L’éditocratie se mobilise

En avril-mai dernier, la mobilisation contre la réforme des universités et le système Parcoursup s’est amplifiée de manière spectaculaire avec l’occupation de nombreuses facultés. Contre ce mouvement d’une ampleur sans précédent ces dix dernières années, la fine fleur de l’éditocratie n’a pas manqué de se mobiliser. Pour les tauliers des médias, les étudiants seraient en réalité instrumentalisés par une « minorité agissante » issue de l’ « ultragauche ». Et bien évidemment, ils se mobiliseraient pour de mauvaises raisons, voire sans raison du tout. Retour sur les plus belles manifestations de morgue et de mépris médiatiques à l’égard des mobilisations étudiantes.

Difficile d’échapper à cette interview de Georges Haddad, président de l’université Paris-I, dont les propos ont fait les titres de nombreux articles de presse, et ont été repris dans les journaux télévisés des grandes chaînes et sur les chaînes d’info en continu. Face à un Jean-Pierre Elkabbach visiblement terrifié par l’occupation de Tolbiac, Haddad évoque, sur le ton d’un reportage de Bernard de La Villardière, « la violence, la drogue, le sexe » qui régneraient dans la fac occupée.

Le caractère alarmiste et outrancier de l’entretien prête évidemment à sourire. Il a d’ailleurs été tourné en dérision par les occupants de Tolbiac dans une vidéo pastiche de reportage sur l’occupation de la fac. Cet entretien témoigne néanmoins de la tonalité des commentaires des tauliers des grands médias à l’égard des mobilisations étudiantes.

[…]

Mais d’où vient ce chiffre de 800 à 1200 membres de « l’ultra-gauche » qui noyauteraient les mobilisations étudiantes ? Une simple recherche en ligne nous conduit à deux articles, du Figaro (14 avril) et du JDD (16 avril), qui évoquent tous deux ces chiffres issus… d’une note des Renseignements territoriaux (ex-Renseignements généraux). Quelle source plus fiable que la police pour se renseigner sur les méfaits de « l’ultragauche » – comme l’a récemment démontré le fiasco du procès de Tarnac ?
Le JDD, en pointe en matière de journalisme de préfecture, reprend à son compte la note des Renseignements territoriaux pour qui « il n’y a guère de doute, l’ultragauche est à la manœuvre dans onze
de la quinzaine d’universités occupées, fer de lance de la contestation contre la réforme de l’accès à l’enseignement supérieur ».

[…]

L’indigence journalistique de ces « analyses » est sidérante. De journalisme et d’analyse il n’est d’ailleurs pas vraiment question, puisque aucune de ces sommités médiatiques ne fonde ses propos sur un quelconque travail d’enquête qui les aurait menés à quelques stations de métro de leurs studios, rencontrer des étudiants ou des enseignants qui auraient pu leur exposer leur point de vue et leurs raisons de rejeter la réforme. Étudiants et enseignants mobilisés sont d’ailleurs systématiquement absents des plateaux télévisés où les éditocrates devisent gaiement de l’irresponsabilité des mobilisations universitaires.

Extraits d’un article de Médiacritique(s), magazine trimestriel d’Acrimed de juillet-septembre 2018.

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