L’informatique et la mondialisation

Lors du mouvement social du printemps 2016 contre la loi El-Khomri, le problème du contenu de ce qui est produit par l’économie à notre époque et celui des outils de cette production semblent avoir été peu soulevés. Les thèmes de la précarité et de la souffrance au travail ont été omniprésents mais ils étaient rarement mis en rapport avec les ressorts fondamentaux du capitalisme, qu’actionne chaque entreprise particulière à son échelle : la course à la croissance, le changement constant des modes de production, la mise sous dépendance matérielle et mentale des populations.

C’est ainsi que la critique de l’informatique ne paraît pas complètement légitime dans le champ du travail et des luttes sociales. Elle semble éventuellement pertinente quand il s’agit de dénoncer le fichage, ou même les phénomènes d’addiction consumériste provoqués par l’Internet et les téléphones mobiles. Mais sur le front des luttes salariales, agricoles, ou récemment d’autoentrepreneurs, elle est en règle générale absente.
Les bénéfices que chacun a le sentiment d’en tirer dans sa vie personnelle, le plaisir de surfer, la fascination pour ces outils qui permettent de tout faire à n’importe quel moment, font obstacle à l’analyse. Or, comment espérer résister à la casse sociale sans s’attaquer un tant soit peu à ses racines matérielles ? Sans doute le rôle essentiel de l’ordinateur et des réseaux télématiques/informatiques dans la mondialisation capitaliste, à partir de 1970, est-il trop rarement perçu.
Presque personne ne souligne que ces innovations technologiques sont les leviers concrets qui ont permis de déséquilibrer franchement le rapport de forces entre capital et travail, après les décennies de relatif compromis social ( 1945-75). Il faut donc revenir sur le lien entre l’informatique et deux aspects de cette mondialisation qui ont participé à la démolition d’une bonne partie des « acquis » du mouvement ouvrier : la mondialisation de la finance et celle des chaînes de production.

L’informatique, condition sine qua non de la mondialisation financière

Les dégâts sociaux et humains de la finance globalisée sont bien connus: imposition de politiques économiques « néo-libérales » aux États par les « marchés » ; démembrement progressif de l’État social dans le cadre des programmes d’austérité ; prise de pouvoir des actionnaires dans les entreprises, avec des exigences de rentabilité intenables ; et en conséquence, licenciements boursiers, qui laissent des cohortes de prolos (et parfois de cadres) sur le carreau, dans des régions qui voient leurs industries fermer les unes après les autres. La précarisation des classes populaires et moyennes – recul des services publics et des dépenses de redistribution, attaques contre le droit du travail, intensification du travail…) – est fréquemment mise en relation avec la montée en puissance de ces « marchés » et autres fonds de pension. Mais quelle est l’infrastructure matérielle qui sous-tend cette montée en puissance ? C’est la mise en réseau des places boursières du monde entier, elles-mêmes informatisées, qui a permis l’émergence d’un marché planétaire unifié des capitaux, ouvert 24h sur 24, et sur lequel les investisseurs peuvent déplacer leurs fonds d’un simple clic, des centaines de fois par jour.

Début d’un article de Matthieu Amiech, membre du groupe Écran total, dans le journal CQFD de février 2017.

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