Marseille – La Plaine : matraques, grenades et morts

À quelques encablures de la Canebière, il y a un plateau au sommet duquel trône la plus grande place du centre-ville. La place Jean-Jaurès. Elle fait la jonction entre les 1er, 5éme et 6ème arrondissements. Ici, tout le monde l’appelle « la Plaine ».
Elle est reliée au cours Julien, second ventricule de ce quartier vivant, brassé, festif et alternatif. La Plaine, par extension, c’est le nom donné au quartier. Des rues escarpées en dévalent, charriant dans leur lit des ambiances différentes de l’une à l’autre. La Plaine, c’était aussi le plus grand marché de la ville, une institution attractive, tarifairement parlant. Ici, on se réapproprie l’espace urbain, on improvise, mais de façon organisée : assemblées populaires, banquets, animations, matchs de foot sur béton, fanfares, apéros et même concerts sauvages.

C’est sûrement ce qui met le plus en rogne les dirigeants de la ville. Le quartier est aux mains de ses riverains, dépourvu de grandes enseignes internationales, truffé de snacks, de rades, de bouibouis. Alors que, réquisitionné, il serait une véritable manne financière. Un pognon monstre à se faire…

Fin 2015, la mairie de Marseille a annoncé sa volonté de requalification de la Plaine dans le cadre de l’opération « Grand Centre-Ville » de Marseille.
Requalification, c’est évocateur, tu ne trouves pas ? Le chantier est confié à la Soleam. Son coût ? Entre 13 et 20 millions d’euros. Deux ans, peut-être trois, de travaux. Les pouvoirs publics ont laissé longtemps la situation se dégrader malgré les plaintes des habitants. La Plaine a besoin d’un coup de jeune, pas de perdre son âme.

On nous parle de montée en gamme. C’est une stratégie locale. Abandonner certaines zones de la ville puis, lorsque la situation devient préoccupante, un coup de Kärcher, un coup de ponceuse, une hausse des loyers, et par là-bas la sortie si t’as pas l’oseille. La gentrification par l’incurie.

Gérard Chenoz, adjoint au maire et président de la Soleam, dirige les travaux. […]

Une assemblée populaire se constitue, des initiatives citoyennes, agoras et journées festives d’informations ont lieu. La Plaine vit, bouillonne. Pendant trois ans, on tente de négocier une consultation. Rien à faire…

Le 11 octobre, dernier marché et début des travaux. En fin de matinée, des dizaines de camions de CRS s’installent tout autour de la place et dans les rues adjacentes pour encadrer le chantier. La Bac et de nombreuses voitures de police en renfort. Belle démonstration de force à l’égard des habitants, qui se mobilisent instantanément. Des manifestations spontanées tentent d’empêcher les travaux. Gazages, interpellations, répression commencent.
Naissance d’une Zad urbaine.
[…]

Le mur de la honte, tu ne l’as pas vu à la télé ? Le 29 octobre, lors d’une conférence de presse, tonton Gérard annonce une mesure à tomber cul par-dessus tête qui prend effet dans la foulée : l’édification d’un mur qui fera
le tour de la place, haut de 2,50 m. Le coût du mur? Dis un prix… Non, plus. Plus… Tu chauffes… 390 000 euros !
[…]
Le 1er décembre, l’une de ces manifestations est violemment dispersée, c’est la chasse à l’homme dans les rues de Noailles et de Belsunce. Une dame de 80 ans ferme ses volets par peur, dans l’air saturé de gaz. Elle habite au quatrième étage. Cest haut. Pourtant, elle reçoit une grenade lacrymogène à tir tendu en plein visage. Elle mourra à l’hôpital de la Timone. […]

Extraits d’un article paru dans Siné mensuel de janvier 2019.

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