L’empire colonial français

L’empire colonial français était en deuxième place derrière l’empire colonial britannique, avec à peu près 21 fois la superficie actuelle de l’Hexagone. En 1945, il y avait entre 105 et 110 millions d’habitants dans les colonies, qui produisaient de 55 à 40% de l’économie française. L’empire colonial permettait à la marine, à l’armée et à la diplomatie françaises d’être présentes aux quatre coins du monde. Tous les régimes – de la Révolution française à la IIIe République, de droite comme de gauche, démocratiques ou pas – ont contribué
à cette histoire qui fait partie du récit français.

C’est l’industrie sucrière qui a financé les guerres du XVIIIe siècle. La IVe République va se construire sur la puissance qu’apportent l’empire colonial et ses conquêtes. L’appel à ces territoires permet à la France de gagner la Première Guerre mondiale. Brazzaville puis Alger
ont été les deux capitales de la France libre pendant la Seconde Guerre mondiale.

[…] jusqu’en 1947-1948, toute la classe politique française soutient l’empire colonial. Pour de Gaulle, il constitue un élément essentiel de la puissance française. Quand il parle de « réformes » à Brazzaville début 1944, c’est à sa sauvegarde qu’il pense et aussi à la répression là où les revendications politiques sont les plus vives (comme au Maroc). Il faut se rappeler l’enchaînement des événements : la répression au Sénégal, les massacres de Madagascar ou du Constantinois, les bombardement en Syrie, la guerre en Indochine… La perte des mandats de Syrie et du
Liban en 1945, qui a traumatisé de Gaulle, est la matrice de ce processus qui repose sur deux piliers : réforme (pour se conformer à la pression de l’URSS et des États-Unis et à l’ONU) et répression partout, et notamment au nom de la guerre froide. Le tournant est mai 1945, avec le bombardement de Damas, qui fait 5 000 morts et, le 8 mai, le massacre de Sétif, en Algérie, qui en fait entre 12 000 et 25 000. […]

Qu’est-ce qui arrive aux tirailleurs sénégalais qui demandent à être payés lors de leur retour à Dakar ? On les massacre. L’armée coloniale ne peut pas imaginer ni accepter qu’un homme noir, un homme maghrébin, un homme indochinois, un homme malgache, un homme antillais puissent s’opposer au pouvoir colonial dans l’espace colonial. Ils sont toujours considérés comme des « indigènes » qui n’ont aucun droit en dépit du fait qu’ils se sont battus pour la France. Leurs revendications sont structurellement perçues comme une remise en question de l’autorité coloniale.
Nous ne sommes pas dans l’après-guerre mais en décembre 1944. Dans l’empire colonial, tous ceux qui s’opposeront par la suite à l’autorité de la France connaîtront la répression. […]

Très vite, le gouvernement français négocie avec le Maroc et la Tunisie, mais pas avec l’Algérie. Pourquoi ?
La guerre d’Indochine a essoré l’armée française et ses budgets. En 1954, la France a perdu ses colonies asiatiques, y compris les comptoirs des Indes. Elle tranche : la pépite de notre Maghreb, c’est l’Algérie. On doit la garder. Toutes les élites françaises le pensent, y compris le PCF. Un million d’Européens y vivent, et c’est un poids électoral majeur ! C’est aussi un endroit stratégique riche en hydrocarbures et avec un fort potentiel d’expérimentation de l’indépendance nucléaire française, donc militaire, et des tirs de fusée.
Dès lors, « lâcher » le Maroc et la Tunisie (en 1955-1956), c’est concentrer les forces militaires françaises en Algérie (et au Cameroun).
La guerre d’Algérie, d’une violence inouïe, va trahir les valeurs de la République (dès 1955) et faire des dizaines de milliers de morts civils. On a commencé à apprendre ce qui s’était passé avec La Question (1958), le livre d’Henri Alleg, puis par Avoir vingt ans dans les Aurès (1972), le film de René Vautier, interdit des années, ainsi que par les témoignages des déserteurs et les prises de position d’intellectuels.
En 1959, un rapport de Michel Rocard fait pourtant grand bruit : sur 9 millions d’habitants, la République laisse mourir de faim plus de 2 millions de personnes dans des camps de regroupement. Mais le scandale s’efface devant un conflit qui a épuisé les consciences en France. C’est aussi une guerre secrète, avec les attentats de la Main rouge, une guerre totale. C’était aussi une guerre d’appelés. Ces jeunes découvraient la violence et la haine, la haine de l’Arabe. […]

Il faut comprendre qu’à l’époque, en France, on n’a jamais pensé que le combat des Algériens était légitime, qu’ils luttaient pour leur liberté, méritaient le respect et avaient les mêmes droits que les Français. C’était le fruit de cent vingt-cinq ans de colonisation, de propagande et de manipulation. Jusqu’au milieu des années 1950, il y avait l’Agence économique des colonies (puis de la France d’Outre-mer), dont la mission était de fabriquer une image d’Épinal de l’Union française. Si on avait informé l’opinion publique, jamais elle n’aurait soutenu ses élites politiques […]

Extrait d’un entretien de Pascal Blanchard dans Siné mensuel de février 2021.

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