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Société

Le développement

Voilà un mot dont on use et abuse à tel point que le requestionner pourrait paraître à certains une idée saugrenue. Si l’on imagine bien ce que peut être le développement en biologie (croissance, vie et mort d’un organisme vivant), il en est tout autre chose dans son usage courant. D’où vient la portée méliorative du mot, synonyme de marche en avant du monde ? De très loin assurément, mais son élan le plus proche est le résultat de l’imposition d’une grande fable planétaire, pas si vieille que ça.
En 1949, le président américain Truman, lors de son discours sur l’état de l’Union qualifia la majeure partie du monde de « régions sous-développées ». Plus qu’une simple façon de claironner la victoire, c’est un destin pour le reste du monde qui fut posé ici. La suite fut théorisée par les sciences économiques et mises en œuvre par les politiques d’après-guerre sur les cendres encore chaudes du conflit mondial. Dans la continuité de l’élan guerrier se prolonge alors une course effrénée à l’augmentation du capital (que celui-ci soit étatisé sous la forme historique du communisme n’y change rien), à l’imposition de la société de consommation (pour le bloc de l’ouest au moins dans un premier temps…) et à la suprématie des subjectivités occidentales. C’était le progrès ou la mort.
L’anthropologue Robert Jaulin parla d’ « etnocide » pour rendre compte de la destruction, parfois lente, parfois rapide, des sociétés traditionnelles. Les autres se sont laissées – non sans certaines résistances (lire Une autre histoire des trente glorieuses) – bercées par les promesses d’une vie plus facile. Aujourd’hui « la crise », lorsqu’elle ne finit plus, révèle les contradictions d’une construction économique et politique dans l’impasse.
François Partant, un économiste (banquier du développement, tiens tiens), résumait ainsi la situation dans les années 1980 : « Aussi longtemps que nous assimilerons l’évolution de notre société à celle de l’humanité avançant vers un terme à la fois idéal et indéfiniment futur, aussi longtemps que nous verrons, dans nos progrès scientifiques et techniques, la preuve de cette évolution d’ensemble, nous ne parviendrons même pas à imaginer un projet politique nouveau. »
Ils furent quelques-uns alors à réfléchir, avec lui et à sa suite, à ce que pourrait être un « après développement ». « Il ne s’agit plus de préparer un avenir meilleur mais de vivre autrement le présent », aimait à rappeler François Partant dans ses livres.

Article de Gautier Félix dans l’âge de faire de mars 2023.

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Médias

Didier Lallement, un grand affectif

Le 20 octobre 2022, Didier Lallement, secrétaire général de la Mer, publie un livre-entretien (L’Ordre nécessaire) avec l’ancien chef du service politique de France Info (Jean-Jérôme Bertolus), dans lequel il revient sur son expérience d’ex-préfet de police de Paris. Mais l’immanquable tournée promo n’a que trop peu été l’occasion de revenir (notamment) sur son bilan à la tête de la préfecture de police de Paris (mars 2019-juillet 2022). Au contraire, une douce mélodie fut chantée dans Paris Match, le JDD et L’Express : celle de la « métamorphose »…
« Un maintien de l’ordre violent, des propos méprisants, voire insultants, et des déclarations mensongères : c’est ainsi que pourraient se résumer les trois années passées par Didier Lallement à la tête de la préfecture de police de Paris », synthétisait Mediapart. « Le bilan [concernant les journalistes] du préfet Didier Lallement est indubitablement négatif », détaillait encore RSF (Reporters sans frontières).
Mais dans Paris Match (12 oct.), on s’intéresse à l’homme derrière l’uniforme, plutôt qu’au bilan du préfet : Il est méconnaissable. Didier Lallement a tout lâché, l’uniforme, le phrasé schlagué, le masque glacial, surjoué sous la casquette, sans craindre d’être le préfet le plus détesté de la 5e République.
Le voilà dans une brasserie parisienne, jeans, barbe de hipster, le regard philosophe, presque doux. « Doux », le Journal du dimanche (16 oct.) l’est aussi assurément. Sous la plume de Catherine Nay, on « respire » : Il respire, cela se voit. Il émane de lui quelque chose de très doux que n’imaginerait pas la cohorte de ses détracteurs tant sa réputation de mauvais caractère voire de « brute épaisse » est établie. […]
« Bien sûr, continue Catherine Nay, les manifs ont laissé de mauvais souvenirs, il y a eu des blessés par des tirs de LBD. » Un détail…
« Mais il a changé la doctrine en engageant les effectifs au plus près des manifestants pour maîtriser la foule. » Nous voilà rassurés ! Pour une conclusion toute en révérence : « Le 27août, Didier Lallement a fêté ses 66 ans. Le bruit et la fureur autour de lui s’estompent, on découvre un grand affectif. »

Extraits d’un article du magazine trimestriel Médiacritiques de janvier 2023, édité par l’association Acrimed.

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Économie Société

Préparer le terrain à la capitalisation

Le recul de l’âge de départ en retraite à 64 ans est un scandale, mais fixer 43 annuités pour y avoir droit, c’en est un autre. L’objectif est impossible à atteindre pour la plupart des salarié-es, notamment les femmes. Il signifie pension amputée, et donc invitation à souscrire à une assurance privée. Seuls les gros salaires peuvent s’y risquer. On dit bien « risquer ».

Quand les salarié~es ne peuvent plus travailler, pour cause de maladie, de chômage ou de vieillesse, ils et elles peuvent prétendre à un « revenu de remplacement ». Dans le cas de la pension de retraite de base, ce revenu est égal à 50 % du salaire annuel brut moyen, calculé sur les 25 meilleures années. Si on y ajoute les retraites complémentaires, le taux de remplacement pour une ou un salarié moyen atteignait 74 % en 2019, selon l’OCDE. Mais attention ! Si on n’a pas toutes ses annuités, on subit une décote progressive sur la retraite de base. Si par exemple, arrivé-e à 65 ans, vous liquidez votre retraite et qu’il vous manque quatre annuités (16 trimestres), le taux de remplacement chute à 40 % ! Mais basta, vous êtes « libre » de continuer à travailler jusqu’à 66 ans si vous voulez le taux plein ! Soyons clairs : c’est du flan.
Quand on franchit 55 ans, le taux de chômage et d’inactivité augmente inexorablement. Les travailleuses et travailleurs licencié-es passé cet âge-là ont bien de la peine à se faire recruter. En 2021, selon la Dares (ministère du Travail), 19,7 % des gens âgés de 55 ans étaient sans emploi ; ce taux montait à 24,6 % à 58 ans ; à 28,8 % à 60 ans. Conclusion : le taux de remplacement pour les retraité-es baisse, au fil des différents plans de casse des retraites qu’on subit depuis 1993.

Pour compenser cette baisse, les futur-es retraité-es sont invité-es à souscrire à des contrats d’assurance privés. Là on n’est plus dans une logique de répartition – où les actifs paient, chaque mois, les pensions des retraités -, mais dans une logique de « capitalisation ». Les souscripteurs et souscriptrices abondent alors chaque mois un fonds, qui va être placé sur les marchés financiers par leur banque ou assurance. Et une fois à la retraite, le fonds vous reversera chaque mois votre dû ! C’est en fait une illusion. Les prestations issues de la capitalisation sont médiocres. Pour compenser une baisse de dix points du taux de remplacement (de 50 % à 40 %), il faudrait selon la CGT épargner un mois de salaire, chaque année, pendant trente ans… Qui peut se le permettre, hormis les gros salaires ? Et encore, pour un résultat aléatoire… On sait ce qu’on verse dans ces fonds (il sont dits « à cotisations définies »), mais on ignore ce qu’on touchera à l’arrivée, et ce capital monétaire peut s’évaporer au rythme des crises financières annoncées par le dérèglement climatique. Aux États-Unis, la crise des retraites par capitalisation a ainsi contraint un tiers des retraité-es à reprendre le travail.

Alors à qui profite le système par capitalisation ? Le gouvernement fait mine de croire que cette épargne sera dirigée vers des investissements productifs. On se demande bien pourquoi ! La logique intrinsèque des fonds de pension, c’est la rentabilité financière à court terme, sans autre vision sociale, sociétale, industrielle ou quoi que ce soit… Les seuls bénéficiaires seront les acteurs et actrices de l’économie financière, avides de nouvelles masses monétaires à jouer en bourse.

Article de Guillaume Davranche dans Alternative Libertaire de mars 2023.

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Société

Rééduquer les jeunes délinquants

Certains fantasmes éducatifs ont la vie dure. Régulièrement la droite (mais Ségolène Royal n’avait pas été en reste) propose de rééduquer les jeunes délinquants lors de stages encadrés par des militaires.
Ce concept simpliste repose sur l’idée que l’armée et ses méthodes dites dures alliant obéissance et règles de vie collective vont soumettre les plus rebelles. La droite en a rêvé, le général Dupond-Moretti a obtempéré, le doigt sur la couture du futal.
Rappelons d’abord que l’armée moderne est un engagement de la part des jeunes recrues, ce n’est plus une obligation ou une contrainte.
La pédagogie de l’armée repose sur cet engagement.

Le troufion connaît la règle militaire et accepte de s’y plier. Il y va de son propre chef, ce qui ne sera pas du tout le cas des fameux délinquants.
Second écueil, l’armée n’est pas la vraie vie. On y subit la même pathologie qu’à l’hôpital ou en prison, à savoir l’hospitalisme, cette habitude d’être servi, d’avoir sa vie organisée, de perdre tout sens de l’initiative et qui rend incapable de se prendre en charge en sortant de ces lieux d’enfermement.
La vie en caserne, c’est l’inverse exact d’une démarche d’insertion et de quête d’autonomie.
Les politiques, du haut de leurs perchoirs, imaginent que les jeunes dans le passage à l’acte délictuel ont manqué de sévérité éducative et sont victimes de parents laxistes mais l’observation montre le contraire.
Ces gamins sont plutôt victimes d’éducation dure, où les privations, les sanctions, morales et physiques, se sont multipliées et chez qui la crise est avant tout existentielle et familiale. Ils ne craignent ni la violence institutionnelle ni la violence hiérarchique, ils sont blindés.
Enfin, nous avons mille témoignages sur les bagnes militaires d’enfants découverts en Roumanie, en Pologne et ailleurs à la chute du mur de Berlin. Les délinquants y étaient élevés à la dure. Un vrai bonheur de pédagogie fasciste. Résultats : ces jeunes cassés ont nourri les rangs des mafias des pays de l’Est et en ont tellement bavé adolescents que plus rien ne les émeut.

Article d’Étienne Liebig dans Siné mensuel de mars 2023.

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Économie Politique

Capital et travail

L’objectif de la réforme des retraites qu’Emmanuel Macron veut imposer est purement financier : maintenir les dépenses de retraites à leur niveau actuel, en dessous de 14 % du PIB. Ce qui entraînera, en raison du vieillissement de la population, une baisse du niveau moyen des pensions par rapport à l’ensemble des revenus d’activité. En d’autres termes, comme le remarque le Conseil d’orientation des retraites, le niveau de vie des retraités diminuera par rapport à l’ensemble de la population.
L’argumentaire néolibéral du pouvoir macronien et de la Commission européenne est que les retraites ont un poids excessif et contribuent aux déficits publics qu’il convient de réduire à tout prix.
Or, si 1’on analyse de près l’évolution des comptes publics, on voit que les causes principales des déficits sont ailleurs. Leur augmentation, ces dernières années, provient d’abord de l’érosion des recettes publiques, dont le poids en pourcentage du PIB n’a cessé
de diminuer. Ainsi, de 2007 à 2021, les recettes fiscales de l’État sont passées de 14,2% à 12,2% du PIB.
Cette érosion est due aux baisses d’impôts et de cotisations sociales, principalement en faveur des entreprises et des ménages les plus riches. Cette politique anti-impôts s’est accélérée pendant l’ère Macron, notamment avec la suppression de l’ISF et des impôts de production sur les entreprises.
Mais il faut aller plus loin dans l’analyse des comptes publics. Contrairement au discours officiel, largement repris dans les médias, les retraites sont loin d’être le poste des dépenses publiques dont la progression est la plus forte. Ce record est détenu par les aides publiques aux entreprises (APE), dont la croissance a été de 5 % par an en termes réels (hors inflation) entre 2007 et 2021, soit 2,5 fois plus que les dépenses de retraite.
Or les APE – subventions publiques, crédits d’impôt et baisses de cotisations sociales patronales – posent un double problème. D’une part, il est reconnu qu’elles sont peu efficaces. Ainsi en est-il des baisses de cotisations sociales permises par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui a été pérennisé par Emmanuel Macron. D’autre part, les APE contribuent à déséquilibrer les comptes de l’État et de la protection sociale, dont font partie les retraites. Prompt à imposer l’austérité à l’assurance-vieillesse ainsi qu’aux services publics, le gouvernement s’oppose à tout débat public sur la pertinence des APE, dont le poids est devenu exorbitant, estimé à 160 milliards d’euros par an, soit 6,4 % du PIB, et qui bénéficient surtout aux grandes entreprises.
Il y a bien deux poids, deux mesures pour le travail et le capital… .

Article de Dominique Plihon dans Politis du 16 février 2023.

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Environnement Politique

Désarmement et éco-terrorisme

– Il y a eu toute une réflexion autour du choix des mots à employer pour qualifier nos actions – par exemple lorsqu’on décide de découper la bâche d’une méga-bassine ou de sectionner une canalisation de pompage d’eau illégale pour les mettre hors d’usage.
Typiquement, la Confédération paysanne parle de « démontage ». On aurait pu aussi parler de « démantèlement », de « sabotage », ou même de « contre-violence », terme qui était je crois utilisé par la militante éco-féministe et anti-nucléaire Françoise d’Eaubonne… Ce qui est intéressant avec le « désarmement », c’est que ça montre qu’on désactive une arme. C’est à mon sens le terme qui permet le mieux d’expliquer la situation dans laquelle nous, activistes écologistes, nous trouvons aujourd’hui :
nous faisons face à des infrastructures écocidaires qui ne nous laissent plus d’autre choix que d’agir. Nous subissons cette violence systémique au quotidien, et cette violence, il faut la désactiver, il faut la désarmer. On tente donc de populariser ce terme, et en tant que membre de l’équipe communication, j’essaye à chaque fois de bien l’expliciter. Ceci dit, on n’a rien inventé : ça fait des années que le « désarmement » ou le « sabotage » est pratiqué dans les luttes écolos. La seule différence, c’est que ces actions étaient souvent réalisées dans la clandestinité alors que nous, nous voulons revendiquer notre légitimité à le faire en procédant collectivement, plusieurs centaines, voire plusieurs milliers.

– Ces actions d’ampleur vous ont d’ailleurs valu d’être désignés comme des « éco-terroristes » par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à l’issue de la mobilisation contre les méga-bassines de Sainte-Soline en novembre 2022…

– Je ne m’attendais pas à ce qu”on arrive à ce degré d’accusation aussi vite, que ça aille aussi loin… même si pour moi cette désignation relève bien sûr d’une tactique bien réfléchie et d’un récit policier qui s’échafaude depuis des années contre les militants écolos. Le but est de nous dépeindre comme de dangereux extrémistes et d’instiller l’idée qu’à partir du moment où l’on mène une action de désobéissance civile, où l’on conteste en les transgressant des lois qui nous semblent illégitimes ou injustes, on est engagé dans une pente qui mène inexorablement à la planification de tueries de masse. C’est ridicule, et ça l’est d’autant plus quand on sait que des milices d’extrême droite surarmées font tranquillement leur vie sans être inquiétées. On fait d’ailleurs comme si le degré de violence de la part des manifestants était supérieur à celui dont ils sont victimes de la part des forces de l’ordre.
Après Sainte-Soline, on a parlé de 61 gendarmes mobiles blessés dont 22 « sérieusement »…
Mais il faut retourner tout cet argumentaire : quand l’État veut nous empêcher de mener certaines actions – qui sont pour nous, je le répète, nécessaires et légitimes – et que les consignes données aux forces de l’ordre consistent à menacer les gens, à les asperger
à la moindre occasion de gaz lacrymogène, à les nasser, à leur tirer dessus à coups de flashball, comment la foule est-elle censée réagir ?
En nous désignant comme des « éco-terroristes » et en tentant de dresser la population contre nous, le but est aussi d’avoir les mains libres pour que la répression politique puisse librement s’exercer.

– Comment se manifeste cette répression politique ?

– Par des mesures d’exception dignes du contre-espionnage, par exemple en posant des caméras devant les domiciles des militants et les lieux de réunion pour les surveiller. Et puis bien sûr, dans les tribunaux, à faire des exemples, conformément à la circulaire du
garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, qui a appelé juste après Sainte-Soline à « une réponse pénale systématique et rapide » pour les « infractions commises dans le cadre des contestations de projets d’aménagement du territoire ». Et la justice n’a pas sourcillé.
Lors du dernier procès, le 6 janvier 2023 à Niort (contre des militantes anti-bassines, ndlr), le dossier avait beau faire 1000 pages passant au crible toute la vie des cinq personnes qui comparaissaient et celle de leur entourage, il était vide de preuves. Une
vidéo, censée être accablante pour l’un des prévenus, n’a pas pu être visionnée car elle était « sous scellés », ce qui a rendu son avocat fou furieux… et n’a pas empêché le tribunal de prononcer des peines de prison avec sursis.

Extraits d’un entretien de Léna Lazare dans Socialter de février 2023.

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Environnement Politique Société

L’enquête publique expliquée simplement

– Officiellement, ça doit permettre à tout le monde de s’informer et de s’exprimer librement sur le projet. Le dossier est consultable et fournit des pièces légales, des études, des plans. Un commissaire enquêteur est désigné par le tribunal administratif pour organiser la consultation et rédiger un rapport qui tient compte des oppositions… mais qui sert surtout à les écarter une à une. Si bien que l’enquête publique se conclut dans une immense majorité des cas en faveur du projet.

L’enquête publique est donc surtout une mise en scène, un exercice rhétorique pour neutraliser le débat et désamorcer les critiques, tout en manifestant le caractère indiscutable du projet. Une fabrique du consentement, en somme. Tiens, y a ce livre qui vient de paraître qui raconte très bien à quel point les enquêtes publiques sont une parodie de démocratie : Inutilité publique.

– Bon on peut quand même aller voir, ça coûte rien. Et puis si on commence à être nombreux à critiquer le projet, ils vont bien être obligés de tenir compte de nos remarques, voire d’annuler la construction de l’échangeur, non ?

– Pas du tout Papa. L’enquête publique n’est pas un référendum. Le commissaire enquêteur est invité à « fonder ses conclusions et son avis sur la valeur des arguments présentés et non sur leur nombre ». Vous pourriez être à 1 000 contre 1, ça ne changerait malheureusement pas grand-chose.

– En plus si on commence à trop l’ouvrir je vois déjà le maire et tout le conseil venir nous sermonner « nianiania ça va créer des emplois, à quoi vous jouez ? »

– Argument classique, et souvent repris en chœur par les promoteurs, l’administration et les élus locaux – qui font souvent front uni sur ces questions d’aménagement. Construire des trucs, mêmes inutiles ou écocidaires, ça permet de montrer qu’on agit pour le territoire et son attractivité Mais n’hésitez pas à regarder en détail dans le dossier : ce genre d’argumentations ne sont la plupart du temps pas du tout étayées et fondées sur des spéculations. Pis : elles ne prennent en compte que la création nette d’emplois, en omettant sciemment la destruction d’autres activités que le projet risque d’occasionner

– Ouais mais ça c’est la vie, c’est la concurrence…

– On peut penser ça. Mais on peut aussi se dire que si un hypermarché ou un entrepôt Amazon détruit plus d’emplois qu’il n’en crée (ce qui est pour le coup appuyé par de nombreuses études), s’il génère de la pollution de l’air et des nuisances sonores à cause du trafic automobile, quel intérêt y a-t-il alors à les construire, en dehors de donner des contrats aux entreprises de BTP ? Autant garder des centres-villes dynamiques avec des commerces de proximité plutôt que d’aller bétonner toute la campagne alentour, non ?

Extrait d’un article de Clément Quintard dans Socialter de février 2023.

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L'énergie en France

Jean-Marc Jancovici, militant pro-nucléaire

Le 6 décembre, sur son compte Linkedin, Jancovici écrit : « Alors même que l’État français souhaite accélérer sur les énergies renouvelables (dont l’éolien et le solaire pour une large part), le contexte international fait ce qu’il peut pour contrarier ce plan, en renchérissant fortement le coût des matières premières nécessaires. »
Les matières premières sont en réalité sans rapport avec les atermoiements de la France pour accélérer sur le solaire et l’éolien, alors que ce serait bon pour sa sécurité énergétique. Ce sont les discours à charge qui sont en cause, Jancovici en ayant été jusqu’ici l’un des porteurs très médiatiques. L’actuelle envolée des prix de l’énergie se répercute sur celle des matériaux de la transition, c’est vrai. Mais l’augmentation du prix des fossiles affecte ces derniers bien davantage en tant que concurrents des énergies renouvelables ! Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) paru le 6 décembre également, les perspectives de déploiement des renouvelables pour la période 2022-2027 dépassent de 30 % ce qui était anticipé l’an dernier.
Et pour cause. Le solaire et l’éolien terrestre sont, dans la grande majorité des pays, les moyens les moins chers de produire de l’électricité. Ils devraient représenter 90 % des capacités électriques installées dans les cinq prochaines années, selon l’AIE.

Mais n’allons-nous pas buter sur les ressources minérales ? « À cause de leur caractère très diffus,le solaire et l’éolien demandent 10 à 100 fois plus de métal au kWh » que le nucléaire, affirme Jancovici dans sa BD (page 131), sans s’embarrasser de sourcer, ici comme ailleurs.
Dans son blog, Stéphane His repère que les chiffres employés par Jancovici sont souvent anciens. Dans le cas d’espèce, il s’agirait de données remontant aux années 2010. Or, depuis, la technologie a continué de progresser à toute allure. Citant un rapport de l’AIE sur les métaux de la transition paru l’an dernier, Stéphane His écrit que le ratio entre le nucléaire et les renouvelables serait de l’ordre de 1,4 à 3 selon les technologies.
Surtout, le même rapport montre que l’essentiel de l’accroissement de la demande de minéraux dans son scénario « zéro émission nette en 2050 » (où le nucléaire produit près de 10 % de l’électricité mondiale et le solaire et l’éolien, 70 %) provient des véhicules électriques. Rien à voir, donc, avec la nature des capacités électriques, nucléaires ou renouvelables.

Jean-Marc Jancovici rejette de même l’idée que l’on puisse construire un système électrique décarboné sans donner une place dominante au nucléaire, sauf à ce qu’il soit horriblement coûteux et non fiable.
Pour le cas de la France, les travaux publiés par l’Ademe en 2015 et en 2021 et par RTE en 2021 ont au contraire montré que le 100 % électricité renouvelable en 2050 était une option crédible sur un plan technique et économique. Et ce malgré une très forte pénétration – 80 % – des seules sources ayant un réel potentiel de développement, l’éolien et le solaire.
Leur défaut est de ne pas être pilotables, mais il peut être surmonté par le déploiement des moyens de flexibilité et de gestion du réseau électrique. Un défi technologique réel, mais pas insurmontable sur vingt ans. Sur le plan économique, l’étude de RTE indique des coûts complets du système électrique (production, transport et flexibilité) a priori favorables à une relance du nucléaire, mais avec des écarts limités par rapport à l’option contraire (de l’ordre de la dizaine de milliards d’euros par an dans un pays de 70 millions d’habitants), voire nuls, selon les hypothèses retenues…

Extrait d’un article d’Antoine de Ravignan dans Alternatives économiques de janvier 2023.

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Politique

Écoterrorisme

Nous vivons dans un monde de plus en plus orwellien, où noir c’est blanc et la paix c’est la guerre. Dans la foulée du mouvement contre les mégabassines à Sainte-Soline et ailleurs, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, avait, l’automne dernier, traité les activistes écologistes d’ « écoterroristes ». Ces « terroristes » portent pourtant un combat fondamental et courageux, et d’autant plus légitime que les politiques ne semblent toujours pas prendre la mesure de l’urgence. Les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, ainsi que l’usage des pesticides, l’eau de pluie n’est plus potable, le Gulf Stream risque de disparaître, le pergélisol fond, mais l’État français a choisi ses ennemis : les écolos. Ces derniers mois ont vu une succession inquiétante de circulaires et de lois aboutissant à criminaliser l’action écologique.

On ne compte plus les amendes et les gardes à vue à la suite de manifestations. Des militants sont placés sur écoute, filmés devant chez eux, tracés par GPS. Une circulaire du 9 novembre 2022 émanant d’Êric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, demande aux présidents de tribunaux de privilégier des « réponses pénales systématiques et rapides » aux « contestations de projets d’aménagement du territoire ». La loi contre le « séparatisme », exigeant des associations un « contrat d’engagement républicain » pour toucher des subventions publiques, permet dans les faits d’arrêter de financer les associations qui s’intéresseraient aux modes d’action non-violents issus de la désobéissance civile. La cellule de gendarmes Déméter traque les opposants au système agro-industriel dans les campagnes. Le mouvement des Soulèvements de la Terre est menacé de dissolution …

Et pourtant, ce même État français a été condamné deux fois pour « inaction climatique », pour n’avoir pas tenu des engagements qu’il s’était lui-même fixés. Il continue d’autoriser la production de pesticides hautement toxiques interdits en Europe et qui seront exportés vers des pays moins regardants. Il soutient les tentatives des instances européennes de déréglementer les organismes génétiquement modifiés issus des nouvelles techniques d’obtention végétale et animale, qui risquent d’aboutir à une acceptation pure et simple de ces « nouveaux OGM », pour certains sans tests ni étiquetage. Il propose de faire durer plus longtemps encore des centrales nucléaires déjà vieillissantes et mal entretenues. Ce même État qui dépense des dizaines de milliards d’euros par an en aides, subventions, exonérations de charges et autres allégements d’impôts aux grandes entreprises responsables du désastre planétaire et aux criminels en col blanc qui les dirigent. Qui est le plus dangereux ? Qui représente une menace pour l’intérêt général ? Les activistes écologistes, vraiment ?

Article d’Hélène Tordjman dans Politis du 09 février 2023.

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Politique

Détruire la solidarité

Avec le système actuel, qui part à la retraite à 62 ans en étant serein, en ayant cotisé le nombre suffisant d’années ?
On n’est plus sur les carrières de nos parents ou grands-parents : les parcours sont toujours plus hachés, marqués par des périodes de chômage et d’emp1oi à temps partiel.

Nos gouvernants vivent avec un haut capital social, culturel, financier de départ, un accès facile aux soins, des conditions de travail confortables… et tous les privilèges qu’on leur connaît.
Ils ne s imaginent pas ce qu’est l’existence de quelqu’un qui a galéré, est passé de mission d’intérim en mission d’intérim, n’est pas arrivé à trouver de job stable ou à temps complet en CDI, qui subit souvent un degré de pénibilité énorme… Ils leur disent de travailler plus longtemps, mais ces gens-là sont usés.

De manière générale, il y a un nivellement par le bas flagrant des conditions de vie des Français et la seule réponse qu’on nous donne, c’est : pas d’augmentation des salaires et une amputation des droits au chômage, à la retraite… C’est quoi, l’étape suivante ? S’attaquer aux aides sociales ? Histoire de se donner bonne conscience, le gouvernement nous sort de temps en temps des mesurettes comme récemment le chèque carburant. Mais les chômeurs n’y avaient pas droit, ce n’étaient que pour les travailleurs.
Le monde du travail est très cruel, et encore plus envers les seniors qui sont considérés comme plus coûteux, moins performants. À partir de 45 ans, cela devient déjà extrêmement compliqué. Résultat : on constate qu’actuellement, pas loin d’un senior sur deux est sans emploi au moment de partir à la retraite.
Si cette réforme passe, il faut s’attendre à une hausse du nombre de personnes demandant le RSA. Parce que ces chômeurs seniors qui ne sont pas embauchés, qui ne touchent plus d’allocations chômage, qui ne pourront pas partir à la retraite… vont se tourner fatalement vers les minima sociaux. Pour rappel, les allocataires du RSA touchent à peine 500 balles par mois et ne cotisent pas pour la retraite. Ce qui veut dire qu’ils devront rester précaires encore plus longtemps avant de recevoir, si on veut bien la leur donner, une toute petite retraite. Ou un minimum vieillesse qui ne les sortira pas plus de leur pauvreté.
Et n’oublions pas qu’un quart des plus pauvres de notre pays meurent avant l’âge actuel de la retraite !

Nos différents collectifs locaux ont été présents dans de nombreuses manifs – Strasbourg, Toulouse, Clermont-Ferrand… C’est important de se montrer en tant que chômeur ou chômeuse et de défendre nos droits.
Si ce n’est pas pour nous, c’est pour nos proches. Cette réforme qui touche à nos fins de vie, c’est vraiment la goutte d’eau. On est déjà précarisés et vous nous rajoutez ça ! Ça fait ressortir toutes les rages qu’on accumule depuis plusieurs quinquennats déjà.
Même si c’est clair qu’avec macron, on a fait un sacré bon en avant dans la casse des droits sociaux.

Entretien de Valentine Maillochon, réalisé par Benoît Godin dans le journal CQFD de février 2023.