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Politique

Libéralisme autoritaire

Selon l’auteur de L’Énergie de l’État. Pour une sociologie historique et comparée du politique (La Découverte, 2022), Emmanuel Macron s’inscrit dans un courant politique hérité du XIXe siècle : le « national-libéralisme ». « Ce concept renvoie à la tension entre l’État-nation et le système capitaliste international. Il désigne la triangulation entre l’emprise du capitalisme sur les populations, l’universalisation de l ‘État-nation comme forme de domination légitime et la généralisation d’une conscience politique nationaliste. Emmanuel Macron est exemplaire de cette triangulation », explique le chercheur. Entre la fascination pour le Puy du Fou et le « sommet de l’attractivité » Choose France, la tension est, pour Jean-François Bayart, « surmontée parle recours massif et systématique à la répression. »
De quoi dessiner les contours de l’idée de démocratie dans la tête d’un président qui, tient à rappeler le professeur, n’avait jamais eu la moindre expérience électorale avant d’être élu en 2017, face à Marine Le Pen. Une forme démocratique posée sur le socle d’un libéralisme autoritaire, que le philosophe Grégoire Chamayou donne à comprendre dans son ouvrage La Société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire (La Fabrique, 2018). L’auteur défriche l’origine d’un concept qui théorisait la nécessité, pour une économie libérale, de s’appuyer sur un État vertical et autoritaire.
Dans ce système, la démocratie sert de paravent. Elle est un cadre légitime au sein duquel règne l’ordre capitaliste, débarrassé des contre-pouvoirs et des protestations populaires. Et ne tient debout que par le rituel électoral.
Face à cet acharnement à ne pas considérer la légitimité démocratique de la contestation, il est intéressant de noter la passion que voue Emmanuel Macron aux dites « conventions citoyennes ». Une « innovation démocratique » qui peut « refroidir les passions brûlantes » dans un « moment de trouble », disait-il, le 3 avril, face aux membres de la convention pour la fin de vie. Cette participation citoyenne, telle que le président l’a organisée, s’inscrit pourtant dans un cadre choisi par l’exécutif, conseillé par d’onéreux cabinets privés, et débouche sur des propositions qui ne sont reprises que lorsqu’elles conviennent au pouvoir. Une forme « d’autoritarisme participatif », comme le formule le maître de conférences en science politique Guillaume Gourgues dans « Les faux-semblants de la participation« , un article paru dans La Vie des idées. Cette technique gouvernementale, rappelle-t-il, est beaucoup utilisée en Russie et en Chine. De belles références en matière de démocratie.

Dernière partie d’un article d’Hugo Boursier dans Politis du 25 mai 2023.

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Politique Société

Les 20 pour cent qui soutiennent les 1 pour cent

L’indécence de leur train de vie et de leurs justifications finit par faire des ultra-riches une cible idéale. Raison pour laquelle ils sont régulièrement tombés, ces dernières années, dans le collimateur des mouvements sociaux. Le slogan « Eat the rich » a par exemple refait surface à l’occasion de la mobilisation en France contre la réforme des retraites, tandis qu’en 2011 naissait le mouvement Occupy Wall Street. « ce que nous avons en commun, c’est d’être les 99 % qui ne tolèrent plus l’avidité et la corruption des 1 % restants », clamaient les manifestants réunis au Zuccotti Park de New York. Alors que les médias du monde entier s’enthousiasment, peu d’observateurs s’inquiètent de l’entre-soi des manifestants et de la mollesse de leurs revendications, si ce n’est le journaliste Thomas Frank : « En entendant ce charabia pseudo-intellectuel, j’ai compris que les carottes étaient cuites ». Deux mois après leur installation, les campeurs sont évacués et la mobilisation tourne court. Dans un éditorial, l’ex-directeur de la rédaction du Monde diplomatique revient sur la maladie infantile du mouvement : « Quand, à défaut d’être soi-même milliardaire, on appartient à la catégorie des privilégiés, il est réconfortant de s’en extraire en fantasmant qu’on relève du même bloc social que les prolétaires », explique Serge Halimi.

Une critique que formulait également Pierre Bourdieu (La Noblesse d’État), lorsqu’il décrivait une partie des militants de Mai 68 stoppés net dans leur ascension et bercés de prétentions méritocratiques, qui s’inventaient une proximité avec le peuple tout en demeurant avides de « brevets de bourgeoisie ». « Faite de ressentiment converti en indignation éthique contre les « profiteurs » les « margoulins » et les « exploiteurs », la dénonciation ordinaire des « gros », des « magnats de l’industrie et de la finance » des « deux cents familles » [… ] est sujette à succomber à la première occasion à ce qu’elle dénonce parce que, aveugle à sa propre vérité, elle reste dominée, en son principe même, par ce quelle dénonce », écrivait le sociologue. En bref : l’idée d’une union sacrée formée par les 99 % de subalternes a beau être belle sur le papier, elle ignore l’épaisseur des mondes sociaux, occulte les antagonismes de ceux qui les composent et fait le nid de toutes les trahisons. Autant de raisons qui la vouent à l’échec.

 

Comment, alors, se représenter un front social susceptible de mettre en déroute les riches et leur monde ? D’abord, en élargissant l’assiette : l’essayiste Jean-Laurent Cassely suggère de s’intéresser aux 20 % de l’élite éduquée, « qui fournit un modèle socio-culturel bien plus désirable et puissant que celui, à la limite de la vulgarité, des fortunés du 1 % ». Les sociologues Stefano Palombarini et Bruno Amable parlent, quant à eux, d’un « bloc bourgeois » pour désigner cette frange de la société réunie autour de la défense des classes privilégiées, de l’intégration européenne et de la « modernisation néolibérale », qu’Emmanuel Macron a su coaliser pour se faire élire en 2017. Formulé autrement, les ultra-riches ne pourraient bien longtemps défendre leurs positions, préserver leur patrimoine et perpétuer leurs profits sans toute une garde prétorienne disposée à servir leurs intérêts. Nommer cette classe nous oblige alors à descendre dans un dédale descriptif – élite culturelle, bourgeoisie capitaliste, classes dominantes -, mais au moins ne cède-t-on pas au poncif des « 99 % ». En attendant, on peut tout de même se laisser aller à savourer la traque des jets privés de Bernard, l’organisation d’un lancer d’œufs pourris sur le super-yacht de Jeff, ou le vent de panique qui court épisodiquement chez les « pisse-copie de l’épiscopat » du Point, de L’Express, du Figaro ou de Valeurs actuelles, chaque fois que l’ultra-richesse est dénoncée.

Extrait d’un article de Clément Quintard dans Socialter d’avril 2023.

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L'énergie en France

Efficacité comparée des différentes sources d’énergie

En 2023, le nucléaire mondial avec ses 370 GW de puissance (>400 réacteurs) représente 9,5 % de l’électricité consommée, soit moins de 2 % de l’ensemble des énergies finales (consommées) ; le nucléaire européen 22 % de l’électricité ; et le nucléaire
français 65 % avec ses 61 GW (16 % des énergies finales).
Côté éolien et solaire, nous vivons une révolution électrique silencieuse mondiale : 1000 GW de puissance solaire photovoltaïque ont été installés en 30 ans et c’est actuellement +1 GW/jour l Même +3 GW/j attendus en 2030 (équivalent de +1 réacteur nucléaire ajouté par jour). Les nouvelles puissances éoliennes à ajouter sont de +100 GW/an. Les esprits jancovicieux n’en reviendront pas ! Cette révolution n’est pas du côté nucléaire qui, lui, régresse au niveau mondial. En Europe, éolien et solaire représentent 24 % de l’électricité (17 % éolien + 8 % solaire) où le rythme actuel est de +16 GW/an d’éolien et +60 GW/an de solaire. En France, c’est environ +2 GW/an d’éolien et +2,5 GW/an de solaire.

Sachant que 2/3 de l’énergie primaire nucléaire contenue dans les cailloux d’uranium sont perdus en chaleur principalement dans l’atmosphère, nous sommes en droit de faire un comparatif énergétique de cette filière nucléaire qui bluffe en calculant son poids mondial, en énergie primaire et non en énergie finale, c’est-à-dire en ajoutant ses gaspillages (les fameux 2/3), ce qui est un summum d’ineptie (plus vous gaspillez plus vous avez du poids) !
Que ce soit en termes de Temps de Retour sur Énergie grise (TRE) ou de Temps de Retour Carbone (TRC), il est difficile de calculer de telles durées pour la filière nucléaire dont la gabegie d’énergie et de matériaux sur des siècles ne sera jamais connue (déchets durant des millénaires, accidents, bombe au plutonium…). Mais on le fait pour l’éolien et le solaire.
Le TRE éolien est de 0,5 an. Le TRC éolien (CO2 lié à la fabrication du ciment, de l’acier…) est inférieur à 4 ans (<2 ans si l’on considère que les matériaux des éoliennes déconstruites au bout de 30 ans éviteront grâce au recyclage l’extraction de fer, aluminium, cuivre, la fabrication d’acier…).
Côté solaire, le silicium (silice) avec lequel on fabrique les cellules solaires des panneaux est l’élément le plus abondant sur Terre. Dorénavant un foyer de 3 personnes n’a besoin que d’un petit volume de silicium (cube tenant dans une main) tous les 40 ans. Le TRE solaire est < l,5 an, le TRC solaire < 5 ans. Une fois le TRC passé (très court par rapport à la durée de vie des panneaux > 40 ans et des éoliennes ~30 ans), ces énergies renouvelables sans combustible à l’usage émettent 0 gCO2/kWh, versus le nucléaire entre 15 et 50 gCO2/kWh (extractions-transports des combustibles-déchets en permanence !).
Et la pilotabilité ? Et le facteur de charge éolien et solaire ? Versus nucléaire ? Il faut bien comprendre que le nucléaire est pilotable uniquement à la baisse (par ajout de bore dans le cœur de certains réacteurs), mais jamais à la hausse. Idem pour l’éolien et le solaire. La seule électricité non issue des fossiles pilotable à la hausse et à la baisse est l’hydraulique.
La complémentarité de notre mix solaire-éolien-(hydraulique) entre été/hiver et jour/nuit est très bonne.
Quant au facteur de charge (FC = rapport entre l’électricité réellement produite et celle produite théoriquement à la puissance nominale), il est 2 fois meilleur pour l’éolien terrestre (25 % à 30 %) que pour le solaire (~ 15 %). Le FC de l’éolien marin français actuel est de 40 % (~ 50 % en hiver). Quant au FC du nucléaire en 2022-2023, il est de 54 %, soit 18 % si l’on reste sur le « bluff » du fameux gaspillage de 2/3 d’énergie primaire nucléaire…

Article de Sylvain Houpert dans la revue Sortir du nucléaire du printemps 2023.

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Société

Autonomie, liens, exploitation

– Le concept de subsistance, que tu as évoqué, paraît clef. La société capitaliste, industrielle et naturaliste s’est fondée originellement sur une appropriation marchande de la terre. Les populations qui la travaillaient jusqu’alors en sont expulsées par la bourgeoisie et vont dans les villes former le prolétariat ouvrier. Coupées des moyens de leur subsistance, elles sont obligées de l’acheter (la nourriture, un toit…), donc de vendre leur force de travail sur le marché du travail.
Les travailleurs consomment de moins en moins ce qu’ils produisent et produisent de moins en moins ce qu’ils consomment. Et au passage, les « campagnes » deviennent lointaines, abstraites, des espaces productifs. Pour lutter aujourd’hui, faut-il repartir de la terre elle-même ?

– Il faudrait que soit enseignée dès la maternelle la façon dont est organisée la production chez nous, les rapports de domination qu’elle implique. Ce serait salutaire d’expliquer aux enfants de la bourgeoisie que la possibilité de se désintéresser des activités de subsistance repose sur l’existence d’un prolétariat qui s’en charge à notre place car sa survie en dépend. Dans la complexité du monde actuel, la plupart d’entre nous se retrouve alternativement dans la situation du bourgeois et du prolétaire, de celui qui profite de la force de travail des autres et de celui qui est contraint de vendre la sienne.
On éprouve quotidiennement, mais généralement sans les identifier comme tels, des affects bourgeois, par exemple quand le prolétaire, de l’autre côté de la relation de domination, ne se montre pas assez docile. On ne perçoit en tous cas pas spontanément que sortir de ces modes de relation implique de reprendre en main collectivement les activités de subsistance, à commencer par le travail de la terre, de tendre vers un mode d’organisation où la survie ne serait plus dépendante du marché du travail.

– Comment pourrait-on réintroduire des activités de subsistance dans la pratique et l’imaginaire collectifs ? Comment amorcer un « tournant subsistantialiste » ?

– Avant même la question matérielle, il y a un blocage idéologique. Nous avons grandi dans un monde où le concept de liberté, et donc celui de bonheur. sont associés à la délivrance matérielle. au loisir de se désintéresser tant des tâches liées à la subsistance
que des affaires politiques. Cela revient à dire que la liberté consiste à faire faire à d’autres ce qu’on n’a pas envie de faire soi-même.
Cette conception très particulière de la liberté, comme le montre Aurélien Berlan, trouve ses racines dans l’histoire du christianisme. La vie matérielle, le labeur, le travail de la terre sont présentes comme des souffrances qu’il faut surmonter en attendant la délivrance dans l’au-delà. Contrairement aux fêtes païennes ou à la ritualisation dans les collectifs animistes qui viennent enrichir et embellir les activités de subsistance, la liturgie chrétienne en est globalement séparée. On vit des moments d’extase le dimanche à l’église avant de retourner souffrir aux champs le reste de la semaine.
Le tournant subsistamialiste revient donc à considérer qu’être libre, ce n’est pas se passer de tout lien, de toute dépendance, mais au contraire reconnaitre ses attaches, les façonner, les chérir, faire en sorte qu’elles ne recèlent pas de rapport de domination.
Il s’agit finalement de renouer avec des conceptions de la liberté et du bonheur relativement classiques en dehors de la modernité occidentale.

Extrait d’un entretien entre Philippe Vion-Dury et Alessandro Pignocchi dans Socialter d’avril 2023.

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Politique

Mensonge, déni démocratique et dépolitisation

« Il ne faut pas que les syndicats restent humiliés de cette séquence », envoie tout de go la Première ministre, le 5 avril. […] En la circonstance, qui est humilié et qui devrait porter au front le rouge de la honte ? La réponse fleurit sur toutes les lèvres : Emmanuel Macron et le gouvernement d’Élisabeth Borne se sont humiliés eux-mêmes et ont humilié notre pays.

Par le mensonge d’abord : Emmanuel Macron s’est abaissé jusqu’à revendiquer d’avoir été élu pour mettre en œuvre la réforme des retraites, alors qu’il doit son élection au barrage républicain contre le Rassemblement national. Il le reconnaissait lui-même le 24 avril 2022 en ces termes : « Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi, non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. Et je veux ici les remercier et leur dire que j’ai conscience que ce vote
m’oblige pour les années à venir. » Or, de plain-pied dans ces années à venir, il n’a plus ni conscience ni obligation.

Par le déni démocratique ensuite, avec des ministres « experts » qui dégradent le pays tout entier en abaissant le jeu démocratique jusqu’au degré zéro de la délibération.
Par des tours de passe-passe et de procédures cumulées, constitutionnelles mais retorses, allant du choix de la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale aux 49.3, 47.1, 44.3, 44.2, désormais nouvelle table de déclinaisons à apprendre par cœur, la représentation parlementaire, les corps intermédiaires et nous, gens dans la rue mobilisés, avons été non pas humiliés, mais déniés, rayés, balayés d’un revers de menton et d’un coup de mépris.

Enfin, par la dépolitisation du langage : le vocabulaire utilisé qui « psychologise » les rapports de force politiques en termes d’humiliation masque et révèle tout à la fois le brutal exercice d’une autocratie. « Ce soir, il n’y a ni vainqueur ni vaincu », conclut Élisabeth Borne, le vendredi 14 avril. Il y a quoi, alors ? Des dominant-es sans foi ni loi, et des pressurisé~es, des rançonné-es jusqu’à leurs plus vieux jours, qui ne lâcheront pas l’affaire et se dresseront contre l’acclimatation aux pratiques, aux idées et au vocabulaire de l’extrême droite, dont la « séquence » de la réforme des retraites n’a été qu’un laboratoire d’expérimentation supplémentaire. Qui, après ça, pense encore que les théories et pratiques de domination sont de vieilles lunes ?

Extraits d’un article de Rose-Marie Lagrave dans Politis du 04 mai 2023.

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Économie

Les champions nationaux

Attac et l’Observatoire des multinationales publient fin mai un nouveau livre pour déconstruire le mythe des « champions nationaux ». Selon cette doctrine, les grandes entreprises françaises seraient une bénédiction pour l’économie et la société et elles devraient être soutenues de manière inconditionnelle par la collectivité. […]

Le statut de « champion national » garantit un soutien inconditionnel de la part des pouvoirs publics : c’est simplement parce que Sanofi ou LVMH sont nominalement français qu’il faudrait les défendre, sans considération de leurs contributions sociales concrètes. Et si les discours des gouvernements et des milieux d’affaires se gargarisent désormais de « souveraineté », c’est en général pour justifier un soutien accru à un grand groupe privé ou à une poignée d’entre eux dans chaque secteur (numérique, énergie, agroalimentaire, etc.).
[…]

Cocorico! Les entreprises du CAC 40 sont devenues de véritables championnes du monde du dividende. Elles ont annoncé, au printemps 2023, un nouveau record de profits : 150 milliards au bas mot. Mais force est de constater que ce « pognon de dingue » profite aux actionnaires et aux dirigeants, et très peu aux travailleurs et travailleuses de ces mêmes entreprises, et encore moins à la société dans son ensemble. Bien pire : ces « superprofits » se nourrissent de la sueur et de la peine de la majorité de la population, puisqu’ils s’expliquent en grande partie par les marges supplémentaires que se sont accaparées les grands groupes sous prétexte d’inflation, ainsi que par les aides publiques et la baisse de la fiscalité.

Le gouvernement continue pourtant à faire comme si ce qui est bon pour le CAC 40 l’est aussi nécessairement pour l’économie et la société française dans leur ensemble. Quelles qu’en soient les justifications officielles, ses politiques économiques restent axées sur les intérêts des grands groupes : ce sont eux qui sont les principaux bénéficiaires de la croissance des aides publiques, de la baisse de la fiscalité, du détricotage du code du travail, de la libéralisation, du soutien à l’exportation, de l’assouplissement des régulations environnementales.

La diplomatie française est mise au service de Total Énergies, Sanofi, LVMH et Dassault pour les aider à signer des contrats, vendre des armes, exploiter des ressources naturelles partout sur la planète. Pendant que les multinationales sont ainsi choyées, les services publics dépérissent faute de crédits suffisants. Les petites entreprises et les diverses formes de l’économie sociale et solidaire doivent se contenter de miettes, les règles du marché unique européen et du commerce international étant conçues pour (et souvent par) les multinationales.

Extraits d’un article dans Lignes d’attac d’avril 2023.

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Économie

L’État providence pour les entreprises

Sur un portail créé par la Chambre de métiers et de l’artisanat, on peut lire début janvier 2023 qu’il existe en France de l’ordre de 2 000 aides publiques aux entreprises ! Tout y passe : exonérations et abattements fiscaux, apports en capital, subventions à l’installation, à l’investissement, etc. […]

Face au nombre et à la grande diversité des aides, qui peut retrouver son chemin dans ce maquis ? Sûrement pas les petites et moyennes entreprises (PME). « C’est un sac de nœuds !, s’exc1ame Bénédicte Caron, vice- résidente de la CPME […]

C’est la raison pour laquelle une petite recherche sur Internet fait ressortir tout un florilège de cabinets de conseil prêts à aider le patron en détresse. […]

Mais, selon Bénédicte Caron, « c’est très peu fait. Ce n’est pas dans la mentalité d’un chef d’entreprise de se faire aider ». Tous ne partagent pas ce point de vue, à l’image de ce dirigeant de PME, qui préfère rester anonyme. Il a déjà fait appel plusieurs fois à ce genre de cabinets. « Ils font 80 % du boulot administratif ce que nous n’aurions jamais pu faire en interne », explique-t-il. Autre avantage, « ils savent les dossiers qui peuvent passer et ceux qui ne peuvent pas passer. Il y en a même qui vous expliquent comment faire en sorte que des dépenses non éligibles à une aide le deviennent ». […]

En 2007, un rapport public a évalué le total des aides à 65 milliards d’euros. Puis un rapport de 2013 de l’Inspection générale des finances a avancé un montant de 110 milliards, avant que Gérald Darmanin, alors ministre des Comptes publics, les situe, en 2018, à 140 milliards. […]

Leur calcul correspond aux dépenses budgétaires en faveur des entreprises, aux baisses de cotisations sociales octroyées et aux dérogations fiscales, les fameuses « niches fiscales », avec deux possibilités, soit en ne prenant en compte que les niches actives ou bien en ajoutant les niches « déclassées », celles qui ont fini par être intégrées dans le droit commun et ont disparu de la liste des avantages dérogatoires.
Une fois ce travail effectué, le rapport livre plusieurs enseignements. D’abord, le montant exorbitant des aides reçues par les entreprises (157 milliards d’euros en 2019) : l’équivalent de 6,4 % du PIB (8,5 % si l’on ajoute les niches déclassées) ou encore de plus de 30 % du budget de l’État (41 % avec les déclassées) ! Ces transferts de richesse publique aux entreprises n’ont cessé de progresser : ils représentaient l’équivalent de 2,4 % du PIB en 1979 (2,6 % avec les niches déclassées). Les aides ont commencé à fortement s`accroître à partir du début des années 2000, puis après la crise de la zone euro au début des années 2010. La pandémie et la guerre en Ukraine ont encore fait grimper les montants. Pour Maxime Combes, on assiste au développement d’un « corporate welfare », d’un État-providence pour les entreprises : « La nature de la dépense publique se transforme : on rabote l’accès aux prestations sociales et aux services publics des ménages, d’un côté, et on étend l’intervention publique en faveur des entreprises, de l’autre. »

Extraits d’un article de Christian Chavagneux dans Alternatives économiques de février 2023.

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Médias

L’éditocratie avec macron

Après avoir vanté les mérites du projet de contre-réforme des retraites (Médiacrítiques n°45, janv.-mars 2023) et manifestement échoué à convaincre, la plupart des commentateurs médiatiques, presse et audiovisuel confondus, continuent à le défendre, en campant sur leurs fondamentaux : même si certains ont mollement reconnu son caractère « injuste », cette réforme n’en reste pas moins « nécessaire » et « incontournable » (p. 26).
Partout, le reportage est réduit à peau de chagrin et les travailleurs ne sont généralement entendus que par le biais de micros-trottoirs, qui restreignent et individualisent la parole en écrasant le collectif. Partout, les « débats » se font en vase clos ou dans des conditions iniques et inégales : face aux contestataires, les chefferies éditoriales déploient leurs escadrons de fast thinkers (p. 32) : éditorialistes, chefs de service politique, chroniqueurs et consultants économiques, sondologues, « spécialistes en communication » et autres experts patentés… tous se chargent de diffuser la bonne parole (p. 13).

Si quelques têtes d’affiche se sont récemment rebiffées contre le mensonge gouvernemental d’une « retraite minimale à 1 200 euros », elles en oublient quelles-mêmes l’avaient propagé un mois durant, plus promptes à télégraphier la communication du pouvoir qu’à exercer leur métier : sinon enquêter, du moins s’informer, un minimum, avant de prétendre « informer ».
Du reste, maintenu strictement dans un cadre qui épouse les présupposés gouvernementaux, le « débat public » n’a de débat que le nom, puisqu’il ignore les alternatives progressistes à « la-réforme », pourtant portées (et documentées) par des organisations syndicales, associatives et politiques. « La reforme ou la faillite » synthétise Sonia Mabrouk (Europe 1, 11 janv.) ; « la réforme ou le déclassement » paraphrase Le Télégramme (12 janv).
En amont de la première journée de grève (19 janv.), le journalisme de démobilisation a rempli sa fonction première, invariable depuis trente ans : promouvoir la régression sociale et déstabiliser celles et ceux qui la contestent (p. 4). Depuis, le journalisme dominant suit à la lettre sa feuille de route traditionnelle par temps de « réforme » (p. 42). Ainsi des intervieweurs, qui, toutes chaînes confondues, prennent pour punching-ball (p. 19) les représentants syndicaux et des dirigeants politiques de gauche (p. 10).
Si les petits soldats réactionnaires de Bolloré sont en tenue de combat (p. 16), ils sont loin d’être les seuls.

Pensons notamment aux dix éditorialistes invités par Emmanuel Macron à déjeuner (p. 22) : après avoir chanté les louanges de la réforme en toute liberté, ces porte-parole se sont aimablement pliés à une opération de communication décidée par l’Élysée. Un journalisme de cour… qui sait naviguer entre servilité et hostilité : que ce soit sous les lumières tamisées d’un plateau de service public (p.34) ou sous le tonnerre des outrances éditocratiques habituelles (p. 39), la gauche parlementaire, « irresponsable », est clouée au pilori. Si le phénomène est loin d’être nouveau (p. 49), la puissance de la mobilisation sociale en cours rend d’autant plus opportune la nécessité, pour la gauche, de politiser la question des médias et de s’engager dans un rapport de forces collectif contre les chefferies éditoriales, en les considérant enfin pour ce qu’elles sont : des adversaires politiques, des militants mobilisés et aux yeux de qui tous les coups sont permis pour défendre l’ordre établi.

Édito-Sommaire de Médiacritique(s), magazine trimestriel d’Acrimed de avril-juin 2023.

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Politique Santé

La bataille de la sécu

La Révolution de 1789 va mettre à bas les anciennes solidarités de la société féodale et construire une nouvelle façon d’organiser les secours, de façon universelle et dont les bénéficiaires sont, au contraire de la charité, légalement définies.
Mais ces innovations sont encore limitées et restent aux mains de la classe bourgeoise dominante.
Dès les premières décennies du XIXème siècle la question de la santé de la classe ouvrière est construite comme un objet politique. Le libéralisme naissant a besoin d’ouvriers en pas trop mauvaise santé, mais les mesures à prendre ne sauraient entrer en confit avec les intérêts capitalistes. L’hygiénisme naissant cherche dans les conditions d’existence des ouvriers et ouvrières – qui sont réellement mauvaises et néfastes – les raisons de la santé dégradée de la classe laborieuse. Les conditions de travail ne sauraient être retenues comme cause explicative des maladies.
Deux modes de financement vont émerger : un système assurantiel (financé par le capital) et un système auto-organisé (financé par l’entraide). Ainsi, les sociétés de secours mutuel se développent rapidement et à la veille de la Révolution de 1848 on en compte 2 500 couvrant un ensemble de 270 000 membres.
Combattues durant la Restauration, entre 1825 et 1848, plus de 4 000 d’entre elles seront condamnées pour délit de coalition. Ces mutuelles sont à la fois des organisations offrant des secours que ne gèrent pas l’État, mais également des lieux politiques de formation qui diffusent les idées démocratiques.
La bourgeoisie ayant à nouveau fait appel au peuple en 1848, et dans la crainte que n’émergent trop fortement une opinion favorable à la mise en place d’un système généralisé de prévoyance pour la santé, la retraite et le chômage, ces sociétés de secours seront finalement légalisées en juillet 1850 mais en les encadrant fortement. En 1852 le décret légalisant la mutualité pris par Napoléon III est un pas supplémentaire vers l’intégration à l’ordre social de ces mutuelles qui restent « des lieux de socialisation ouvrière potentiellement subversives où se pensent la transformation sociale par l’auto-organisation ».
L’État s’approprie ainsi « la critique sociale pour se prémunir du changement ».

Il en sera de même de la réappropriation de la Sécurité sociale, elle aussi née dans l’auto-organisation ouvrière et réintégrée à la doctrine de l’État social dans une « une volonté consciente et relativement stable de cibler les bénéficiaires des prestations et de laisser le capital se déployer au détriment de la production publique ».
Ainsi l’État social, selon Nicolas Da Silva, n’est pas un horizon souhaitable mais plutôt un empêchement à la pleine réalisation de l’émancipation des classes populaires. S’y soumettre serait se soumettre à des intérêts qui ne sont pas les nôtres.

Extrait d’une recension de l’ouvrage La bataille de la sécu, une histoire du système de santé dans Alternative Libertaire d’avril 2023.

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Politique

(Non)-Démocratie (non)-représentative

« À chaque fois qu’un parlementaire est menacé ou attaqué, l’institution dans son ensemble est atteinte et, avec elle, notre démocratie », déclarait la présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet suite aux « dégradations » essuyées par les permanences d’élus favorables à la réforme des retraites. Dans le même temps, Macron rassurait ses ministres : la « foule » ne serait pas légitime face au « peuple qui s’exprime à travers ses élus ». C’est pas très clair, Manu. Car beaucoup de ceux qui dégomment des vitrines de députés sont aussi allés voter en 2022, et certains pour toi, en se pinçant le nez. Noble peuple le dimanche, vile populace le lundi, comment choisir ?

Par ce tour de passe-passe rhétorique, notre Génial Leader aimerait en fait faire oublier que toute démocratie n’est pas forcément représentative. Et pour cause : dès ses origines, le gouvernement représentatif a été pensé contre l’idée de gouvernement par le peuple. Pour les révolutionnaires bourgeois du XVIIIème siècle, les masses populaires n’étaient guère bonnes qu’à prendre la Bastille. Ceci étant fait, elles étaient priées de céder la place à une élite politique d’ « honnêtes gens » raisonnables et bien élevés. C’est pour asseoir leur autorité que ceux-ci fondèrent le pouvoir sur l’élection.
Présentée encore aujourd’hui comme le nec plus ultra de la participation politique, elle est en fait une procédure intrinsèquement aristocratique. Le grand philosophe de la démocratie libérale, Tocqueville, le savait bien, qui emmenait les paysans de son village à travers champs jusqu’au bureau de vote, où ils lui offraient des scores dignes de la Roumanie de Ceausescu. C’est ainsi que dans la France de la V* République, l’élection ne sert qu’à départager une poignée de notables obéissant aux normes idéologiques.

Que l’élection soit un piège à cons, on le savait dès l’Athènes de Périclès, il y a 2 500 ans. Les responsabilités – tournantes et à durée limitée – y étaient distribuées par tirage au sort et vote éliminatoire. Et d’autres pistes existent ! La révocabilité des mandats : tu trahis, tu dégages. Le mandat impératif : tu votes comme tu as été désigné pour le faire, puis tu dégages. Le référendum sous toutes ses facettes. Des outils démocratiques vite planqués sous le tapis. La Constitution de 1958 a explicitement exclu la possibilité du mandat impératif. La même ne réintroduisit le référendum que pour légitimer un pouvoir putschiste.
Face à la crise de la représentation -les Gilets jaunes foutant le feu à l’Arc de triomphe, ça avait quand même fait tiquer -, des procédures d’apparence un peu plus démocratiques sont ressorties des fagots ces dernières années. Mais le sort de la Convention citoyenne sur le climat de 2019-2020 a pu étonner jusqu’aux plus sarcastiques. Macron avait promis de reprendre telles quelles les propositions de ce groupe de citoyens tirés au sort. Las, le produit de l’intelligence collective excédait tellement son horizon bouché qu’il les a enterrées illico. Limpide.

On le sait bien : quand la députée Renaissance Aurore Bergé affirme au sujet des retraites que « la démocratie a parlé », elle se moque du monde. Ce qui est légal n’est pas forcément légitime ni démocratique. Un pouvoir n’est légitime que si le peuple y consent.
Évacuant une place parisienne après une manif fin mars, un flic a bien résumé le moment : « Maintenant vous circulez, bonne soirée à tous, et désolé pour la démocratie ! » Ne soyez pas désolés. Le pouvoir, on le reprendra bien un jour. Vite, ce serait bien…

Édito du journal CQFD d’avril 2023.