20 heures, émouvoir et divertir

C’est du domaine de la colère intérieure, du haut-le-cœur muet devant sa télé, de la bouche bée devant un système jean-foutre. Ne pas compter sur ces gens-là pour te raconter ce qui est essentiel ici et dans le monde. Une fois passés les titres et les choix d’ouverture des journaux du soir ou du matin, une fois digérés le fait divers et la météo d’exception, bien sûr sans trop s’appesantir sur le contexte de changement climatique, voici les reportages à l’étranger.
En Israël, du spectaculaire, de l’innovant : des drones qui cueillent les pommes. Belle réalisation technologique longuement démontrée au pays où sévit l’apartheid puisque deux genres de citoyens sont clairement identifiés. Mais là – c’était sur France 2 -, pas question d’y faire référence, pas de reportage non plus sur les morts palestiniens, les destructions de maisons arabes au profit des colons et les exactions de l’armée occupante.
Non, les pommes d’abord ! Ainsi l’arrivée d’un gouvernement d’extrême-droite tout comme la répression menée par Israël contre les Palestiniens de Cisjordanie ne sont pas dignes d’intérêt ! Les pommes, vous dis-je.

Et c’est comme ça pour bien d’autres lieux étrangers. Sauf l’Ukraine, où la guerre oblige à respecter le travail des reporters. Mais en Afrique, les reportages sont des cartes postales, sur des safaris et des sites géographiques ; en Nouvelle-Calédonie – Certes c’est la France, mais c’est si loin… – on nous montre des touristes bien blancs, bien riches, en train de se pâmer devant la couleur bleu azur d’un lagon…
Désormais, le journalisme pratiqué et diffusé dès le second quart d’heure du JT est un divertissement. Dans le sens premier : divertir, c’est à dire conduire le regard vers autre chose, se tourner vers ailleurs.

Ah, heureusement, il reste quelques faits divers bien crapoteux pour assurer l’émotion et l’audience. Ainsi va la course médiatique, soucieuse de ne pas trop troubler le spectateur et d’éviter l’écart entre rumeur et réalité en se déportant vers de bien belles images tournées pour faire rêver et dignes d’alimenter les bavardages du lendemain.

Pas étonnant que la confiance dans le travail des journalistes se traîne en queue de peloton des enquêtes d’opinion. Pas surprenant que le nombre de téléspectateurs soit à la baisse. C’est inquiétant pour ce métier d’information où, chaque jour, il conviendrait de se demander ce qui est important, quelle est la hiérarchie des faits à rapporter. Mais je raisonne comme un sot nourri d’autrefois alors que la vague des jean-foutre caracole sur les réseaux télévisés à flux continu.

Article de Claude Sérillon dans Siné mensuel de décembre 2022.

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