Républicains ?

Avez-vous l’impression que la société française est particulièrement fracturée ? Que nous vivons un moment clé de l’histoire ? Un autre angle s’impose. Il y a toujours eu deux France qui se sont combattues quand on a imposé la laïcité, la séparation de l’Église et de l’État, ou lors de l’affaire Dreyfus. Une France républicaine, démocrate, de gauche, sous la bannière Liberté, Égalité, Fraternité et une France aristocratique, monarchiste, réactionnaire et cléricale. Cette deuxième France a évolué. D’abord 1’Église a changé, la monarchie n’est plus vraiment présente. Mais avant-guerre, les grands hebdomadaires étaient racistes et antisémites. C’était Gríngoire, Candide, cette France de droite xénophobe qui détestait les étrangers, les métèques. Cette deuxième France a toujours été contenue par la France républicaine mais le désastre de 1940 l’a mise au pouvoir. Elle s’est déconsidérée dans la collaboration et on a cru que c’était fini.

Mais on assiste à un vichysme rampant qui n’a pas besoin d’un occupant allemand. Il se nourrit des angoisses du temps présent. Pas seulement la précarité du travail que tout le monde vit, mais aussi la précarité du futur parce qu’i1 n’y a plus cette foi dans le progrès qui animait les républicains. Le futur est angoissant, avec les menaces écologiques, climatiques, nucléaires, la crise économique qui rebondit sans arrêt. Quand il n’y a pas d’espoir, le recroquevillement sur le passé, la peur de l’étranger, du musulman, du Juif, de l’autre, gagne.

La première France, celle du peuple de gauche, a dépéri. Pourquoi ? Parce qu’elle avait été éduquée par les instituteurs de campagne à une époque où 60 % de la population française était rurale. On enseignait les vertus de la République. Même le Parti communiste, en dépit du stalinisme, enseignait l’humanisme de Marx. Aujourd’hui, plus de campagnes, plus d’instituteurs de campagne, des enseignants du secondaire racornis dans leurs spécialités. Le Parti communiste, un nain qui pleurniche pour rien. Le Parti socialiste, en décomposition intellectuelle totale. Heureusement, des jeunes continuent à voyager dans le monde et ont quelques idées ouvertes. Mais de plus en plus deviennent xénophobes, nationalistes et racistes. Voilà notre problème : le dépérissement du peuple républicain, du peuple de gauche, et la revigoration du peuple de droite, xénophobe. Nous vivons sur l’idée que la France a toujours été républicaine. C’est faux.

Extrait d’un entretien d’Edgar Morin dans Siné mensuel de février 2016.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *