu’on voudra par la porte, d’autres reviendront instantanément par la fenêtre.

Édito de Médiacritique(s), magazine trimestriel d’Acrimed de octobre-décembre 2018.

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