Griller l’audiovisuel public

Selon la stratégie consacrée par des décennies de politique libérale, réduire la masse salariale constitue la variable d’ajustement préférée des dirigeants. Il y aurait bien d’autres économies à faire pourtant, explique Bertrand Durand, vingt-huit ans de Maison ronde. Ce technicien de formation, aux allures d’amateur de rock, est secrétaire CGT du Comité social et économique. Il énumère.

La dispendieuse rénovation de la Maison de la Radio d’abord. Le coût des travaux n’a cessé de déraper à mesure du retard du chantier. Il atteindra 750 millions d’euros en 2025, soit trois fois plus que prévu, supporté au tiers par Radio France. « Cela représente environ 20 millions par an sur notre budget au détriment du reste. Et regardez ce studio quasi-neuf qui ne sert jamais. Il a été mal conçu, on entend le bruit des pas des techniciens dans les micros. »

La hiérarchie ensuite. Trop de chefs. « Chaque semaine, on nous annonce des promotions à de tout nouveaux postes de direction. Et bien sûr, le salaire qui va avec. » Entre 2005 et 2015, l’inflation des postes de direction était estimée à 58 % contre 6 % d’augmentation sur l’effectif total. À France Télévisions, le constat est similaire.
La Cour des comptes l’avait d’ailleurs souligné en 2016, mettant également le groupe en garde sur les achats de programmes entachés de soupçons de favoritisme : « Des règles strictes de déontologie doivent être mises en place sans délai pour mettre fin à certaines pratiques contestables. Par exemple, des responsables de programmes qui créent leurs propres entreprises de production et reçoivent immédiatement d’importantes commandes de France Télévisions ». Nagui, Patrick Sébastien, Michel Drucker… La télévision publique a curieusement engendré un certain nombre de millionnaires.

Bertrand Durand épingle enfin une gestion catastrophique du personnel. « La maison est régulièrement condamnée au prud’hommes pour des CDD à répétition et dépense des sommes considérables pour des ruptures conventionnelles dont certaines pourraient être qualifiées de complaisantes », note le syndicaliste. De l’humoriste Stéphane Guillon au technicien de France Bleu Sud Lorraine et ses 258 CDD, neuf fois sur dix le salarié obtient gain de cause. L’entreprise provisionne en moyenne 20 millions d’euros par an sur sa comptabilité pour « litiges », dont un tiers rien que pour les procès aux prud’hommes.

Sur le terrain, les équipes tirent la langue. Les effets combinés des précédents plans et de la nouvelle « lutte contre l’emploi précaire » – qui consiste non pas à titulariser les CDD mais à ne plus remplacer les salariés en congés ou en arrêt maladie -, se font sentir.
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« Griller l’audiovisuel public pour laisser le champ libre aux petits copains du privé », suggère un journaliste, rappelant cette autre phrase du président de la République : « Qu’est-ce qui justifie qu’on mette de l’argent dans France Télévisions et pas dans TF1 ? » Vous connaissez la réponse.

Extraits d’un article de Léa Gasquet dans Siné mensuel de septembre 2019.

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