Morts à 100 %

En 1980 sortait Morts à 100 %, documentaire élaboré par Jean Lefaux et Agnès Guérin, qui taillait en pièces le mythe du mineur « héroïque ». Et le révélait pour ce qu’il était : un taf de forçat. Plus de 35 ans après, deux réalisateurs en livrent un épilogue sans concession : morts à 100% post-scriptum.
[…]
Dans la foulée, notre pote Greg commence à interviewer des gens sur la mémoire minière, la rénovation des corons. À la médiathèque, il tombe sur une VHS du film Morts à 100 %, réalisé en 1980. Il se rend compte que ce film n’a quasiment été vu par personne et qu’il a été mis à l’index par les patrons et les syndicats. C’est qu’il tapait fort sur le PC de Thorez, qui développait à l’époque toute une mythologie du mineur soldat, patriote, courageux, fier. Or, quand on leur donnait la parole, les mineurs disaient qu’ils s’étaient bien faits avoir : ils étaient tous “silicosés » et mourraient avant 50 ans.

Greg a ensuite rencontré l’équipe du Centre d’animation culturelle de Douai, qui cherchait à dévoiler ce mythe du mineur. Roland Poquet et Bruno Mattéi témoignent de leur activité à l’époque et s’attardent sur la manière dont on réactive aujourd’hui le mythe du mineur en aseptisant son histoire.
Pour prendre le train de la troisième révolution industrielle, le Nord-Pas-de-Calais recycle son histoire ouvrière. Un enjeu entré en collision avec le centenaire du début de la Première Guerre mondiale dans un vaste programme touristico-culturel. Si quand on revient de la nécropole de ce conflit à Notre-Dame-de-Lorette on pense « Plus jamais ça », en sortant du musée minier de Lewarde on se dit: « C’était chouette, la mine. Certes dur, mais il y avait la camaraderie, la solidarité. » On oublie qu’entre 1945 et 1990, on compte officiellement 40 000 morts de la silicose.

[…] Il y a une salle des machines, qui livre le grand récit du progrès technique. À cela s’ajoute un volet de folklorisation destiné aux enfants, à qui on file un casque avant de leur faire gratter un peu de terre pour trouver du charbon. Les gosses s’amusent. Alors que mineur, c’était un boulot de forçat. D’esclave.
Quand on est allés tourner au musée, on était accompagnés de salariés qui nous disaient : « Il y a des gens qui viennent avec un à priori assez sombre sur la région et qui sortent du musée avec une image beaucoup moins morbide du Bassin minier. »
C’est vraiment à ça que sert ce musée. À laver l’histoire. Tu as des anciens mineurs qui ne peuvent plus voir les terrils en peinture !
[…]
Si on utilise les mineurs, leur image et leur mémoire, on leur demande dans le même temps de ne pas être trop présents, parce que ça reste des ploucs. Pareil pour le centre culturel Albert-Camus, juste à côté du Louvre, un lieu assez populaire où les gens prenaient des cours de danse, de musique.
Il a été remplacé par La maison du projet, sorte de mini-musée de la mine. On vire des gens plutôt pauvres d’un espace qu’ils fréquentaient pour y organiser une espèce de musée qui utilise leur image. »

Il y a en France un regain d’activité minière depuis quelques années. Votre film s’inscrit aussi dans une certaine actualité.
« On a prévu de rencontrer les collectifs qui luttent contre les projets miniers en Creuse, en Bretagne, dans le Pays basque, etc. L’idée est d’expliquer qu’aujourd’hui encore, il y a des mineurs qui se sacrifient pour nous: des mines de coltan en Chine aux mines d”uranium au Niger. Derrière chaque parcelle de notre confort moderne et technologique, il y a un mineur. De la même manière qu’on se chauffait au charbon dans les années 1950 grâce aux mineurs, on doit nos smartphones et l’énergie nucléaire à des sacrifiés de la mine.

Extraits d’un entretien entre Sébastien Navarro, de CQFD, et Tomjo, l’un des réalisateurs du film Morts à 100 % : Post-scriptum dans le journal CQFD d’octobre 2017.

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