Apathie politique

D’emblée, en lancement de campagne, je parodiais François Hollande et j’énonçais : « Mon adversaire, ça reste la finance (le changement de discours, ça n’est pas pour maintenant). Mais je voudrais vous dire quel est notre plus terrible adversaire : c’est l’indifférence ».
Là, je citais volontiers Gramsci : « L’indifférence est le poids mort de l’histoire. C’est le boulet de plomb pour le novateur, c’est la matière inerte où se noient souvent les enthousiasmes les plus resplendissants, c’est l’étang qui entoure la vieille ville et la défend mieux que les murs les plus solides, mieux que les poitrines de ses guerriers, parce qu’elle engloutit dans ses remous limoneux les assaillants, les décime et les décourage et quelquefois les fait renoncer à l’entreprise héroïque. »

Ou encore, surtout, cette phrase que j’adore de Samuel Huntington, qui sera l’auteur, plus tard, du Choc des civilisations. Mais là, nous sommes en 1975, et c’est devant la Commission trilatérale, devant les élites japonaises, européennes, américaines qu’il s’exprime : « Le problème dans toutes les démocraties occidentales, c’est qu’il y a trop de démocratie, le peuple se prend au sérieux. Or, pour en finir avec cette attitude et pour que les dirigeants puissent diriger, il faut installer de l’apathie politique. »

Lui et les siens ont triomphé depuis longtemps. L’apathie est bien installée dans le cœur des électeurs…
Et plus ils sont modestes, plus ce découragement s’y est enkysté…
Voilà. Toute la question, je crois, c’est l’envie. L’envie d’avoir envie, comme dirait Johnny, et qui parfois, souvent, s’efface des âmes. On se protège, on préfère ne plus croire à rien, ne plus espérer, ne plus être déçu.
[…]
Mon film parle d’une usine qui part en Pologne et qui laisse derrière un paquet de misère et un paquet de détresse. Au moment où je vous parle, c’est une usine d’Amiens qui s’appelle l’usine Whirlpool qui fabrique des sèche-linge qui subit la même histoire puisque maintenant ça part là aussi en Pologne.

Il y a 15 ans c’était déjà à Amiens et c’était le lave-linge qui partait en Slovaquie. Pourquoi ça dure comme ça depuis 30 ans ? Ça dure comme ça depuis 30 ans parce que ce sont des ouvriers qui sont touchés, et donc on n’en a rien à foutre. Si c’était des acteurs qui étaient mis en concurrence de la même manière avec des acteurs roumains, ça poserait problème immédiatement.
Si c’était des journalistes… Quand on touche à l’avantage fiscal de la profession de journaliste ça fait des débats aussitôt, il y a des tribunes dans les journaux. Mais imaginons que ce soit les députés dont on dise « les députés ne sont pas assez compétitifs ».
Un député français coûte 7 100 euros par mois, un député polonais revient à 2 000 euros par mois. Et encore je suis modéré parce qu’au Bangladesh un député c’est 164 euros. Mais imaginons qu’on dise demain « Il faut délocaliser l’Hémicycle à Varsovie ».
Et bien immédiatement il y aurait des débats à l’Assemblée nationale et il y aurait un projet de loi. Eh bien il n’y a pas de débat à l’Assemblée nationale et il n’y a pas de projet de loi.
Donc dans ce pays il y a peut-être des « sans dents » mais surtout il y a des dirigeants sans cran ! Donc maintenant François Hollande par exemple, il a l’occasion de montrer sur le dernier fil que son adversaire c’est la finance, qu’il peut faire des réquisitions, qu’il peut interdire les produits Whirlpool sur le territoire français, qu’il peut sortir de l’impuissance et se bouger le cul. »

Deux extraits du récit de la campagne électorale de François Ruffin dans le journal Fakir de juillet 2017.

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