République et police

Le médecin légiste constate un « traumatisme facial sévère, avec fractures de l’ensemble de l’hémiface droite, et des fractures costales » ainsi qu’un « œdème pulmonaire aigu » qui a entraîné le décès de Mme Redouane.
Puisque le légiste ne peut dire avec certitude que les blessures subies par la victime avant la survenue de l`œdème en sont la cause directe, justice, police et gouvernement proclament que la mort de Mme Redouane est indépendante du fait qu’elle ait été blessée par – au moins – une arme de la police. On est prié d’en rester au constat d’un malheureux accident qui n’a pas joué de rôle dans l’altération de l’état de santé de Mme Redouane.
Ce qui est certain, c’est que l’usage d’une arme contre cette personne n’était pas nécessaire, ce qui le rend ipso facto disproportionné. Les « autorités » restent muettes à ce sujet.

[…]

le 19 mars, le ministre de l’Intérieur a déjà conclu : « je ne voudrais pas qu’on laisse penser que les forces de l’ordre ont tué Zineb Redouane, parce que c’est faux. Elle est morte d’un choc opératoire après avoir […] semble-t-il, reçu une bombe lacrymogène qui est arrivée sur son balcon. » Le fait qu’au quatrième étage du 12 de la rue des Feuillants, il n’y pas de balcon ne saurait arrêter une aussi belle assurance. Mais pourquoi une grenade arrive-t-elle comme cela sur un balcon inexistant et fracasse-t-elle le visage d’une personne qui n’était pas sur ce balcon fictif ?

Ce qui est très intéressant dans ce protocole de gestion des effets de la violence policière contre Mme Redouane, c’est qu’il va être appliqué de manière systématique dans les deux autres cas qui ont retenu notre attention. L’attitude du pouvoir, du parquet et de la police agissant tous dans le même sens, est désormais définie en une sorte de doctrine ; toute violence policière observée n’a pas eu lieu et on peut – en la dissimulant – en prouver l’inexistence. C’est évidemment fou et certainement dangereux (y compris pour ceux qui veulent ainsi se protéger), mais c’est le choix actuel du gouvernement.

On se souvient des blessures infligées par une charge de police le 25 mars 2019 à Nice à cette militante pacifiste de 75 ans alors qu’elle manifestait – en tenant un drapeau sur lequel était inscrit le mot Paix – contre l’interdiction de manifester qu’elle jugeait abusive. Il s’en est fallu de peu qu’elle n’en meure. Durant quelques jours, les autorités ont construit la fable selon laquelle Mme Legay avait trébuché sur un potelet de voirie. Les actions de la police n’avaient rien à voir avec son faux pas.

C’est qu’il fallait ne pas répondre à cette question : quelle était la proportionnalité de l’intervention policière brutale, potentiellement létale, avec l’infraction, si toutefois on considère qu’il y en avait une ? En effet, interdire de manifester est une décision grave qui contredit le principe constitutionnel du droit de manifester. Ne pas l’accepter peut être légitime, voire utile au bien commun. Mais, depuis quelques années, sous prétexte de l’exclusive légitimité donnée par l’élection, certains politiciens considèrent dangereusement que la manifestation n’est, au fond, qu’une tentative de sédition.

Il faut donc que la justice – en la personne d’un procureur complaisant – commence par nier les faits et confie l’enquête à des personnes dont la partialité est assurée. Le procureur de Nice, Jean-Michel Prêtre, affirme que Mme Legay n’a pas été touchée par les forces de l’ordre. C’était faux et il le savait. Il finira par l’avouer sous la pression des médias et grâce au témoignage… d’un policier acteur de la scène.

[…]

Dans les trois situations qui sont ici observées, quel ordre républicain était mis en péril qui justifiait l’usage d’une force par deux fois létale et la volonté de disculper inconditionnellement la police par le déni, le mensonge, la soumission du parquet ? En démocratie est-il possible que des actions de maintien de l’ordre soient entachées d’illégalité sans que la puissance publique trouve à s’y opposer ?

Le maintien de l’ordre devient de plus en plus violent et dangereux – mutilations, mort – pour les citoyens qui manifestent ou risquent par leur simple présence sur les lieux d’être des témoins gênants. Difficile de dissocier cela du fait qu’aujourd’hui la police vote en majorité pour le RN.
Son comportement semble en découler dans le traitement qu’elle inflige aux personnes à qui ce mouvement dénie toutes sortes de droits ou de dignité : femmes, personnes « issues » de l’immigration, militants progressistes, prolétaires défendant leur emploi et leurs droits sociaux, ou simplement « teufeurs » un brin excités.

Il n’y a pas tellement de surprise à constater que Mme Redouane, Mme Legay, M. Caniço représentent en leur personne quelques une de ces catégories honnies de cette police.
Radicalement, une question angoissante se pose : le pouvoir actuel, qui se veut le rempart contre la capture de la démocratie par un mouvement politique foncièrement anti-démocratique, n’hésite pas pourtant à confier la protection de l’ordre républicain à une police de plus en plus idéologiquement marquée, usant de la violence comme il lui plaît, voire encouragée à le faire.
Le gouvernement semble y trouver un intérêt momentané sans en mesurer les risques.

Toujours les gouvernements se sont servi de la police pour leurs basses œuvres. En vient-on aujourd’hui à ce point où la police se sert du gouvernement pour mettre en place la violence utile à la subversion de la République pour établir un ordre à sa convenance ? Ceux qui emploient des Benalla ou des Castaner découvriront peut-être trop tard qu’ils ont été les « idiots utiles » de la subversion qu’ils prétendaient éviter et qui les emportera avec la République qu’ils auront trahie.

Extraits d’un article de la revue Les Zindigné(e)s de juin-septembre 2019.

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