Un vieux truc démodé qui s’appelle l’hospitalité

Février 1939. Deux adolescents franchissent séparément les Pyrénées après des jours de marche sous les bombardements. Elle, parmi les civils, lui, avec l’Armée vaincue. Ils ont faim, ils ont froid, ils ont peur, et pas idée de ce qui les attend. Ils auraient plus peur encore s’ils savaient.
Au moment où ils passent la frontière, ils cessent d’être des gens. Ils deviennent des indésirables, comme les qualifient Daladier et la presse de droite, déchaînée. Ils pressentent que ceux qui les méprisent auront bientôt à subir des humiliations similaires face à Hitler dont personne n’ignore les ambitions. Mais pour l’heure, parqués dans ce que plus tard on appellera Hot Spots, des barbelés sur les plages glaciales, ils en sont à survivre.
Ils retournent en Espagne quelques mois plus tard. Ces deux ados sont mes parents.
Encore quelques années et la dictature les contraint à quitter l’Espagne de nouveau. Je suis la fille, ô combien fière, de ces réfugiés à répétition. Résistants. Survivants. Exilés à vie et citoyens exemplaires.

Aujourd’hui, soixante-seize ans plus tard, mes parents ont disparu, exile ultime. Les indésirables qu’ils furent présentèrent un jour le même aspect pathétique, désolant, inquiétant, que ceux qu’aujourd’hui la presse appelle migrants.

Aujourd’hui, d’aucuns, qui n’ont jamais entendu une bombe exploser, qui ont toujours su qu’ils allaient dormir dans leur lit le soir, qui ont toujours mangé à leur faim, installés dans leur certitude et la tiédeur de leurs foyers, estiment que les réfugiés devraient rester chez eux.

Les migrants, saute-frontière, clandestins, suspects, désignés coupables avant même d’être arrivés, sont juste des gens. Comme vous et moi. Parmi eux, la proportion habituelle de cools et de teigneux, de cons et de futés, de généreux et de pingres, de marrants et d’austères. Un groupe humain, quoi. Plutôt plus courageux que la moyenne. À qui nous devons, par principe intangible, un vieux truc démodé qui s’appelle l’hospitalité.

Bienvenue aux migrants.

Article d’Isabelle Alonso dans Siné mensuel d’octobre 2015.

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