Mesures de rupture

On ne les voit que trop venir, leurs « mesures de rupture » : accélérer encore la privatisation du monde, la restriction des libertés, le contrôle numérique, l’automatisation de tout, la déraison scientiste, la mainmise sur les ressources naturelles, la relégation des classes populaires, l’urbanisation sans limite…

Et pourquoi pas, s’emparer de l’idée a priori attrayante d’un « Green New Deal » et d’un protectionnisme européens pour mieux reconduire au sein de l’Union européenne un productivisme repeint en vert, instrument d’une compétitivité et d’une rivalité accrues entre blocs continentaux. Bref tout changer pour que rien ne change.

Or la vraie « folie » dont il nous faut guérir, ce n’est pas seulement celle de la mondialisation du commerce et des investissements, c’est plus profondément celle du tout-marché, qui détruit le travail, la Terre et la vie. Un système du tout-marchandise où des citoyen-ne-s supposément libres doivent en fait « déléguer à d’autres » – les propriétaires de capitaux – l’organisation et les finalités de leur travail et de leur existence ; « d’autres » qui, le plus souvent, ne cherchent qu’à maximiser leurs profits, quoi qu’il en coûte au reste des humains et à la nature.
C’est la folie du productivisme qui a subordonné le vivant à l’accroissement de la production. C’est la financiarisation de l’économie et de nos vies. C’est la destruction progressive de tous les contre-pouvoirs collectifs.

Le remède ne réside pas dans un état tutélaire, omniscient et autoritaire qui nous « protégerait » des étrangers, ni dans un capitalisme vert dopé à la high-tech et au consumérisme « smart », mais dans la construction de communs à toutes les échelles, du local au global, pour que la démocratie, à la fois outil et finalité du vivre-ensemble, progresse dans toutes les sphéres de la vie économique et sociale.

Il ne faut pas compter pour cela sur nos « premiers de cordée ». Les soudaines déclarations d’amour des grands capitaines d’industrie pour l’écologie et la solidarité sont indécentes. Les mouvements sociaux et altermondialistes travaillent depuis plus de vingt ans à concevoir et à expérimenter des alternatives : elles sont aujourd’hui mûres, crédibles et radicales, mais il va falloir les partager et les bonifier avec le plus grand nombre pour les imposer aux dominants. Voilà ce qui dépend de nous.

Bien avant la pandémie, les groupes dirigeants avaient fait sécession : ils se détachaient des valeurs démocratiques et du libéralisme politique, banalisant l’état d’urgence, réprimant de plus en plus durement les protestations. Avec le reflux de la mondialisation, ils miseront encore davantage sur une réthorique martiale (la « guerre sanitaire ») et identitaire.

Le traumatisme de l’épidémie pourrait renforcer les extrêmes droites et la politique de la peur. Néolibéralisme et ultra-capitalisme autoritaire se rejoignent déjà, justifiant au nom de la santé publique la surveillance électronique généralisée, la stigmatisation des personnes d’origine étrangère ou minoritaire comme potentielles porteuses de virus ou réfractaires aux mesures sanitaires, le soutien aux « champions » nationaux ou continentaux dans la guerre économique… La prédation des ressources naturelles, notamment dans le Sud, si nécessaire au mode de vie des populations les plus riches, ne pourra qu’exacerber les conflits dans un monde fragmenté.

Extrait de l’introduction du livre Ce qui dépend de nous de l’association Attac.

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