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Environnement Société

Égologie

Attention, pamphlet ! Dans Égologie, la journaliste Aude Vidal dénonce l’individualisme au sein du mouvement écolo actuel.
Si « l’égologie » dénoncée par Aude Vidal est à la mode, c’est qu’elle s’enracine selon elle dans l’individualisme, au cœur de la dynamique de nos sociétés libérales. Les plus atteints par ce mal croient que le changement global passe uniquement par le changement des comportements individuels. Croire cela est très confortable quand on a les moyens de « changer » : quand on peut se payer une Tesla, télétravailler, ou « changer de vie » pour être plus « cohérent ». C’est très valorisant d’être (ou de se croire) écolo quand on est riche. Pour les autres, ceux qui subissent le plus les contraintes de la machinerie sociale, cela peut être par contre très culpabilisant, car en égologie, « celui qui ne fait pas sa part » est seul coupable de tous les malheurs du monde, à commencer par le sien : chacun est
responsable de soi-même.

L’égologie ne conforte pas seulement l’ordre bourgeois (je suis écolo parce que je m’en donne plus les moyens que les autres, tout comme je suis riche parce que je me suis donné plus les moyens que les autres). Aude Vidal la déniche aussi dans le discours petit-bourgeois prônant « l’autonomie », qui « cache une volonté de toute-puissance individuelle, réclamée plus fortement par des groupes sociaux qui ont déjà une prise matérielle et symbolique plus forte sur leur environnement. »
Et de faire le rapprochement entre le Do it yourself et Ikea, en complet décalage avec l’autonomie prônée par le philosophe Castoriadis par exemple.
Plus loin, elle voit la lutte des classes dans certains jardins partagés des grandes métropoles : « Est-il décent d’utiliser la terre comme bac à sable quand d’autres pourraient en avoir l’usage pour cultiver de quoi manger ? » Et de souligner qu’il est facile d’adopter
des pratiques « non productives » quand on ne dépend pas des produits du jardin.
Alors que faire ? Arrêter toute « alternative » ? Ce n’est pas le propos du livre. Aude Vidal nous invite à prendre du recul sur ces initiatives concrètes et à les considérer non pas comme des fins « pour les bienfaits immédiats quelles apportent », mais comme des moyens pour, à terme, « remplacer le vieux monde ». Pour construire un nouveau monde dans lequel « les obligations réciproques tissent des liens qui libèrent ».

Article paru dans l’âge de faire d’avril 2023.

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Environnement Politique

Désarmement et éco-terrorisme

– Il y a eu toute une réflexion autour du choix des mots à employer pour qualifier nos actions – par exemple lorsqu’on décide de découper la bâche d’une méga-bassine ou de sectionner une canalisation de pompage d’eau illégale pour les mettre hors d’usage.
Typiquement, la Confédération paysanne parle de « démontage ». On aurait pu aussi parler de « démantèlement », de « sabotage », ou même de « contre-violence », terme qui était je crois utilisé par la militante éco-féministe et anti-nucléaire Françoise d’Eaubonne… Ce qui est intéressant avec le « désarmement », c’est que ça montre qu’on désactive une arme. C’est à mon sens le terme qui permet le mieux d’expliquer la situation dans laquelle nous, activistes écologistes, nous trouvons aujourd’hui :
nous faisons face à des infrastructures écocidaires qui ne nous laissent plus d’autre choix que d’agir. Nous subissons cette violence systémique au quotidien, et cette violence, il faut la désactiver, il faut la désarmer. On tente donc de populariser ce terme, et en tant que membre de l’équipe communication, j’essaye à chaque fois de bien l’expliciter. Ceci dit, on n’a rien inventé : ça fait des années que le « désarmement » ou le « sabotage » est pratiqué dans les luttes écolos. La seule différence, c’est que ces actions étaient souvent réalisées dans la clandestinité alors que nous, nous voulons revendiquer notre légitimité à le faire en procédant collectivement, plusieurs centaines, voire plusieurs milliers.

– Ces actions d’ampleur vous ont d’ailleurs valu d’être désignés comme des « éco-terroristes » par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à l’issue de la mobilisation contre les méga-bassines de Sainte-Soline en novembre 2022…

– Je ne m’attendais pas à ce qu”on arrive à ce degré d’accusation aussi vite, que ça aille aussi loin… même si pour moi cette désignation relève bien sûr d’une tactique bien réfléchie et d’un récit policier qui s’échafaude depuis des années contre les militants écolos. Le but est de nous dépeindre comme de dangereux extrémistes et d’instiller l’idée qu’à partir du moment où l’on mène une action de désobéissance civile, où l’on conteste en les transgressant des lois qui nous semblent illégitimes ou injustes, on est engagé dans une pente qui mène inexorablement à la planification de tueries de masse. C’est ridicule, et ça l’est d’autant plus quand on sait que des milices d’extrême droite surarmées font tranquillement leur vie sans être inquiétées. On fait d’ailleurs comme si le degré de violence de la part des manifestants était supérieur à celui dont ils sont victimes de la part des forces de l’ordre.
Après Sainte-Soline, on a parlé de 61 gendarmes mobiles blessés dont 22 « sérieusement »…
Mais il faut retourner tout cet argumentaire : quand l’État veut nous empêcher de mener certaines actions – qui sont pour nous, je le répète, nécessaires et légitimes – et que les consignes données aux forces de l’ordre consistent à menacer les gens, à les asperger
à la moindre occasion de gaz lacrymogène, à les nasser, à leur tirer dessus à coups de flashball, comment la foule est-elle censée réagir ?
En nous désignant comme des « éco-terroristes » et en tentant de dresser la population contre nous, le but est aussi d’avoir les mains libres pour que la répression politique puisse librement s’exercer.

– Comment se manifeste cette répression politique ?

– Par des mesures d’exception dignes du contre-espionnage, par exemple en posant des caméras devant les domiciles des militants et les lieux de réunion pour les surveiller. Et puis bien sûr, dans les tribunaux, à faire des exemples, conformément à la circulaire du
garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, qui a appelé juste après Sainte-Soline à « une réponse pénale systématique et rapide » pour les « infractions commises dans le cadre des contestations de projets d’aménagement du territoire ». Et la justice n’a pas sourcillé.
Lors du dernier procès, le 6 janvier 2023 à Niort (contre des militantes anti-bassines, ndlr), le dossier avait beau faire 1000 pages passant au crible toute la vie des cinq personnes qui comparaissaient et celle de leur entourage, il était vide de preuves. Une
vidéo, censée être accablante pour l’un des prévenus, n’a pas pu être visionnée car elle était « sous scellés », ce qui a rendu son avocat fou furieux… et n’a pas empêché le tribunal de prononcer des peines de prison avec sursis.

Extraits d’un entretien de Léna Lazare dans Socialter de février 2023.

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Environnement Politique Société

L’enquête publique expliquée simplement

– Officiellement, ça doit permettre à tout le monde de s’informer et de s’exprimer librement sur le projet. Le dossier est consultable et fournit des pièces légales, des études, des plans. Un commissaire enquêteur est désigné par le tribunal administratif pour organiser la consultation et rédiger un rapport qui tient compte des oppositions… mais qui sert surtout à les écarter une à une. Si bien que l’enquête publique se conclut dans une immense majorité des cas en faveur du projet.

L’enquête publique est donc surtout une mise en scène, un exercice rhétorique pour neutraliser le débat et désamorcer les critiques, tout en manifestant le caractère indiscutable du projet. Une fabrique du consentement, en somme. Tiens, y a ce livre qui vient de paraître qui raconte très bien à quel point les enquêtes publiques sont une parodie de démocratie : Inutilité publique.

– Bon on peut quand même aller voir, ça coûte rien. Et puis si on commence à être nombreux à critiquer le projet, ils vont bien être obligés de tenir compte de nos remarques, voire d’annuler la construction de l’échangeur, non ?

– Pas du tout Papa. L’enquête publique n’est pas un référendum. Le commissaire enquêteur est invité à « fonder ses conclusions et son avis sur la valeur des arguments présentés et non sur leur nombre ». Vous pourriez être à 1 000 contre 1, ça ne changerait malheureusement pas grand-chose.

– En plus si on commence à trop l’ouvrir je vois déjà le maire et tout le conseil venir nous sermonner « nianiania ça va créer des emplois, à quoi vous jouez ? »

– Argument classique, et souvent repris en chœur par les promoteurs, l’administration et les élus locaux – qui font souvent front uni sur ces questions d’aménagement. Construire des trucs, mêmes inutiles ou écocidaires, ça permet de montrer qu’on agit pour le territoire et son attractivité Mais n’hésitez pas à regarder en détail dans le dossier : ce genre d’argumentations ne sont la plupart du temps pas du tout étayées et fondées sur des spéculations. Pis : elles ne prennent en compte que la création nette d’emplois, en omettant sciemment la destruction d’autres activités que le projet risque d’occasionner

– Ouais mais ça c’est la vie, c’est la concurrence…

– On peut penser ça. Mais on peut aussi se dire que si un hypermarché ou un entrepôt Amazon détruit plus d’emplois qu’il n’en crée (ce qui est pour le coup appuyé par de nombreuses études), s’il génère de la pollution de l’air et des nuisances sonores à cause du trafic automobile, quel intérêt y a-t-il alors à les construire, en dehors de donner des contrats aux entreprises de BTP ? Autant garder des centres-villes dynamiques avec des commerces de proximité plutôt que d’aller bétonner toute la campagne alentour, non ?

Extrait d’un article de Clément Quintard dans Socialter de février 2023.

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Environnement Santé

Agriculture productiviste et état des terres agricoles en France

: Le rapport sur l’état des terres agricoles en France, publié par Terre de liens en février 2022, nous enseigne que depuis 70 ans, nous avons perdu 12 millions d’hectares agricoles sur les 39 millions que nous comptions à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale.
Pour donner une image plus saisissante, « c’est une surface équivalente à plus de cinq villes comme Paris qui, chaque année et depuis 40 ans, perd ses fonctions agricoles et environnementales ».
C’est la capacité à nourrir une ville comme Le Havre que l’on perd chaque année.
Alors que le nombre d’agriculteurs a chuté : il reste moins de 400 000 fermes contre 2,28 millions en 1955. Nous perdons entre 150 et 200 fermes par semaine.

L’agriculture productiviste est victime d’un système que nous avons cru vertueux et salvateur à la sortie de la Seconde Guerre mondiale.
Après la mécanisation, la deuxième révolution agricole, celle de la chimie, s’est finalement révélée catastrophique car elle est mortifère pour une faune qui n’est pas visible, celle des sols. Il ne fait pas bon être un ver de terre, un collembole ou tout autre membre de la pédofaune exterminé par les pesticides.
Certes, les rendements ont augmenté mais de manière inversement proportionnelle à la qualité des aliments produits. Manger cinq fruits et légumes par jour issus de l’agriculture chimique est un slogan discutable dans la mesure où c’est également ingérer des dizaines de
molécules de synthèse et très peu de minéraux dont la valeur nutritive est essentielle à notre santé.
Dans tous les pays de la planète, la sécurité alimentaire est menacée à cause de l’épuisement des sols.

[…]

Est il possible d’arrêter ce processus d’artificialisation des terres agricoles sans s’en prendre à la logique d’expansion économique ?
C’est tout le problème de nos sociétés « développées », elles mettent en avant l’économie avec des paramètres comme le PIB, l’emploi, etc., qui passent bien avant l’intérêt général, dont l’environnement et l’alimentation sont des fondamentaux. Il faut changer de paradigme, prendre celui du bons sens paysan plutôt que celui du profit qui nous mène droit dans le mur. Bien sûr qu’il faudra limiter l’artificialisation des sols agricoles car il s’agit de notre autonomie alimentaire, c’est donc vital. En reprenant les chiffres du rapport de Terre de liens, on comprend qu’à ce rythme d’artificialisation, nous perdrons notre autonomie alimentaire d’ici quelques décennies. Celle des grandes aires urbaines françaises n’est que de 2 %. Historiquement, lorsque les populations avaient faim, elles manifestaient et les régimes en place tremblaient. Les émeutes de la faim d’après la crise de 2008 nous le rappellent. Nous avons besoin de toutes nos terres agricoles non seulement pour notre autonomie mais également pour nourrir une partie de la population mondiale. Sans compter l’impact environnemental de la spécialisation de l’agriculture dans la plupart des pays avec des monocultures dévastatrices pour la biodiversité, et l’impact social des traités de libre-échange qui fragilisent notre agriculture. Mais les décisions politiques à prendre ne sont pas entrées dans les consciences car la très grande majorité de la population est urbaine, déconnectée de la terre donc de la nourriture.

Extraits d’un entretien de Dominique Ducreau dans le journal La Décroissance de février 2023.

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Environnement L'énergie en France

MaPrimeRénov, de la com, aucune efficacité

« Pouvez-vous citer une action réelle, forte, déterminante, qui ne soit pas juste de la com’, que vous menez pour l’écologie ? »
À cette question posée par un internaute, Emmanuel Macron répond fièrement dans une vidéo postée sur YouTube : « On a rénové plus d’un million de logements d’un point de vue thermique grâce à MaPrimeRénov. » Le chiffre n’est pas faux. Mais cette affirmation présidentielle résonne pourtant comme de la com’.
La suite des propos tenus parle président de la République est autrement plus intéressante : « Il y a des rénovations complètes et intégrales, elles sont beaucoup moins nombreuses. » Le diable se cache dans les détails. Parce que le million de rénovations annoncé se réduit comme peau de chagrin quand on s’intéresse aux rénovations dites « complètes et performantes ». MaPrimeRénov soutient essentiellement des rénovations « mono-gestes » : de janvier 2020 à juin 2021, 86 % des demandes de primes accordées sont constituées de mono-gestes, seulement 72 % correspondent à deux types de travaux simultanés, et 3 % à trois types de travaux simultanés ou plus », souligne un rapport de France Stratégie.
Ces gestes uniques ne sont que très peu efficaces. Une enquête sur la rénovation des maisons individuelles menée par l’Observatoire national de la rénovation énergétique l’illustre. Les travaux touchant à cinq gestes ou plus sont six fois plus efficaces que les mono-gestes. Mais ce n’est pas le seul défaut de cette politique du chiffre. « Les gens ne font pas des travaux de rénovation au compte-gouttes. Une fois qu’ils en ont fait, ils n’en font plus pendant plusieurs années. Donc les petites rénovations de MaPrimeRénov bloquent
la mise en place de travaux plus structurels parla suite. Et ça, c’est embêtant », souligne Michel Colombier, membre du Haut Conseil pour le climat (HCC).

Une réalité d’autant plus gênante que la France reste loin de ses objectifs sur la rénovation des logements. Une note de l’Institut du développement durable et des relations internationales (lddri), datée du printemps 2022, souligne ainsi que, « en dépit du fait que le secteur des bâtiments est celui pour lequel la stratégie nationale bas carbone prévoit la réduction des émissions la plus rapide à moyen terme, les politiques peinent à atteindre leurs objectifs.
Le secteur présente le plus grand écart par rapport à la trajectoire du premier budget carbone (+ 74,5 % par rapport à la trajectoire cible sur 2015 et 2018). Et de conclure : « L’ambition consensuelle d’accroître le nombre de rénovations énergétiques ne se traduit pas en résultats probants. »
Au 1er janvier 2022, 5,2 millions de résidences principales (soit 17 % du parc) étaient encore des passoires thermiques. À peine quelques milliers – 2 500 selon la Cour des comptes – sortent annuellement de ce statut grâce à MaPrimeRénov.
Pour atteindre ses objectifs, tous les acteurs le disent, la France doit « changer d’échelle » en axant les politiques publiques vers des rénovations performantes. Il faut ainsi passer « d’environ 70 000 rénovations globales effectuées » par an (la moyenne sur la période 2012-2018) « à 370 000 par an après 2022 et 700 000 par an à partir de 2030 », note France Stratégie.

Début d’un article de Pierre Jequier-Zalc dans Politis du 15 décembre 2022.

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Environnement L'énergie en France

La dématérialisation

L’impact spatial et énergétique des data centers sur les territoires (Rapport Ademe 2019).
En 2021, on recensait 8200 data centers dans le monde. Il en existerait davantage pour répondre à l’accroissement exponentiel des données. La France, huitième au palmarès, en possède 250 dont 150 en région parisienne. Le dernier a été implanté à Plaine Commune (Seine-Saint-Denis), sur les 7 hectares de l’ancien site d’Eurocopter. Il est géré par Interxion, le premier groupe européen de data centers, qui réalise un chiffre d’affaires près de quatre fois supérieur à celui d’Air France.

Enfin, l’électricité. Non seulement toutes ces machines infernales coûtent un pognon de dingue, mais elles surconsomment. Pour elles, c’est ceinture et bretelles. « Ces cocons technologiques sont deux fois raccordés au réseau pour contrôler tout risque de panne que
provoquerait la moindre modification de la température ou une coupure de courant. D’immenses salles pleines de batteries ont été installées. Ces piles géantes sont changées tous les trois ans, sans avoir été utilisées. » Un gaspillage vertigineux pour éviter l’impensable dans ce monde de l’hyper profit : que des milliards soient empêchés de circuler chaque seconde. Globalement, le numérique est énergivore dans des proportions délirantes. Quelques chiffres : la consommation en électricité d’un data center moyen est équivalente à celle d’une ville de 50 000 habitants ; l’ensemble des data centers de l’Île-de-France consomme l’équivalent de deux réacteurs de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, dans l’Aube ; aujourd’hui, le secteur du numérique avale 10 % de l’électricité mondiale. En 2025, il pourrait engloutir 25 % de la production (projection du think tank français The shift Project). Une démesure que rien ne semble pouvoir freiner. Et on nous parle de cols roulés…

Extrait d’un article de Véronique Brocard dans Siné mensuel de janvier 2023.

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Économie Environnement Société

Consommer moins mais produire plus !!??

Le discours présidentiel sur l’ère de l’abondance fait aussi écran à des rationnements pas si lointains, […]
les événements, même prévisibles, ne sont jamais anticipés par les gouvernants ; et ces derniers préfèrent toujours « contraindre les particuliers pour ne pas toucher à l’activité économique ».
Éviter à tout prix la contrainte, c’est justement le choix du « plan de sobriété » que le gouvernement a présenté le 6 octobre. Au triptyque tragique du chef de l’État en a répondu un autre, anecdotique, promu depuis par un spot gouvernemental :
« Je baisse, j’éteins, je décale. » Baisse du chauffage, réduction de l’éclairage, incitation à prendre le vélo…
Le discours anxiogène se traduit – pour l’instant – par d’indolores écogestes. Mais le cadre est d’ores et déjà posé, et Élisabeth Borne ne se prive pas de le répéter. « La sobriété énergétique, ce n’est pas produire moins et faire le choix de la décroissance », expliquait la Première ministre dans son discours de présentation du plan de sobriété. « Certains, par idéologie ou par simplisme, veulent nous conduire vers la décroissance. Ce n’est pas la solution. […] La sobriété, c’est baisser un peu la température, décaler ses usages et éviter les consommations inutiles », reprenait-elle un mois plus tard à l’Assemblée nationale.
Produire plus, quoi qu’il en coûte: le dogme est posé, le reste devra s’y adapter. « Il y a un refus de mise en débat du modèle économique et des modes de vie, là où une vision écologiste réclame de l’équité climatique et de la justice sociale. Puisqu’il ne s’agit que d’adaptation ponctuelle, on répond à la crise avec les trois leviers disponibles : efficacité, sobriété, renouvelables », tranche Fabrice Flipo, professeur de philosophie à l’Institut Mines-Télécom et notamment auteur de Décroissance, ici et maintenant (Le Passager clandestin, 2017). Sans bifurcation profonde, ne reste donc qu’une logique de « grappillage » qui crée un « enfumage » en faisant passer de l’efficacité (gérer mieux la consommation) pour de la sobriété (réduire un usage). Bref: « On ne change pas le système, on optimise
seulement sa gestion. »
« Avec ces micro-stratégies seulement réactives, le gouvernement explique qu’il y a des limites mais n’en tire aucune implication en matière de partage », renchérit Timothée Parrique. Ce dernier identifie deux angles morts d’une telle ligne néolibérale : la volatilisation de la question des inégalités « alors que les pressions environnementales sont toutes corrélées à la richesse », et le refus de mettre en cause la logique de croissance et son architecture destinée à fabriquer du désir marchand. « Le citoyen doit être sobre tout en étant abreuvé de publicités. Il faudrait consommer moins mais produire plus : c’est absurde », s’afflige le chercheur. De ce fait, le périmètre des « efforts » demandés se contente de cibler des usages insignifiants, sans changer la dynamique des besoins.

Extraits d’un article de Youness Bousenna dans Socialter de décembre 2022.

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Environnement L'énergie en France Société

La sobriété selon le marché

Le plan de sobriété presenté par le gouvernement en octobre est censé incarner la « radicalité » du gouvernement pour mener à bien la « révolution écologique », selon les mots de la Première ministre Élisabeth Borne. L’objectif de ce plan est d’ailleurs relativement ambitieux : faire baisser de 10 % en deux ans la consommation globale d’énergie. […]

On citera le « bonus covoiturage » d’environ 100 euros pour les particuliers. On relève également l’augmentation de 15 % de l’indemnité forfaitaire de télétravail dans la fonction publique, pour que les fonctionnaires se déplacent moins… Et puis c’est tout ! Le reste du plan n’est qu’une série de mesures anti-gaspi auxquelles les entreprises se sont engagées.
Fermer la porte quand le commerce est chauffé, couper l’eau chaude quand elle est inutile, etc. Le gouvernement affiche ainsi la bonne volonté des entreprises, jusqu’à préciser des détails qui frisent le ridicule : « former les conducteurs de remontées mécaniques à l’écoconduite », « vérifier la pression des pneus » des véhicules de fonction… et « pour les matchs en soirée, l’éclairage qui est aujourd’hui allumé a 100 % 3 heures avant le match, sera désormais allumé à 100 % au plus tôt 2 heures avant le match pour le football, 1 heure pour le rugby ». Tous ces engagements pourraient conduire à une baisse de la consommation de l’ordre de 50 TW/h (sur une consommation totale d”environ 1 600 T\Wh), soit 3 % d’énergie économisée. Encore faut-il qu’ils soient tenus !
Il s’agit en effet de promesses dans l’immense majorité des cas.
Autrement dit, les entreprises font bien ce qu’elles veulent. Aveu de faiblesse de l’État ? Pas du tout, répond le gouvernement, qui refuse toute idée de réglementation, pour les entreprises comme pour les particuliers. La limitation à 110 km/h sur autoroute par exemple : « C’est important d’informer sur les économies qu’on peut faire en roulant moins vite, (…) mais on ne peut pas fonctionner à coups d’interdictions », a estimé la cheffe du gouvernement sur BFM, tout en rappelant qu’une telle baisse permettait de « réduire de 20 % sa consommation ». Mais au final, s’il n’y a pas d’interdiction, qui fera l’effort de réduire sa consommation ?
Uniquement les écolos ? Non : beaucoup de gens sont déjà contraints de rouler moins vite, de ne pas chauffer, etc. D’autres, par contre, ont les moyens de se déplacer en jet, d’acheter de très grosses voitures polluantes, et de chauffer d’immenses demeures. Le marché est d’une grande violence sociale, car il contraint d’autant plus ceux qui n’ont pas beaucoup de moyens.
Il faut justement des mesures d’interdiction et de réglementation pour équilibrer cet effort : taxer fortement le kérosène des jets privés, prévoir un malus-poids digne de ce nom pour les véhicules, réfléchir à une tarification énergétique pat tranches proportionnelles, tenir compte des surfaces habitées pour les aides à l’isolation.
Ce n’est pas seulement une question de justice sociale : rappelons qu’en termes d’émissions de gaz à effet de serre, très souvent liées à la dépense énergétique, les Français parmi les 10 % les plus riches émettent 24,7 tonnes par personne et par an, quand la moyenne nationale s’établit à 9 tonnes. Qu’est-ce qu’on laisse entendre, quand on dit que « chaque geste compte » ? Que chaque geste se vaut, qu’on se rende à Saint-Tropez pour le week-end en jet, ou qu’on chauffe la chambre de ses enfants. Le marché ne fait pas la différence, le gouvernement non plus.

Édito de Fabien Ginisty de l’âge de faire de novembre 2022.

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Environnement L'énergie en France

Le nucléaire pollue nos cours d’eau

L’eau est un bien commun, une ressource qui se partage et se protège collectivement. Pourtant, l’industrie nucléaire pille, gaspille et fragilise cette ressource de plus en plus rare et précieuse. Pollutions chimiques, contaminations radioactives, rejets non autorisés, forages en nappe phréatique… Lister les accidents sur l’année qui vient de s’écouler
souligne l’urgence à arrêter l’exploitation de centrales nucléaires […]

JUIN 2021
À Paluel, Penly et Flamanville, les boues des stations d’épuration qui traitent les eaux usées classiques contenaient du cobalt 60. De quoi questionner le confinement de la radioactivité… Alors qu’elles auraient dû être traitées en déchets nucléaires, EDF les a envoyées vers des filières conventionnelles durant des années. Les faits, connus depuis 2019, ont été déclarés au public en juin 2021.
EN JUILLET
À Flamanville, des hydrocarbures ont été déversés dans le réseau d’eaux pluviales, directement relié à la nature. […]
EN SEPTEMBRE
Dans la Loire, là où la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux rejette son eau chaude, la prolifération d’agents pathogènes (amibes et légionelles) était telle qu’EDF a dû « traiter », en déversant des litres de produits biocides (javel et ammoniac), littéralement qui-tue-le-vivant. Avec quels impacts sur le reste de l’écosystème ?
Du côté de Civaux, des taux d’hydrocarbures six fois supérieurs au maximal autorisé ont été mesurés dans le réseau d’eaux pluviales. EDF s’en est rendu compte trop tard pour stopper la pollution avant qu’elle n’atteigne la Vienne.
EN OCTOBRE
À Cruas, EDF a jeté des déchets dans le Rhône avant de savoir ce qu’il y avait dedans. Une tradition locale peut-être, puisqu’on apprendra peu après que depuis 2013, acide sulfurique, javel et ammoniac sont envoyés là où ils ne sont pas censés aller, dans un ruisseau, parce que l’exploitant ne connaît pas ses circuits.
EN DECEMBRE
À Chinon, l’Autorité de sûreté nucléaire a stoppé les forages dans la nappe phréatique sous le site. Elle a autorisé le pompage de milliers de litres pour doter la centrale d’une nouvelle source de refroidissement, mais elle avait imposé des précautions pour éviter et détecter les pollutions des sols et des eaux que les travaux pouvaient générer. Précautions sur lesquelles EDF s’est en partie assis.
FIN 2021
Un réservoir d’effluents radioactifs a débordé à la centrale du Tricastin. Plus de 900 litres se sont infiltrés dans le sol et ont atteint la nappe phréatique. Des pics de tritium à près de 29 000 Bq/l y ont été mesurés. Une importante pollution radioactive, extrêmement
mobile dans l’environnement et qui contamine aisément les systèmes biologiques.
DÉBUT 2022
Le site du Bugey pollue le Rhône avec un cocktail chimique. Un circuit « inétanche » (pour ne pas dire percé) se déversait dans le réseau d’eaux pluviales qui s’écoule à son tour dans le fleuve.
À Cattenom, la centrale a mis des arcs-en-ciel dans la Moselle : des litres d’hydrocarbures ont irisé le fleuve suite à une erreur et une absence totale de questionnement sur ses conséquences.
EDF ne s’est aperçu de rien, c’est la police fluviale qui a repéré la pollution.
EN MARS
La centrale de Golfech a déversé dans la Garonne plus de 5 000 litres d’acide sulfurique, un des acides les plus puissants. Là encore la fuite était visible. La pollution aurait pu être évitée si EDF avait surveillé les injections chimiques dans les circuits de refroidissement.
EN AVRIL
La centrale de Cruas déverse à nouveau des doses massives d’ammoniac et de javel dans le Rhône en raison de la prolifération d’agents pathogènes.
EN MAI
À Flamanville, des hydrocarbures sont à nouveau présents dans le réseau d’eaux pluviales. Là encore, dans des taux supérieurs à ce qui est autorisé.
EN JUILLET
La centrale de Belleville déverse son « traitement » contre les amibes qui pullulent dans la Loire…

Extraits de la revue Sortir du nucléaire de l’automne 2022.

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Environnement

Pac, FNSEA versus Confédération paysanne

On y est, ou quasiment : les douze derniers États de l’Union européenne ont finalisé cet été la seconde version de leur plan stratégique national (PSN), déclinaison de la prochaine Pac (2023-2027) dans chacun d’eux.
La Commission européenne devrait définitivement valider tous les plans d’ici octobre.
Pour la France, cette toute dernière ligne droite n’a pas modifié en profondeur un PSN que la Confédération paysanne a toujours critiqué et dont elle estime qu’il « reste largement insuffisant au regard des urgences et des enjeux majeurs qu’affrontent l’agriculture et l’alimentation ».
Mais ça a quand même un petit peu bougé du bon côté. Dans les derniers arbitrages du nouveau ministre de l’Agriculture, Marc Fresneau, quelques avancées sont à noter.
Dans son avis sur la nouvelle mouture du PSN, présentée le 1er juillet, la Confédération paysanne « se félicite d’avoir obtenu l’introduction d’un troisième niveau dans les éco-régimes, destiné à l’agriculture biologique.
Son montant s’élèvera à 30 euros/hectare, ce qui n’est pas suffisant, mais nous revenons de loin car la FNSEA proposait une revalorisation à 2 euros ! »
De même, pour le syndicat paysan, d’autres avancées ont été obtenues sur la conditionnalité des aides de la Pac, notamment sur la couverture des sols en hiver, sur tout le territoire français, et le maintien des haies.
Sur l’aide additionnelle aux jeunes agriculteurs et agricultrices, la Confédération paysanne a aussi obtenu le maintien d’un paiement forfaitaire, avec transparence pour les Gaec, un paiement « plus juste qu’une aide à l’hectare », « seule façon que tou-tes les jeunes paysan-nes bénéficient de ce paiement, quelle que soit la taille de leur ferme ».
Sur le soutien à l’activité pastorale, l’action du syndicat, coordonnée avec tous les acteurs pastoraux, « a permis de maintenir le niveau de reconnaissance actuel des surfaces pastorales les plus difficiles, qui sont particulièrement résilientes face aux aléas climatiques ».
Ces petites avancées sont bien réelles, à tel point que la FNSEA s’en insurge, exprimant dans son communiqué son « désaccord avec les arbitrages annoncés par Marc Fresneau », estimant que « le ministère perd en ambition et en fermeté » par rapport à la première proposition
de PSN présentée par son prédécesseur, Julien Denormandie, mais revue après avoir été sévèrement critiquée par la Commission européenne.

Malgré ces petits acquis, pour la Confédération paysanne, le PSN français « maintient un déséquilibre institutionnalisé au profit d’une minorité, les plus grosses exploitations, et de l’agro-industrie ». De ce fait, « la France se prive pour cinq années supplémentaires des outils les plus puissants en faveur du revenu, de l’emploi paysan et de la transition agroécologique. » Et de rappeler que « ces outils peuvent être activés si la volonté politique est enfin présente : revalorisation du paiement redistributif sur les premiers hectares, plafonnement et dégressivité des aides, activation de l’aide « petit agriculteur », convergence immédiate et totale des aides et développement des mesures agro-environnementales et climatiques sur tout le territoire, pour encourager la transition de toutes les fermes. »
« Ces propositions, la Confédération paysanne continuera à les porter, tout comme celle de construire des aides à l’actif ou active, et non plus à l’hectare. »

Article extrait de Campagnes solidaires, le journal de la Confédération paysanne.