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L’éditocratie avec macron

Après avoir vanté les mérites du projet de contre-réforme des retraites (Médiacrítiques n°45, janv.-mars 2023) et manifestement échoué à convaincre, la plupart des commentateurs médiatiques, presse et audiovisuel confondus, continuent à le défendre, en campant sur leurs fondamentaux : même si certains ont mollement reconnu son caractère « injuste », cette réforme n’en reste pas moins « nécessaire » et « incontournable » (p. 26).
Partout, le reportage est réduit à peau de chagrin et les travailleurs ne sont généralement entendus que par le biais de micros-trottoirs, qui restreignent et individualisent la parole en écrasant le collectif. Partout, les « débats » se font en vase clos ou dans des conditions iniques et inégales : face aux contestataires, les chefferies éditoriales déploient leurs escadrons de fast thinkers (p. 32) : éditorialistes, chefs de service politique, chroniqueurs et consultants économiques, sondologues, « spécialistes en communication » et autres experts patentés… tous se chargent de diffuser la bonne parole (p. 13).

Si quelques têtes d’affiche se sont récemment rebiffées contre le mensonge gouvernemental d’une « retraite minimale à 1 200 euros », elles en oublient quelles-mêmes l’avaient propagé un mois durant, plus promptes à télégraphier la communication du pouvoir qu’à exercer leur métier : sinon enquêter, du moins s’informer, un minimum, avant de prétendre « informer ».
Du reste, maintenu strictement dans un cadre qui épouse les présupposés gouvernementaux, le « débat public » n’a de débat que le nom, puisqu’il ignore les alternatives progressistes à « la-réforme », pourtant portées (et documentées) par des organisations syndicales, associatives et politiques. « La reforme ou la faillite » synthétise Sonia Mabrouk (Europe 1, 11 janv.) ; « la réforme ou le déclassement » paraphrase Le Télégramme (12 janv).
En amont de la première journée de grève (19 janv.), le journalisme de démobilisation a rempli sa fonction première, invariable depuis trente ans : promouvoir la régression sociale et déstabiliser celles et ceux qui la contestent (p. 4). Depuis, le journalisme dominant suit à la lettre sa feuille de route traditionnelle par temps de « réforme » (p. 42). Ainsi des intervieweurs, qui, toutes chaînes confondues, prennent pour punching-ball (p. 19) les représentants syndicaux et des dirigeants politiques de gauche (p. 10).
Si les petits soldats réactionnaires de Bolloré sont en tenue de combat (p. 16), ils sont loin d’être les seuls.

Pensons notamment aux dix éditorialistes invités par Emmanuel Macron à déjeuner (p. 22) : après avoir chanté les louanges de la réforme en toute liberté, ces porte-parole se sont aimablement pliés à une opération de communication décidée par l’Élysée. Un journalisme de cour… qui sait naviguer entre servilité et hostilité : que ce soit sous les lumières tamisées d’un plateau de service public (p.34) ou sous le tonnerre des outrances éditocratiques habituelles (p. 39), la gauche parlementaire, « irresponsable », est clouée au pilori. Si le phénomène est loin d’être nouveau (p. 49), la puissance de la mobilisation sociale en cours rend d’autant plus opportune la nécessité, pour la gauche, de politiser la question des médias et de s’engager dans un rapport de forces collectif contre les chefferies éditoriales, en les considérant enfin pour ce qu’elles sont : des adversaires politiques, des militants mobilisés et aux yeux de qui tous les coups sont permis pour défendre l’ordre établi.

Édito-Sommaire de Médiacritique(s), magazine trimestriel d’Acrimed de avril-juin 2023.

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Didier Lallement, un grand affectif

Le 20 octobre 2022, Didier Lallement, secrétaire général de la Mer, publie un livre-entretien (L’Ordre nécessaire) avec l’ancien chef du service politique de France Info (Jean-Jérôme Bertolus), dans lequel il revient sur son expérience d’ex-préfet de police de Paris. Mais l’immanquable tournée promo n’a que trop peu été l’occasion de revenir (notamment) sur son bilan à la tête de la préfecture de police de Paris (mars 2019-juillet 2022). Au contraire, une douce mélodie fut chantée dans Paris Match, le JDD et L’Express : celle de la « métamorphose »…
« Un maintien de l’ordre violent, des propos méprisants, voire insultants, et des déclarations mensongères : c’est ainsi que pourraient se résumer les trois années passées par Didier Lallement à la tête de la préfecture de police de Paris », synthétisait Mediapart. « Le bilan [concernant les journalistes] du préfet Didier Lallement est indubitablement négatif », détaillait encore RSF (Reporters sans frontières).
Mais dans Paris Match (12 oct.), on s’intéresse à l’homme derrière l’uniforme, plutôt qu’au bilan du préfet : Il est méconnaissable. Didier Lallement a tout lâché, l’uniforme, le phrasé schlagué, le masque glacial, surjoué sous la casquette, sans craindre d’être le préfet le plus détesté de la 5e République.
Le voilà dans une brasserie parisienne, jeans, barbe de hipster, le regard philosophe, presque doux. « Doux », le Journal du dimanche (16 oct.) l’est aussi assurément. Sous la plume de Catherine Nay, on « respire » : Il respire, cela se voit. Il émane de lui quelque chose de très doux que n’imaginerait pas la cohorte de ses détracteurs tant sa réputation de mauvais caractère voire de « brute épaisse » est établie. […]
« Bien sûr, continue Catherine Nay, les manifs ont laissé de mauvais souvenirs, il y a eu des blessés par des tirs de LBD. » Un détail…
« Mais il a changé la doctrine en engageant les effectifs au plus près des manifestants pour maîtriser la foule. » Nous voilà rassurés ! Pour une conclusion toute en révérence : « Le 27août, Didier Lallement a fêté ses 66 ans. Le bruit et la fureur autour de lui s’estompent, on découvre un grand affectif. »

Extraits d’un article du magazine trimestriel Médiacritiques de janvier 2023, édité par l’association Acrimed.

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L'énergie en France Médias

Nucléaire, mensonges sur le charbon allemand

« Pour sortir du nucléaire, l’Allemagne a dû revenir au charbon ! »
Qui n’a jamais entendu cette affirmation aussi courante que fausse ?
La décision de sortie du nucléaire, en 2011, n’a pas été effectuée grâce à un renfort du charbon, mais a donné l’impulsion pour une montée en puissance décisive des énergies renouvelables, qui a plus que compensé le déclin de l’atome.
En parallèle, malgré l’extension de mines de charbon destructrices, de nombreux projets de centrales à charbon ont été abandonnés et une baisse du recours aux énergies fossiles a été constatée.
Pour le mouvement climat allemand, lui-même issu du mouvement antinucléaire, le choix n’est plus entre nucléaire et charbon, mais énergies du passé et énergies d’avenir : maintenir la sortie de l’atome, accélérer la fin du charbon et atteindre au plus vite le 100 % renouvelable.

Article de la revue Sortir du nucléaire de l’hiver 2023.

Les statistiques officielles allemandes montrent clairement que les productions de charbon et de lignite sont en forte baisse depuis 2013, que la production nucléaire est en baisse depuis 2010 et que c’est la très forte hausse des renouvelables qui a compensé.

Pourquoi les média français nous racontent le contraire ?

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20 heures, émouvoir et divertir

C’est du domaine de la colère intérieure, du haut-le-cœur muet devant sa télé, de la bouche bée devant un système jean-foutre. Ne pas compter sur ces gens-là pour te raconter ce qui est essentiel ici et dans le monde. Une fois passés les titres et les choix d’ouverture des journaux du soir ou du matin, une fois digérés le fait divers et la météo d’exception, bien sûr sans trop s’appesantir sur le contexte de changement climatique, voici les reportages à l’étranger.
En Israël, du spectaculaire, de l’innovant : des drones qui cueillent les pommes. Belle réalisation technologique longuement démontrée au pays où sévit l’apartheid puisque deux genres de citoyens sont clairement identifiés. Mais là – c’était sur France 2 -, pas question d’y faire référence, pas de reportage non plus sur les morts palestiniens, les destructions de maisons arabes au profit des colons et les exactions de l’armée occupante.
Non, les pommes d’abord ! Ainsi l’arrivée d’un gouvernement d’extrême-droite tout comme la répression menée par Israël contre les Palestiniens de Cisjordanie ne sont pas dignes d’intérêt ! Les pommes, vous dis-je.

Et c’est comme ça pour bien d’autres lieux étrangers. Sauf l’Ukraine, où la guerre oblige à respecter le travail des reporters. Mais en Afrique, les reportages sont des cartes postales, sur des safaris et des sites géographiques ; en Nouvelle-Calédonie – Certes c’est la France, mais c’est si loin… – on nous montre des touristes bien blancs, bien riches, en train de se pâmer devant la couleur bleu azur d’un lagon…
Désormais, le journalisme pratiqué et diffusé dès le second quart d’heure du JT est un divertissement. Dans le sens premier : divertir, c’est à dire conduire le regard vers autre chose, se tourner vers ailleurs.

Ah, heureusement, il reste quelques faits divers bien crapoteux pour assurer l’émotion et l’audience. Ainsi va la course médiatique, soucieuse de ne pas trop troubler le spectateur et d’éviter l’écart entre rumeur et réalité en se déportant vers de bien belles images tournées pour faire rêver et dignes d’alimenter les bavardages du lendemain.

Pas étonnant que la confiance dans le travail des journalistes se traîne en queue de peloton des enquêtes d’opinion. Pas surprenant que le nombre de téléspectateurs soit à la baisse. C’est inquiétant pour ce métier d’information où, chaque jour, il conviendrait de se demander ce qui est important, quelle est la hiérarchie des faits à rapporter. Mais je raisonne comme un sot nourri d’autrefois alors que la vague des jean-foutre caracole sur les réseaux télévisés à flux continu.

Article de Claude Sérillon dans Siné mensuel de décembre 2022.

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BFM et la liberté d’expression

Chez Télérama, Samuel Gontier a des collègues payés à « regarder des séries ». Son travail à lui est plus éprouvant. Chroniqueur télé, il s’inflige le pire du petit écran, du 20 heures de TF1 aux bavardages fascisants des plateaux de CNews. Reportages biaisés, déférence envers le pouvoir, propagande néolibérale, hostilité obsessionnelle aux grévistes, aux chômeurs, à l’islam et à l’immigration : dans la France de l’ère Macron, la désinformation télévisuelle bat son plein. Avec un style plein d’humour et d’ironie piquante, Samuel Gontier en rend compte dans ses articles, publiés depuis une quinzaine d’années par Télérama (et, occasionnellement, par CQFD).

Mais ce qui l’amène à comparaître ce 17 octobre devant la chambre des délits de presse du tribunal de Paris, c’est un simple tweet « Depuis l’arrivée de Marc-Olivier Fogiel à sa tête, la ligne éditoriale de BFM TV s’affermit : racisme, xénophobie et islamophobie à tous les étages. Et libre antenne à Luc Besson, accusé de viol. » Ni la chaîne ni l’animateur n’ont apprécié. Ils ont porté plainte en diffamation.

Le 9 octobre 2019, quand Samuel Gontier poste ce message sur le réseau social Twitter, c’est pour faire la réclame d’un de ses articles, tout juste mis en ligne sur le site de Télérama. Intitulé « Robert Ménard, Marine Le Pen et Jean-Pierre Chevènement en majesté sur BFMTV », le texte relate une journée ordinaire chez BFM, trois mois après l’arrivée de Marc-Olivier Fogiel à sa direction, en juillet 2019.
L’invité du matin ? Le politicien d’extrême droite Robert Ménard. Simplement présenté comme « maire sans étiquette de Béziers et fondateur de Reporters sans frontières », ledit Ménard est invité à parler… d’immigration.
Plus tard dans la journée, voici un débat entre éditorialistes. « La question n’est pas celle de l’immigration en général, elle est celle d’une immigration en particulier, qui a à voir avec la sphère arabo-musulmane et qui a à voir avec l’histoire de France », affirme Jean-Sébastien Ferjou, du site conservateur Atlantico. […]

Les chaînes d’infos en continu jouent un rôle primordial dans l’agenda et le cadrage médiatiques. Elles disent à quoi penser et comment y penser. […]

[…] le comptage du CSA n’a rien de fiable : si, comme Robert Ménard, ils ne sont pas clairement affiliés à un parti, les invités ne sont pas pris en compte. L’éditorialiste d’Atlantico qui prétend qu’il y a un problème avec l’immigration arabo-musulmane « n’est pas comptabilisé non plus ». Et puis, ce qui fait la ligne éditoriale d’une chaîne, c’est aussi le choix des sujets. « Passer des heures et des heures sur un fait divers impliquant un exilé afghan, c’est un choix, lance le journaliste […]

Extraits d’un article de Clair Rivière dans le journal CQFD de novembre 2022.

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Concentration des médias

La voracité de Vincent Bolloré pour étendre son empire a occulté les autres mouvements de concentration qui ont touché le paysage médiatique (et le monde de l’édition) ces derniers mois, à commencer par le projet (avorté) de fusion TF1-M6 (p. 3). Face à la gourmandise des milliardaires, le Sénat a mis en place une commission d’enquête entendant « mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie ». Las, cinq mois plus tard, malgré de nombreuses auditions – dont celles d’Acrimed (p. 21) et des propriétaires de médias (p. 18) -, le rapport de la commission sénatoriale est resté bien trop timide.

Pourtant, la situation est préoccupante. D’un côté, des propriétaires qui ne se privent pas de peser sur la ligne éditoriale de leur média, notamment en période d’élections (p. 4), et qui peuvent pour cela s’appuyer sur des chefferies à leur écoute (p. 12). De l’autre, une financiarisation qui fait primer des logiques de rentabilité et de profitabilité, plutôt que d’investir dans le reportage et l’enquête (p. 14). S’il est donc nécessaire de « refonder la propriété des médias » et de donner plus de pouvoir aux rédactions, encore faut-il en discuter les modalités et les principes (p. 24).

L’un des chantiers majeurs est sans conteste celui du financement. Le dépôt de bilan du Ravi, début septembre, rappelle qu’il est impératif de soutenir les médias indépendants, par exemple en réorientant les aides à la presse, qui bénéficient actuellement aux plus riches (p. 8). Il est aussi nécessaire d’octroyer des moyens suffisants au service public de l’information. La suppression de la redevance, finalement promulguée cet été malgré une mobilisation en juin (p. 31), n’est de ce point de vue pas une bonne nouvelle. Pire, elle fragilisera un peu plus un audiovisuel public déjà exsangue. C’est pourquoi la refondation de l’audiovisuel public reste un combat à poursuivre, et des états généraux pourraient constituer une première étape vers une réappropriation des médias (p. 37).

En cahier central de ce numéro, nous glissons la désormais fameuse carte du paysage médiatique « Médias français : qui possède quoi ? », fruit d’un partenariat entre Acrimed et Le Monde diplomatique depuis 2016. Il s’agit de la dix-septième version, éditée en décembre 2021… en attendant la prochaine : dans le monde des grands médias, les transactions, rachats et autres OPA ne connaissent pas de trêve.

Édito-sommaire du numéro d’octobre-décembre 2022 de Médiacritique(s), magazine trimestriel d’Acrimed.

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Des médias à pleurer

Quelle tristesse! Quel drame!
La reine des Britanniques a cassé sa pipe en or à 96 ans dans sa propriété de Balmoral – 20000 hectares, 50 employés à demeure, plus de chambres que tous les palaces parisiens réunis – entourée de sa famille. Quelle terrible fin. On ne la souhaite à personne. La seule bonne nouvelle dans cette horrible tragédie est venue des radios, télés et journaux qui, pendant quarante-huit heures, n’ont parlé en boucle et non-stop que du décès de la Queen.
Plus de guerre en Ukraine, plus de dérèglement climatique, plus d’économies d’énergie à faire, plus d’inflation, plus de problème de pouvoir d’achat, même plus de Macron. La reine devrait mourir plus souvent!
Les médias, dans leur ensemble, ne cessent de nous surprendre. Gorbatchev meurt quelques jours plus tôt, les voilà qui survolent le sujet entre Paul Pogba qui aurait marabouté Kylian Mbappé et une histoire de char à voile pour les déplacements du PSG.
C’est un choix éditorial entre celui qui a changé le monde et celle qui a passé sa vie à changer de demeure.
Des médias que je remercie au passage.
Les journalistes du PAF m’ont enfin ouvert les yeux : « La France est triste. » « C’est la sidération dans tout le pays. » « Les Français pleurent la reine. » « La reine avait conquis nos cœurs… » Heureusement qu’ils sont là pour nous informer. Grâce à eux, j’ai découvert, ébahi, que j’aimais la reine.
Nous avons vécu minute par minute l’agonie, le trépas, la sidération, le recueillement, le voyage du cercueil, les déplacements du remplaçant écolo en avion privé, la famille à nouveau soudée, la fabrication des nouvelles tasses à thé, l’explication du protocole. Chacun y va de son témoignage poignant, et ça dure, la machine à niaiseries est en branle, on ne peut plus l’arrêter. Dans ce magma de platitudes, une phrase a retenu mon attention, elle est revenue à de nombreuses reprises : « Tant qu’on n’a pas vu le cercueil, on ne pouvait pas y croire. » Ça paraît con comme ça, mais cette touchante banalité m’a interpellé : est-ce qu’elle est vraiment dans la boîte ? Neuf jours, c’est long, ont-ils été obligés de l’empailler ? Y a-t-il un mannequin à l’intérieur ? Ou 200 kilos de cocaïne ! Pas bête, c’est la meilleure planque qui soit : elle a traversé tout le pays et personne n’oserait vérifier.
C’est dingue, dans un monde de progrès obligatoire et de modernité à tout prix, une vieille bourgeoise ringarde conservatrice ultra-traditionnaliste est considérée comme une icône. Serions-nous si paumés, en manque de valeurs et de repères ?
De ce point de vue, effectivement, la mort de la reine en dit long sur notre époque.

Article de Christophe Alévêque dans Siné mensuel d’octobre 2022.

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La médiacratie en génuflexion

Quand la Terre cesse de tourner, et qu’il n’y a plus d’autre recours pour échapper à la valse des spécialistes que de couper le son et l’image. Pendant cinq jours, les médias audiovisuels se sont comportés en dévots. Un grand moment pour Stéphane Bern.
Nous avions connu ça chez nous avec Johnny Hallyday. Pardon pour la comparaison! Mais ce n”est pas tant cette inondation médiatique qui nous a choqués que le contenu du discours qui a accompagné chaque étape de ce long parcours de deuil, depuis Balmoral jusqu’à Westminster, où il n’a été question que de foules éplorées et recueillies, jusqu’à ce moment d’extase quand les deux couples princiers ont semblé se réconcilier aux abords de Buckingham. Nous étions invités à être les dupes de ce qui ressemblait pourtant à une mise en scène.
Le journal de 20 heures était devenu une sorte de tabloïd britannique. La directrice de Point de vue, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, était omniprésente sur les écrans de télévision.
Juste retour des choses, puisque cette héritière d’une grande famille de nobles est la descendante d’un certain Stanislas de Clermont-Tonnerre, qui défendit Louis XVI et la royauté jusqu’à la dernière extrémité. Ce qui donnait à nos « talk-shows » un petit côté « Ancien Régime » qui est peut-être plus d’actualité qu’on ne croit.
Enfin, tout ça manquait furieusement du plus élémentaire des pluralismes. Qu’étaient devenus tous les Britanniques qui ne se sentaient pas affligés par le deuil ? Qu’étaient devenus les républicains ? On dit qu’ils sont près de 20 % en Angleterre même, et plus parmi les jeunes.
Sans parler de l’Écosse et de l`Irlande, où des iconoclastes ont chanté « Lizzy’s in a box » à Dublin, et organisé un concert de klaxons à Londonderry, qui n’a pas oublié le massacre des républicains par l’armée en 1972. Sans aller jusqu’à ces marques cruelles d’irrévérence, on aurait pu aller voir du côté des Jamaïcains de Brixton ou des déshérités de Birmingham ou de Liverpool… On aurait pu s’interroger sur cette vague de grèves dans ce pays si merveilleux que l’on nous donnait à admirer ? Où étaient passés Ken Loach et Michael Leigh? Les pauvres ne manquent pourtant pas en Grande-Bretagne, qui a le pénible privilège d’être sans doute le pays le plus inégalitaire d’Europe. Où était la contestation grandissante des frais colossaux d’entretien de la famille, de ses terres, de ses
châteaux et de ses écuries ?
Un mot est revenu sans cesse dans les commentaires : stabilité. Que la monarchie britannique soit gage de stabilité ne fait évidemment aucun doute. Ce n’est pas le constat qui peut choquer, mais l’absence de distance avec des valeurs érigées en vertus cardinales. La continuité et le statu quo ne font pas forcément les affaires de ceux qui veulent changer la société dans le sens d’une plus grande justice sociale.
À son insu, la reine était un pieux mensonge. Elle incarnait une tempérance et une bienveillance en trompe-l’œil dans une société qui est impitoyable et violente. À cet égard, que le dernier geste d’Elizabeth ait été d’adouber Liz Truss, qui se présente comme l’héritière de Thatcher, a quelque chose de symbolique.

Extrait d’un article de Denis Sieffert dans Politis du 15 septembre 2022.

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Le quotidien de référence et la censure

Le Monde aime à se présenter comme « le quotidien de référence ». Ainsi, tout organe de presse pourra désormais se prévaloir du précédent accompli par le journal du soir quand il s’excusera auprès du chef de l’État pour un article qui aura déplu à celui-ci. En effet, après avoir dépublié (ou, en l’occurrence, censuré, selon le dictionnaire des synonymes) sur son site, le 1er septembre, la tribune du chercheur en science politique Paul Max Morin portant sur les propos tenus le 26 août par Emmanuel Macron lors de son voyage en Algérie, Le Monde s’est expliqué dans un premier et bref texte s’achevant en ces termes : « Le Monde présente ses excuses à ses lectrices et lecteurs, ainsi qu’au président de la République. »
On peut être à la fois poli et donner un signal inquiétant en faveur du recul de la liberté de la presse en France.
Intitulée « Réduire la colonisation en Algérie à une « histoire d’amour » parachève la droitisation de Macron sur la question mémorielle », cette tribune a pourtant été commandée, puis réceptionnée, lue, validée par la rédaction et publiée dans l’édition papier (datée du
2 septembre), mais tout cela… « trop rapidement » (sic), comme l’a affirmé le quotidien dans un second texte d’explication.
Dans cette autojustification sinueuse, on peut aussi relever ceci : « Les pages Débats du Monde ont vocation à accueillir des analyses et des points de vue, y compris très polémiques. Nous ne pouvons nous permettre d’y accueillir des textes comportant des erreurs factuelles. »
Écrivant dans sa tribune : « En cinq ans, la colonisation sera passée dans le verbe présidentiel d’un « crime contre l’humanité » (2017) à « une histoire d’amour qui a sa part de tragique » », Paul Max Morin aurait été fort malcomprenant. La parole présidentielle,
en réponse à un journaliste, avait été celle-ci : « Non mais, vous savez, c’est une histoire d’amour qui a sa part de tragique. Il faut pouvoir se fâcher pour se réconcilier. J’essaie, depuis que je suis président de la République et même avant, de regarder notre passé
en face, je le fais sans complaisance. »
« Regarder notre passé en face… » : le chef de l’État ne faisait en effet aucunement allusion aux 130 années de colonisation que la France a imposées au peuple algérien…
Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron développe une dangereuse conception de son rapport à la presse, confondant aisément journalisme et communication. Raison de plus pour ne pas céder un pouce de son indépendance quand on se prétend « le quotidien de référence ».

Article de Christophe Kantcheff dans Politis du 08 septembre 2022.

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Les chiens de garde attaquent la Nupes

Aussitôt Emmanuel Macron réélu, les chiens de garde sécurisaient le périmètre de la « démocratie » en étouffant les critiques. Dire du président qu’il a été « mal élu » ? C’est « ébranler la légitimité du vote, et par là même les fondements de la démocratie représentative » pour Le Monde. C’est « alimenter une défiance dans les institutions, dans notre système démocratique » pour David Pujadas. Des syndicats qui souhaitent être pris en compte ? « C ‘est factieux ! » s’indigne Jean-Michel Aphatie. Ce n’était là qu’un début.

Pour Mathieu Bock-Côté (Europe 1, 27 avr.), « Jean-Luc Mélenchon veut accélérer la crise de régime », tenter « un coup de force » et « un dernier tour de piste avant de se laisser momifier vivant à la manière d’un petit Lénine français vénéré et contemplé par tous les sectateurs de la Révolution ». […]

L’éditocratie poursuivra précisément sur cette lancée. À commencer par Catherine Nay (Europe 1, 30 avr.) : Si ça ne se passe pas comme prévu, « il faudra aller chercher la victoire dans la rue pour faire avancer la société ». Qui le dit ? C ‘est la Clémentine Autain [sic]. Vous savez avec son joli sourire et ses yeux myosotis. Et elle dit ça sans être morigénée par quiconque, c’est sa vision de la démocratie ! Ça s’appelle le fascisme à visage humain.
Dans Le Figaro (6 mai), Ivan Rioufol monte d’un cran : « S’il y a un totalitarisme qui vient, c’est au cœur de la gauche marxiste et révolutionnaire qu’il faut le traquer, comme toujours historiquement. » Et de poursuivre : « L’entourloupe sur « le cordon sanitaire » a permis à l’extrême gauche, sectaire et violente, de se comporter en terrain conquis. Oui, il y a un danger pour la République. Mais il est à débusquer dans la stratégie d’infiltration insurrectionnelle du soi-disant Insoumis. »

[…]

Sur LCI (6 mai), Jean-François Kahn qualifie sans rire les Insoumís de « néo-bolcheviks ». « Un parti factieux, séditieux ? » interroge de son côté Frédéric Haziza (Radio J, 8 mai). « Une secte » affirmait deux jours plus tôt Philippe Val (Europe 1, 6 mai) : « Une secte dont certains militants se radicalisent sur Internet, […]
Le 2 mai, date de l’accord entre La France insoumise et Europe Écologie Les Verts (EELV), David Reyrat, journaliste sportif au Figaro, synthétise : « Pour être certain de ne pas être coincé dans une faille temporelle. On parle bien en 2022 de porter au pouvoir en France des trotskistes, des maoïstes, des communistes, des khmers verts. En 2022. En France. C’est bien ça ? Vous confirmez ? » (Twitter, 2 mai, tweet supprimé depuis). Franz-Olivier Giesbert confirme dans Le Point (5 mai) : « La haine est en marche et rien ne semble pouvoir l’arrêter. » On ne le lui fait pas dire… « Certes, nous ne sommes pas en 1789 quand la populace saccageait et pillait tout sur son passage. Il y a en ce printemps ensoleillé mais saturnien beaucoup d’électricité dans l’air, une violence verbale peu ordinaire, en particulier du côté des chefs à plume de la France insoumise. » Et le non-violent-Verbal de qualifier les responsables insoumis de « mufles » et de « braillards », quelques lignes seulement avant de fustiger la « décomposition démocratique » du pays : « Une partie des « élites » de la France d’en haut commence à basculer dans l’extrémisme de gauche ». Diantre ! L’élite médiatique, au moins, aura été épargnée.

Extraits du numéro de juillet 2022 de Médiacritique(s), magazine trimestriel d’Acrimed.