L’instruction des dominés

L’instruction des dominé(e)s est avant tout un enjeu d’ordre pour la classe dirigeante. Dans une lettre aux directeurs d’Écoles normales, François Guizot, ministre de l’Instruction publique, précise que « le grand problème des sociétés modernes c’est le gouvernement des esprits car l’ignorance rend le peuple turbulent et féroce ; l’instruction primaire universelle sera pour lui une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale » à condition de « veiller à ne pas trop étendre l’enseignement ; [de] développer l’esprit d’ordre ». Le futur bourreau des communards, Adolphe Thiers, encourage l’apprentissage exclusif des « fondamentaux », idée qui rencontre encore aujourd’hui un grand succès […]

Quant à Jules Ferry, il entend « clore l’ère des révolutions » et son École s’oppose tout autant à la mainmise de l’Église sur l’instruction, qu’à l’éducation intégrale et émancipatrice portée par le mouvement ouvrier et qui s’était esquissée lors de la Commune de Paris, prônant un enseignement gratuit, laïc, public et… intégral !
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Haine de l’égalité

C’est pourquoi, depuis 150 ans, on retrouve les mêmes obsessions dans les nombreux combats menés par les extrêmes droites. La haine de l’égalité entre les sexes, avec Édouard Drumont, l’auteur de La France juive et directeur de La Libre parole, fustigeant la co-éducation des sexes pratiquée par Paul Robin (pédagogue et militant de la 1ère internationale) à l’orphelinat de Cempuis, et dont il obtint la révocation en 1894 pour « menées subversives ». Même violence, même hargne dans les rangs de la Manif pour tous contre les études de genre ou chez Farida Belghoul lançant ses Journées de retrait de l’école et obtenant du ministre d’alors (Benoît Hamon) le retrait des « ABCD de l’égalité » (contre les stéréotypes de genre).

C’est ensuite la « rééducation nationale » prônée par la Ligue des « instituteurs patriotes », au début du XXe siècle, s’opposant aux premiers syndicats d’enseignant(e)s en les accusant de prêcher la lutte des classes et l’internationalisme plutôt que l’amour de la patrie… Une idée qui réapparaît aujourd’hui avec le roman national, pour qui la mission idéologique et nationaliste de l’institution primerait sur l’enseignement d’une histoire critique et scientifique.
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La déferlante anti-pédagogiste

La nostalgie scolaire revient dès lors en force (105 ouvrages publiés entre 1980 et 2016…). Le modèle, c’est l’École d’antan dont on célèbre l’autorité, le goût de l’effort et – dans un total contresens historique – la méritocratie… Il faut aussi écarter toute parole critique : celle de sociologues et leur « culture de l’excuse », les historiens de l’éducation, les pédagogues (pédagogos, pédabobos, etc.).

Inlassablement martelé, ce discours est devenu aujourd’hui hégémonique, c’est-à-dire qu’il apparaît comme une évidence qui n’a pas (plus) à être discutée. Une partie des auteurs de ces pamphlets « antipédagogistes » sont issus de la gauche. Pour certains, ils ont aujourd’hui acté leur ralliement à la droite conservatrice dure (Jean-Paul Brighelli, l’auteur de La Fabrique du crétin est devenu conseiller éducation du parti de Dupont-Aignan, Debout la France et déclare se reconnaître à « 80 % dans les idées du FN sur l’école »).

Tous ces « antipédagogistes » ne sont pas, cependant, des ralliés au FN, loin de là. Mais il convient, sans amalgame, de s’interroger sur la continuité idéologique d’un projet éducatif autoritaire et le projet social qui le sous-tend. Peut-on éduquer à la liberté, à l’égalité, à la démocratie ou encore à la coopération et au collectif par la soumission, la sélection, l’autorité et la compétition permanente ?

Extraits d’un article de Grégory Chambat dans Le monde libertaire de mars 2017.

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