Danger sociologique

Une fois n’est pas coutume, en cet automne, un essai sociologique, ou plutôt un pamphlet intitulé Le danger sociologique (PUF), signé par Gérald Bronner et Étienne Géhin, respectivement professeur et ex-maître de conférences en sociologie, connaît une certaine fortune médiatique. Si des sociologues sont régulièrement invités à s’exprimer dans les médias en tant qu’ »experts » sur des questions d’actualité, rares sont ceux qui ont la chance de pouvoir y exposer leurs travaux. Malheureusement, lorsque c’est le cas, c’est souvent pour le pire – la popularité médiatique de Maffesoli en est la plus consternante illustration. La médiatisation du livre de Bronner et Géhin n’échappe pas à cette règle.

La thèse des auteurs est simple : la sociologie est une discipline gangrenée par des courants de pensée qui feraient prévaloir des a priori idéologiques sur toute considération scientifique. Principalement visés, et boutés hors-la-science : Bourdieu et ceux qui s’en inspirent, ainsi que tous les tenants d’une sociologie critique. Mais emportés par leur élan, les auteurs disqualifient aussi Durkheim – considéré pourtant comme l’un des « pères fondateurs » de la sociologie – et plus largement tous les chercheurs – soit l’essentiel d’entre eux – proposant des explications proprement sociales aux phénomènes sociaux – c’est l’hydre « déterministe » –, plutôt que d’en faire des produits des conduites individuelles. De leur côté, Bronner et Géhin entendent (re)fonder empiriquement la sociologie autour des neurosciences et de la psychologie expérimentale. Un diagnostic et un positionnement scientifique qui les placent à la marge du débat académique et de la communauté des sociologues.

Une presse écrite circonspecte

Et de fait, c’est à réfuter les « arguments » principaux du Danger sociologique que sont souvent consacrées les recensions de l’ouvrage dans la presse écrite.

Dans Le Monde, c’est Gilles Bastin, sociologue et collaborateur du « Monde des livres », qui s’y emploie : « D’où vient alors la gêne qui s’empare du lecteur au fur et à mesure qu’il progresse dans la démonstration ? Peut-être du fait que les auteurs ne s’appliquent pas toujours la rigueur analytique qu’ils attendent des autres. Ainsi, un ou deux paragraphes de Bourdieu, quelques phrases de Lahire, un peu de Butler, de Foucault, de Marcuse et même d’Alain Souchon (« on nous inflige/ Des désirs qui nous affligent… ») suffisent dans ce livre à faire de la sociologie « déterministe » un épouvantail, dont les méfaits supposés laissent pantois : rien de moins que la déresponsabilisation des individus, la montée du complotisme et l’aggravation des inégalités ! »

Aux Inrockuptibles, c’est un journaliste maison qui se charge d’un compte-rendu résolument critique : « On peut au moins reconnaitre au livre de Bronner et Géhin le mérite de constituer un symptôme éclairant d’une ambiance délétère, anti-sociologique, anti-progressiste, qui caractérise notre moment présent. Il suffit de prendre la mesure des attaques répétées dont la sociologie est l’objet depuis plusieurs années pour voir dans cette nouvelle charge l’indice d’une hargne tenace. »

Début d’un article de Blaise Magnin de l’association ACRIMED (Action CRItique MEDia).
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