Sur-pollution

La sur-pollution émise par les plus riches, c’est ce qu’on appelle l’effet barbecue, un concept évoqué la première fois en 2002, au départ pour contester le mode urbain compact (lire aussi : Les ravages des villes monde). L’effet barbecue, ou comment les riches flinguent leur bilan carbone le week-end – quand ils prennent leur yacht, par exemple, ou se font un petit aller-retour à New York (une tonne de CO2 par passager, un quart des émissions annuelles de gaz à effet de serre d’un Français) – alors qu’en semaine ils mangent bio, se chauffent au solaire, roulent en hybride… Les salauds de pauvres, ces banlieusards, ces fainéants qui « foutent le bordel », eux, par contre, mangent du poulet en batterie, se goinfrent de pesticides de supermarché, roulent en vieille diesel. Mais comme ils restent chez eux les week-ends, et qu’ils se font des barbecues dans leur jardin plutôt que des balades en yacht, au final, ils polluent moins.

Alors bien sûr, les pauvres, on a bien essayé de les taxer pour qu’ils arrêtent de polluer. Le problème c’est que ça ne fonctionne pas : le « signal prix » n’a d’effet que si l’on est en capacité de changer de comportement. Or en matière de mobilité, selon le ministère du Développement durable, parmi les 14,6 millions d’actifs ayant un lieu fixe et régulier de travail et utilisant leur voiture, seuls 6,3 millions d’entre eux – essentiellement en zones urbaines – pourraient ne pas l’utiliser. En zone rurale, où réside 40 % de la population, où les transports en commun se font rares, voire inexistants, difficile de ne pas prendre sa voiture… C’est ce qu’on appelle la « mobilité contrainte », qui concerne les personnes les plus précaires obligées, à cause de la hausse du prix de l’immobilier, de quitter les centres urbains et d’utiliser leur voiture au quotidien. Selon l’Insee, c’est 27 % des motifs de déplacement. Alors on peut toujours leur augmenter le prix de l’essence ou les taxer parce qu’ils se rendent au travail, font leurs courses, ou emmènent leurs gamins à l’école : ils continueront à prendre leur voiture. Inévitablement. Puisqu’ils n’ont pas d’autre choix.

Mais l’effet barbecue, en quelque sorte, « allège » leur bilan carbone en fin de semaine. Et fait d’autant plus prendre conscience que ce sont « les riches qui détruisent la planète ». Idée défendue par le journaliste Hervé Kempf, qui s’appuie sur les travaux de l’économiste et sociologue américain Thorstein Veblen et sa Théorie de la classe de loisir. Lui parle de « rivalité ostentatoire » : dans chaque classe sociale, les individus prennent comme modèle le comportement en vigueur dans la couche supérieure. À travers la pub et la mode par exemple, c’est elle qui nous montre ce qu’il faut faire, ce qui est chic, etc. Ce qui amène le publicitaire Jacques Séguéla à déclarer sans gêne : « Si à 50 ans on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie. » Résultat : dans une société très inégalitaire, cette rivalité ostentatoire, nous dit Hervé Kempf, « génère un gaspillage énorme, parce que la dilapidation matérielle de l’oligarchie – elle-même en proie à la compétition ostentatoire – sert d’exemple à toute la société. Chacun à son niveau, dans la limite de ses revenus, cherche à acquérir les biens et les signes les plus valorisés. »

Au final, on estime que 20 à 30 % de la population mondiale consomme 70 à 80 % des ressources naturelles chaque année. Que huit milliardaires possèdent autant de richesses que la moitié de la population mondiale la plus pauvre – il en fallait 388 en 2010. Que 10 % des plus riches représentent la moitié des émissions de gaz à effet de serre liées à la consommation.

Ce phénomène est confirmé par le Cerema, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, qui a réalisé 20 000 entretiens individuels en 2008 au cours de l’enquête nationale « transports et déplacements » et analysé les conséquences de 125 000 trajets quotidiens et de 18 000 voyages de plus de 80 kilomètres, quel que soit le mode de transport choisi. Le résultat est sans appel : 20 % des Français sont responsables de 60 % des émissions, […]

Néanmoins, on focalise souvent sur les trajets quotidiens, mais entre « grands navetteurs », « grands voyageurs » et « hypermobiles », ce ne sont pas les périurbains qui consomment le plus. La catégorie des « hypermobiles », qui sont les plus gros pollueurs, présente les caractéristiques suivantes : diplômés, actifs et aisés, ils sont aussi très motorisés et vivent dans les banlieues cossues des métropoles. Ils ne représentent que 5 % de la population mais émettent 19 % des rejets globaux.

Extrait d’une chronique de Corinne Morel Darleux sur le site la-bas.org/.

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